Dans les Pyrénées, un loup attise la colère des villageois. Teddy, 19 ans, sans diplôme, vit avec son oncle adoptif et travaille dans un salon de massage. Sa petite amie Rebecca passe bientôt son bac, promise à un avenir radieux. Pour eux, c’est un été ordinaire qui s’annonce. Mais un soir de pleine lune, Teddy est griffé par une bête inconnue. Les semaines qui suivent, il est pris de curieuses pulsions animales…
Cinq ans après le petit bijou d’humanité et déjà étrange Willy 1er qu’ils ont réalisé à quatre avec Marielle Gautier et Hugo P. Thomas, le tandem issu de l’école de cinéma de Luc Besson que forment les frères jumeaux Ludovic et Zoran Boukherma revient avec Teddy, une nouvelle pépite qu’ils ont co-écrite et co-réalisée ensemble et à travers laquelle ils revendiquent pleinement l’utilisation du genre fantastique qu’ils détournent et décalent pour diffuser un message d’actualité sociale sur la différence, la tolérance, l’exclusion et la marginalité.
En sélection officielle du Festival de Cannes 2020 qui n’a pas pu se dérouler, Teddy réveille et revisite un classique du fantastique, le mythe du loup-garou. Ancré dans un contexte social et rural contemporain réaliste, avec Teddy dont l’action se déroule dans un petit village des Pyrénées, les frères Boukherma utilisent le genre pour parler du réel avec métaphore. De l’écriture à la mise en scène en passant par l’élaboration des storyboards ou encore le montage, Ludovic et Zoran Boukherma ont pour habitude de travailler ensemble sur chacune des différentes étapes du processus de création d’un film. Le tournage du film a duré six semaines et le montage vingt. Souhaitant laisser le spectateur dans l’attente et l’angoisse, les réalisateurs font le choix ici à plusieurs reprises de ne pas montrer à l’écran mais de suggérer la violence ou le monstre. Tout en privilégiant astucieusement le hors-champ et en jouant volontairement sur un ton humoristique décalé à la frontière de l’absurde et du grotesque (personnages, situations…), ils préfèrent laisser le spectateur face à sa propre imagination et, par une maitrise de la mise en scène, un sens du cadre et du montage, retardé au maximum le moment où la bête apparaîtra. Comme dans La Mouche (The Fly, 1986) de David Cronenberg, c’est par une succession de détails organiques (poils, ongles…) que la transformation de Teddy va se réaliser. C’est au fil des humiliations que Teddy subit et du mépris qu’il suscite que le monstre, symbolisant sa rage, va prendre forme et corps.
A la fois film fantastique, film d’épouvante, comédie burlesque décalée et, sur le fond, drame social, Teddy marque la rencontre improbable et réussie du P’tit Quinquin de Bruno Dumont avec les incontournables Hurlements (The Howling, 1981) de Joe Dante et Le Loup-Garou de Londres (An American Werewolf in London, 1981) de John Landis. Les frères Boukherma traitent ici avec humour noir des maux qu’engendre notre société qui touche et pousse à la marge la jeunesse sans avenir des classes sociales modestes et défavorisées des campagnes de tout un pays provoquant colère, frustration et rage des individus. Comme l’a magnifiquement fait Bong Joon-ho dans Parasite, Avec Teddy, les frères Boukherma nous montrent de manière figurée comment une accumulation de frustrations et d’humiliations quotidiennes entraînent une violence sourde et menaçante pouvant s’exprimer de multiples manières et prendre différentes formes selon les individus, comme mener à la marginalisation ou encore à une explosion animale, à une explosion monstrueuse. Teddy n’est donc pas responsable de ses actes. Il n’est pas coupable mais victime de ce que la société a fait de lui en l’excluant. Teddy nous dévoile la bête qui sommeille en beaucoup d’entre nous.
Originaires d’un milieu modeste, Ludovic et Zoran Boukherma ont grandi dans un village du Lot-et-Garonne victime de paupérisation où le cinéma était leur principal moyen d’évasion. Nés en 1992, comme ceux de leur génération, ils ont grandi avec les séries télé et les jeux vidéo et possèdent une culture plurielle. L’actualité cinématographique étant plutôt faible depuis les années 2000, pour se construire une culture cinématographique, ces derniers ont donc dû découvrir des films « plus anciens » par eux-mêmes et leurs nombreuses influences ne manquent pas d’enrichir Teddy.
« Et c’est encore plus vrai aujourd’hui où, je crois, les jeunes regardent Netflix avant de regarder les films de la Nouvelle Vague. » Ludovic Boukherma
« On peut regarder un film de Truffaut et jouer à GTA, il n’est pas question d’établir des hiérarchies.[…] Quand j’étais gamin, je crois que je n’ai jamais ouvert un bouquin. Je jouais à la PlayStation et j’adorais ça. […] Et puis à l’adolescence, c’est devenu un complexe. Du coup, j’ai fait un rejet de tout ça. Je me disais : c’est de la merde. Il faut lire, se cultiver. » Zoran Boukherma
Leurs goûts communs depuis l’enfance pour les mêmes émissions de télévision, livres et films leurs viennent principalement de leur mère qui est passionnée du cinéma de genre, des films de Wes Craven à ceux de John Carpenter, et une fervente admiratrice de Stephen King dont les œuvres Carrie et Peur Bleue ont indubitablement contribué à la création de Teddy. La scène du loto n’est d’ailleurs pas sans évoquer la scène du bal dans Carrie (1976) magnifiquement adapté à l’écran par Brian De Palma. Ce sont ces souvenirs qu’ils ont gardés de leur enfance et cette affection pour la France rurale de leurs racines qui prennent aujourd’hui toute leur importance dans la maitrise de l’univers que les réalisateurs exposent dans le film. Ce sont ces souvenirs et cette affection qui imprègnent Teddy d’une incontestable volonté de donner la parole et envie de montrer avec tendresse les gens et le monde d’où ils viennent et qui sont trop souvent ignorés du cinéma français comme ils sont oubliés des politiques publiques. Tendresse particulièrement visible non seulement à travers la manière dont ils disséminent les détails qui mettent en avant la ruralité de la province, comme par exemple le loto de la commune ou les banlieues pavillonnaires, mais aussi par la construction et les profils de leurs personnages ou encore par le casting parfait des comédiens du film.
Au centre des débats entre les éleveurs qui souhaitent éradiquer le loup pour qui il est la bête à abattre et les défenseurs de l’environnement qui eux souhaitent le réintroduire et le protéger, comme dans un conte pour enfant, le parallèle avec Teddy, le personnage principal du film qui incarne la figure mythique du loup-garou et que tous les villageois méprisent, les anciens réactionnaires comme les jeunes obscurantistes, et à qui il va s’en prendre, est évident. Orphelin et sans éducation, Teddy vit seul avec Pépin, son oncle adoptif. Crâne rasé et look de métalleux, Teddy est irrévérencieux et dérange tout le monde. Mais derrière l’image qu’il laisse transparaitre Teddy se révèle être un solitaire romantique qui ne cherche qu’à exister. Bien qu’il travaille dans un salon de massage et qu’il ait une petite amie, celui-ci à un mal fou à s’intégrer dans la société qui ne le définit que par ses origines sociales et passe son temps à le rejeter et le rabaisser. La société le traite en paria et l’a déjà condamné.
On retrouve dans le rôle principal le jeune et talentueux comédien Anthony Bajon qui, après que les réalisateurs ont eu vu La Prière (2018) de Cédric Kahn pour lequel le jeune comédien a obtenu l’Ours d’Argent du Meilleur Acteur au Festival du Film de Berlin en 2018, s’est imposé à eux avec évidence comme étant le personnage de Teddy. De son côté, Anthony Bajon a grandi en banlieue et a autant été touché par l’histoire et son traitement que par le personnage de Teddy dont il s’est senti proche.
« L’exclusion, la honte de se sentir différent, la difficulté à communiquer et à s’épanouir socialement sont des sentiments que je partage avec mon personnage. » Anthony Bajon
Habité par son personnage, l’époustouflante interprétation d’Anthony Bajon est d’une impressionnante authenticité. Brute et criante de vérité, celle-ci est confondante de naturel. Bien qu’il ne soit encore qu’au début de sa carrière qui s’annonce plus que prometteuse, après des apparitions dans Les Ogres (2016) de Léa Fehner, Médecin de campagne (2016) de Thomas Lilti ou Nos Années Folles (2017) d’André Téchiné, on a déjà pu voir Anthony Bajon à l’affiche de Rodin (2017) de Jacques Doillon, Maryline (2017) de Guillaume Gallienne, Tu Mérites un Amour (2019) de Hafsia Herzi, Au nom de la terre (2019) d’Edouard Bergeon, ou encore Paris-Brest (2020) de Philippe Lioret. Celui-ci sera également prochainement à l’affiche de Troisième Guerre réalisé par Giovanni Aloi, Un Autre Monde, le prochain film de Stéphane Brizé ou encore d’Une jeune fille qui va bien de Sandrine Kiberlain.
Formidablement incarné par le comédien non-professionnel Ludovic Torrent, le personnage à la fois drôle et émouvant de Pépin, l’oncle adoptif de Teddy, marque par son élocution singulière et touche en plein cœur. Juste, l’interprétation de Ludovic Torrent est tout simplement bouleversante.
Déjà à l’affiche de Willy 1er, on retrouve la comédienne-réalisatrice et scénariste Noémie Lvovsky (Ma femme est une actrice, 2001 ; France Boutique, 2002 ; Les Sentiments, 2002 ; Rois & Reine, 2004 ; Camille Redouble, 2011 ; Tristesse Club, 2014 ; Comme Un Avion, 2014 ; La Belle Saison, 2015 ; Les Estivants, 2018 ; Les Invisibles, 2019 ; A cœur battant, 2019…), étonnante de drôlerie dans le rôle de Ghislaine, la responsable du salon de massage et patronne de Teddy qui passe son temps à le harceler sexuellement.
Dans le rôle de Rebecca, la petite amie de Teddy, on découvre la comédienne Christine Gautier qui n’est autre que la sœur de Marielle Gautier, la coréalisatrice de Willy 1er. Les frères Boukherma ont déjà tourné deux courts-métrages avec l’actrice (La Naissance du monstre, 2018, qui est le projet à l’origine de Teddy et Blossom avant la nuit, 2019) et ont écrit le rôle de Rebecca pour elle. Christine Gautier sera également à l’affiche de L’Année du Requin, le prochain long-métrage des frères Boukherma, aux côtés de Marina Foïs, Kad Merad et Jean-Pascal Zadi.
Après des films comme Grave (2017) de Julia Ducournau, ou tout récemment, La Nuée (2021) de Just Philippot, ou encore, dans une moindre mesure, Revenge (2018) de Coralie Fargeat, qui ont eu une visibilité et su concilier (il était temps !) la presse, les programmateurs, les exploitants et les spectateurs, si besoin en était encore aujourd’hui, Teddy vient confirmer que le cinéma de genre est loin d’être une niche mais bien du cinéma à part entière. Ce qu’il a toujours été. Mais derrière cette poignée de films qui a eu l’honneur de connaitre une sortie sur grand écran, combien d’autres, aussi bons, n’ont pas eu la chance de trouver le chemin des salles ? Arrêtons une bonne fois pour toute de préjuger des attentes du public et du goût des autres pour justifier le fait qu’on ne veut pas programmer un film parce qu’il ne ressemble pas au dernier film qui a fait des entrées. Ces préjugés ne font que révéler un manque de curiosité, un manque de courage, un manque de goût, un manque de professionnalisme. Comme le goût est le reflet de la culture, on a les goûts de sa culture. Ces préjugés ne font que révéler le manque de culture de celles et ceux qui occupent les postes clés dont va dépendre la carrière et la vie d’un film mais qui ne sont en fait animés que de velléités de travailler dans le secteur cinématographique. Pour celles et ceux qui n’ont pas de culture cinématographique qui remonte avant les années 2000, sachez que l’histoire du cinéma témoigne du fait que les films dit « de genre » s’avèrent fréquemment être des films d’auteurs et des succès populaires qui, pour beaucoup, sont devenus des classiques incontournables. C’est pourquoi il est important de souligner ici le courage, l’engagement et le professionnalisme des producteurs (Baxter Films et Les Films Velvet) et du distributeur (The Jokers) de Teddy.
Aujourd’hui, aussi fan des grosses productions américaines que du cinéma d’auteur et des productions indépendantes dans lesquels ils trouvent différentes inspirations, les frères Boukherma parviennent à concilier et à faire coexister l’éclectisme de leur culture dans leurs œuvres qui sont l’exemple même d’un cinéma d’auteur populaire. Si besoin en est encore, Teddy démontre parfaitement que l’on peut faire une œuvre singulière et s’adresser dans le même temps à un large public.
Original, inventif et singulier, Teddy est une bouffée d’air frais. Teddy apporte du sang neuf dans la production du cinéma français et ça fait un bien fou. Teddy est une comédie fantastique efficace, riche en thématiques sociales et psychologiques, qui dépeint un formidable portrait satirique de notre société. Teddy fait rire. Teddy fait peur. Teddy fait réfléchir. Teddy est une réussite et les frères Boukherma de jeunes cinéastes pleins d’avenir.
En compétition au Festival Fantastic’Arts 2021, le Festival du Film Fantastique de Gérardmer, Teddy a remporté le Prix du Jury et le Prix du Jury Jeunes. Labellisé Cannes 2020, Teddy a également été présenté au dernier Festival de Deauville.
Steve Le Nedelec
Teddy un film de Ludovic et Zoran Boukherma avec Anthony Bajon, Christine Gautier, Ludovic Torrent, Guillaume Mattera, Noémie Lvovsky,… Scénario : Ludovic et Zoran Boukherma. Image : Augustin Barbaroux. Décors : Linda Yi. Costumes : Clara René. Montage : Ludovic et Zoran Boukherma et Beatrice Herminie. Musique : Amaury Chabauty. Producteur : Pierre-Louis Garnon. Production : Baxter Films – Les Films Velvet – The Jokers – Canal + – Ciné + – WTFilms – Indéfilms 8 – SofiTVciné 7. Distribution : The Jokers / Les Bookmakers (Sortie le 30 juin 2021). France. 2020. 88 minutes. Couleurs. Son : 5.1. Sélection Officielle, Festival de Cannes, 2020. L’Etrange Festival – Séance Spéciale, 2020. Festival de Deauville, 2020. Prix du Jury et Prix du Jury Jeunes, Gerardmer, 2021. Interdit aux moins de 12 ans.