Magnifique et sulfureux brûlot politique inspiré du film Eve (All about Eve, 1950) de Joseph L. Mankiewicz, Showgirls suit le parcours de Nomi Malone qui rêve d’être danseuse et part tenter sa chance à Las Vegas où elle commencera en tant que strip-teaseuse et découvrira les règles du monde de la nuit qu’elle apprendra très vite à utiliser à son avantage. Encore plus sexualisé que Basic Instinct, Showgirls (1995) sera extrêmement mal reçu à sa sortie aussi bien par la critique que par le public. Trop frontal et trop cru, la critique américaine assassine Showgirls.
La critique acide du milieu du spectacle et plus largement du rêve américain de Verhoeven sera un bide commercial retentissant. Verhoeven lui-même reconnaît le film comme étant trop personnel, trop européen. Après le succès de Basic Instinct, il a tout simplement pensé que tout lui était permis, qu’il pouvait faire ce qu’il voulait. Totalement libre, il s’est trop écarté de la ligne de conduite qu’il s’était fixé et n’a pas su « suivre le mouvement ». Sa personnalité a pris le dessus sur les principes qu’il s’était donnés. Dès le début, trop présent sur le projet de Showgirls, il en a fait un film trop personnel et est allé trop loin pour le grand public. Quelques années plus tard Showgirls sera réévalué à sa juste valeur et enfin réhabilité comme étant un grand film.
« Starship Troopers est un film vicieux, construit et pensé d’une façon qui convient mal au cinéma commercial. » Paul Verhoeven, À l’œil nu (Entretien avec Emmanuel Burdeau, Capricci, 2017)
Ereinté par la mésaventure de son film précédent, Showgirls, qui a été un cuisant échec commercial, Paul Verhoeven se lance dans le projet de Starship Troopers (1997), un pamphlet subversif qui situé dans un futur lointain aux confins d’une galaxie inconnue raconte l’histoire de cinq jeunes soldats qui s’engagent pour combattre une armée d’arachnides géants qui menace l’humanité. Pour cette libre adaptation du roman de Robert A. Heinlein, Verhoeven retrouve le scénariste Edward Neumeier et le producteur Jon Davison avec lesquels il avait travaillé sur RoboCop. Il signe avec ce film un retour à la science-fiction empreinte d’ironie cinglante.
Derrière la façade de blockbuster que donne de prime abord le film, le scénario « jouant de l’imagerie fasciste pour pointer certains aspects de la société américaine », le réalisateur détourne en fait délibérément le livre vers la satire antimilitariste et sociétale. Mais les producteurs, ne s’attendant pas à voir un film si virulent et ambigu, ont détesté Starship Troopers et le succès relatif du film ne suffira pas à aider le réalisateur pour la suite de ses projets.
« Sur Starship Troopers, Total Recall, Basic Instinct ou RoboCop, j’avais le contrôle total. De 1985 à 1997, mon aventure hollywoodienne n’a été que l’extension de ma carrière hollandaise. Sur une plus grande échelle, avec plus d’argent, mais avec le même état d’esprit. » Paul Verhoeven, À l’œil nu (Entretien avec Emmanuel Burdeau, Capricci, 2017)
Les échecs et les mauvais accueils qu’ont reçus Showgirls et Starship Troopers vont marquer la fin de la success story hollywoodienne du cinéaste qui, trois ans plus tard, cherchant un projet moins violent et sexuel, réalisera Hollow Man (2000), le dernier film de sa période américaine avant de retourner aux Pays-Bas où il s’attaquera frontalement, sans artifice ou utilisation du genre, à l’Histoire et au nazisme avec Black Book.
Hollow Man raconte l’histoire d’un groupe de scientifique qui parvient à élaborer un sérum d’invisibilité et dont le plus brillant d’entre eux, après des tests effectués sur des animaux, décide de servir de cobaye humain. Mais l’expérience va exacerber la mégalomanie et la paranoïa de ce dernier. Avec ce film, Verhoeven nous montre notre relation au corps, notre relation à notre propre corps qui participe à notre construction, qui participe à nous définir. Même s’il détourne brillamment ici le mythe de l’homme invisible et continue d’explorer certaines de ses thématiques comme celle du corps, de sa vulnérabilité et de son inéluctable relation avec l’esprit, pour Verhoeven, Hollow Man marque la fin de toute liberté de ton et d’expression. Ce dernier n’a en effet accepté de le réaliser uniquement parce qu’il était entouré de personnes avec qui il travaillait depuis des années et qu’il aimait beaucoup. Malgré le succès du film, le réalisateur reconnaît que ce fût une grosse erreur et qu’il aurait dû abandonner ce projet. Le fait qu’il s’en soit voulu d’avoir fait Hollow Man a été pour lui le déclencheur pour rentrer au Pays-Bas et réaliser Blake Book. A ce moment, il ressent alors le besoin de faire quelque chose auquel il croit vraiment, quelque chose qui lui parait important. De retour aux Pays-Bas, dès la conception du projet du film, il fait tout pour rester en marge de ce qu’il a fait à Hollywood.
Contrairement à sa carrière hollandaise au cours de laquelle les sujets et les scénarios de ses films venaient de lui et de son scénariste Gerard Soeteman, Verhoeven n’a jamais été à l’origine des films qu’il a réalisés aux États-Unis. Pourtant, même si sa marge de manœuvre était restreinte aux États-Unis, celui-ci a également beaucoup fait passer ses messages en utilisant le cinéma de genre comme la science-fiction ou le thriller, et il est incontestable que tous ses films ont quelque chose en commun, quelque chose de profondément unique. L’identité qui relie ses films passe par sa mise en scène et ses thématiques qui, dans le même temps, définissent et témoignent de la singularité de son univers.
« J’y vois une approche moins héroïque, plus authentique de cette période. Je voulais en montrer les ambiguïtés et les demi-teintes, en évitant tout manichéisme. Black Book est réaliste et provocant. Personne n’avait encore montré comment nous traitions nos prisonniers en 1945 ». Paul Verhoeven
Le retour en Europe de Verhoeven, et qui plus est, dans son pays natal, est principalement marqué par son abandon du cinéma de science-fiction pour un retour à des films et des sujets historiques ou contemporains. Black Book retrace le parcours de Rachel Stein, une jeune femme juive qui survit à un massacre et s’engage dans la Résistance néerlandaise à la fin de la Seconde Guerre mondiale en devenant une espionne qui, sous le pseudonyme d’Elli de Vries, se rapproche d’un haut commandant nazi. Obsédé par la Seconde Guerre mondiale, Verhoeven a déjà consacré trois films à cette période de l’Histoire. La genèse du projet de Black Book remonte à 1977, à l’époque du film Le Choix du destin (Soldier of Orange, Soldaat van Orange). Après plus de vingt ans de recherches sur la Résistance aux Pays-Bas dont son grand-père a fait partie, avec Black Book, sans aucun manichéisme, Paul Verhoeven nous éclaire de manière réaliste sur des aspects jusqu’alors méconnu de la Seconde Guerre mondiale tout en utilisant une esthétique très hollywoodienne. Construit comme un véritable thriller aux multiples rebondissements Black Book (2006) est un film historique aussi monumental qu’authentique qui, basé sur des faits réels, témoigne crûment des horreurs de la guerre.
Steve Le Nedelec
Rétrospective Paul Verhoeven du 14 juillet au 1er août à la Cinémathèque Française.