Après près de dix ans d’absence, Paul Verhoeven fera son retour sur les écrans avec un film dramatique conçu comme un thriller, Elle, son premier film en langue française produit par Saïd Ben Saïd et adapté du roman Oh… de Philippe Djian, qui réunit à l’écran Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Charles Berling et Virginie Efira. Elle raconte l’histoire de Michèle Leblanc, fille d’un meurtrier des années 70, qui est devenue une femme d’affaire aussi intraitable que glaciale et qui va être victime d’une agression sexuelle chez elle par un inconnu cagoulé. Contre toute attente, cette dernière décide de ne pas porter plainte à la police mais de traquer et retrouver son agresseur. Satire sociale à l’humour féroce, Elle est un film qui dérange. En effet, hors du commun, la complexité, la force et la perversité du personnage de Michèle, qui de proie va devenir prédateur, perpétue le goût du cinéaste pour les rapports de force et de domination entre les personnes mais aussi son goût pour l’ambiguïté.
« J’ai été attiré par l’audace et l’unicité de cette histoire, par le mélange entre christianisme et sexualité lesbienne. Le personnage m’intéressait, avec la question de savoir si on peut manipuler les gens sans se rendre compte qu’on les manipule. D’autre part, j’ai toujours été intrigué par Jésus, j’ai même écrit un livre sur lui. Ce film montre mon intérêt pour les religions, mais aussi mes doutes sur les réalités religieuses. » Paul Verhoeven
Après le succès de Elle, Paul Verhoeven revient avec Benedetta, l’adaptation du livre Sœur Benedetta, entre sainte et lesbienne de l’historienne Judith C. Brown, publié en 1987 relatant l’histoire de Benedetta Carlini, son dernier film produit à nouveau par Saïd Ben Saïd et quitte raconte à nouveau l’histoire d’une femme de pouvoir, à une époque où la société était totalement dominée par les hommes. L’action du film se déroule au XVIIème siècle, alors que la peste se propage en Italie. On suit la très jeune Benedetta Carlini qui rejoint le couvent de Pescia en Toscane et qui, dès son plus jeune âge, est capable de faire des miracles. Sa présence au sein de sa nouvelle communauté va changer bien des choses dans la vie des sœurs. Considérée comme mystique et vénérée par son entourage religieux, elle sera finalement arrêtée et jugée pour imposture et saphisme. Dans le rôle-titre de Benedetta on retrouve la comédienne Virginie Efira que le réalisateur avait déjà dirigée dans Elle. Avec Benedetta, Paul Verhoeven trouve l’équilibre parfait entre la religion, le mysticisme, le sexe, la manipulation et les manigances politiques de l’Eglise.
« Deux vérités coexistent et le film ne dit pas quelle est la vraie vérité. Il faut accepter que certains faits peuvent être vus à travers deux perspectives différentes. Dans Basic Instinct, la tueuse est-elle Sharon Stone ou l’autre fille ? On ne sait pas. Je pense que dans la vie, il y a plusieurs façons de regarder les choses et que chacun a sa propre réalité subjective. C’est pour cela que je ne veux pas dire au public si Benedetta est à coup sûr une mystique ou à coup sûr une menteuse, c’est à chaque spectateur d’en juger. » Paul Verhoeven
Simulacre, image ou fétichisé, dans l’œuvre de Paul Verhoeven, le corps est désacralisé. En effet, on constate que le corps est toujours au travail dans le cinéma de Paul Verhoeven et que c’est une constante dans tous ses films. Les différentes représentations du corps humain et de son image jalonnent toute son œuvre et sont souvent mises en opposition dans ses films. Victimes de leurs pulsions et de leurs sens, comme en témoignent les personnages de ses films, la chair (et donc l’homme) est faible chez Verhoeven. Du corps humain réel et organique réduit à ses fonctions primaires naturelles dans tout ce qu’il est de plus concret biologiquement (sang, larmes, sueur, excréments, vomissements…), souffrant ou jouissant, au « corps instrument » ou « corps outil » que l’on utilise à dessein, en passant par le fantasme du « corps cybernétique » faussement libéré de la vérité, de la réalité organique de l’Être Humain, l’homme est réduit à un banal tas de chair et de sang. Soulignons également la présence et l’importance de la religion dans les films de Verhoeven qui toujours recèlent de métaphores, de symboles, de toute une imagerie visuelle et ce, même lorsque ceux-ci ne sont à priori pas des récits religieux. On remarque que c’est dans sa période américaine que la thématique de l’Ambigüité apparaîtra et sera particulièrement développée et cultivée dans ses films comme par exemple dans Total Recall, Starship Troopers, Basic Instinct ou encore plus récemment dans Elle. De la violence faite au corps à la sexualité en passant par le destin, la fragilité et les faiblesses de l’homme (égoïsme, manipulation, lâcheté,…), Paul Verhoeven est un cinéaste qui aime mettre face à face et se faire rencontrer les opposés et c’est un cinéaste qui travaille à montrer les choses de manières frontale et réaliste, à montrer les choses telles qu’elles sont dans la vie, ni toutes blanches, ni toutes noires, mais à l’image du monde dans lequel nous vivons, un monde dur et cruel où le tragique et l’horreur n’excluent jamais l’humour ni le beau. En cela on peut dire que Paul Verhoeven est un cinéaste existentialiste, et pourquoi pas, dans son invitation à la réflexion sur la condition humaine, un cinéaste humaniste.
Malgré cela, Paul Verhoeven est probablement le cinéaste dont l’œuvre et la carrière, aussi bien durant son parcours dans les années 1970-1980 aux Pays-Bas que sur son expérience et sa période aux Etats-Unis dans les années 1980-1990 ou encore aujourd’hui en France, auront le plus été en lien avec la censure, mais qui, quitte à se construire une réputation d’auteur radical, cynique et sulfureux, sera parvenu à s’en accommoder et à la détourner afin de rester, pour notre plus grand plaisir, fidèle à ses convictions, fidèle à sa vision des choses et à sa conception du cinéma. Afin de rester fidèle à lui-même.
« C’est seulement en mettant à mal la vision faussement idéaliste que nous avons de nous-mêmes que nous pourrons comprendre qui nous sommes vraiment et à quel point nous pouvons être meilleurs. » Douglas Keesey, Paul Duncan (ed.), Paul Verhoeven (Taschen, 2005).
Quand on demande au réalisateur s’il voit les suites ou autres remakes de ses films, il répond avec lucidité et l’ironie qui le caractérise : « Oui, je les vois pour voir ce que ça donne. Je les « étudie »… peut-être pour me sentir supérieur !… (il sourit et marque un temps) Pour moi, les films d’aujourd’hui, les suites et les remakes sont trop sérieux, trop premier degré. Sans humour, sans second degré, sans clin d’œil. Ils se prennent trop au sérieux et deviennent ennuyeux, pour ne pas dire ratés, car on n’y croit plus. Il faut savoir créer une distanciation pour que cela fonctionne. Et pour cela, il faut utiliser mais avant tout connaître et comprendre la mise en scène ».
« Ma force ne consiste pas dans l’invention des mots mais dans leur transformation en images. » Paul Verhoeven, À l’œil nu (Entretien avec Emmanuel Burdeau, Capricci, 2017)
Steve Le Nedelec
Rétrospective Paul Verhoeven du 14 juillet au 1er août à la Cinémathèque Française.