Emanuelle (Laura Gemser) effectue un reportage photo, en immersion, dans un hôpital psychiatrique. Tandis qu’elle prend des photos à l’aide d’un appareil dissimulé dans une poupée, surgit dans le couloir une infirmière, la blouse déchirée et ensanglantée, un sein arraché. Dans une chambre, une jeune malade, retrouvée dans la forêt amazonienne, termine de manger le mamelon de l’infirmière. Les internes réussissent à lui passer une camisole de force et à la mettre sous sédatif. La sauvageonne intrigue Emanuelle. Profitant de la nuit, elle se glisse dans sa chambre. Elle est encore agitée. Emanuelle réussit à établir le contact en la masturbant. De retour à sa rédaction, Emanuelle découvre sur les clichés de la sauvageonne un étrange tatouage sur son pubis, le symbole des Tupinamba, une tribu de cannibales disparus…
Joe D’Amato est malin. Après une série de plans traditionnels sur New York, un carton nous précise que « Ce film raconte des faits réels décrits et rapportés par la journaliste Jennifer O’Sullivan ». Au vu de l’action, ce texte semble des plus fantaisiste. Qu’importe ! Ce qui compte, c’est le cinéma et grâce à cette petite note, D’Amato tente de justifier ce qui va suivre et d’accentuer un effet de réalité. Emanuelle et les derniers cannibales est un film érotique qui regorge de scènes d’horreur et d’effets gore. En 1977, nous sommes aux prémices de la déferlante italienne des films de cannibale qui déferlera avec Le dernier monde cannibale (Ultimo mondo cannibale, 1978) de Ruggero Deodato et surtout après Cannibal Holocaust. Emanuelle et les derniers cannibalesest le cinquième film de la saga Emanuelle Nera, débuté en 1975 avec Black Emanuelle (Emanuelle Nera) réalisé par Albert Thomas (Adalberto Albertini).
La saga est un démarquage d’Emmanuelle, succès planétaire.La grande chance de la saga est d’avoir trouvé en Laura Gemser l’interprète idéale. Laura Gemser est née en 1950 à Java, en Indonésie. Alors qu’elle n’a que trois ans, ses parents immigrent aux Pays-Bas. Magnifique jeune femme à la plastique parfaite, Laura est repérée en posant comme mannequin dans des magazines néerlandais. Elle tourne dans Emmanuelle 2 l’antivierge (1975) de Francis Giacobetti aux côtés de Sylvia Kristel, une autre néerlandaise. Il s’agit de sa deuxième apparition à l’écran après Amour libre (Amore libero – Free Love) en 1974 de Pier Ludovico Pavoni, une production italienne, où à son nom est substitué celui d’Emanuelle (déjà). Toujours est-il qu’après son rôle de masseuse hyper sexy dans Emmanuelle 2, Laura Gemser est aussitôt propulsée en tête d’affiche (sous son nom) avec Black Emanuelle (Emanuelle Nera, 1975) : le succès est immédiat. Laura Gemser épouse son partenaire Gabriele Tinti, et adopte la nationalité italienne. Suite au succès fracassant de Black Emanuelle, une suite est aussitôt mise en chantier. C’est Joe D’Amato qui prend la main. C’est le début d’une longue aventure cinématographique entre l’actrice et le réalisateur avec une trentaine de films à leur actif. Laura Gemser est l’une des plus grandes stars du cinéma érotique des années 70/80.
Joe D’Amato a un vrai sens du cinéma, celui acquis dans le cinéma d’exploitation, où chaque plan est utile, pas de gâchis, pas les moyens. Emanuelle et les derniers cannibales est tourné en grande partie en Italie dans une reconstitution de la forêt amazonienne. Les scènes à New York sont à la volée, très certainement en équipe très réduite, mais impeccables. Joe D’Amato se permet même une très belle scène de sexe sur les rives de l’Hudson. Emanuelle, contre un pilotis, s’abandonne à son partenaire, avec à l’arrière-plan le World Trade Center dans la brume. La scène est forte et érotique car D’Amato joue en permanence sur un sentiment de danger qui envahit le spectateur, l’interdit de la scène en extérieur et, bien sûr, de la transgression fantasmagorique.
Joe D’Amato est un excellent technicien. Directeur de la photographie avant de devenir réalisateur à part entière, il maîtrise son outil. Cette maîtrise est évidente, il ne tourne que le strict nécessaire pour le montage. Evidemment, cela peut avoir des limites, ses plans en « one shot » exigeant des acteurs d’être bons dès la première prise. Parfois D’Amato, à la tête d’une filmographie labyrinthique de plus de 200 films au compteur, bâcle quelque peu le travail, mais il y gagne dans le meilleur des cas en spontanéité. Sa série des Emanuelle est des plus réussie dans son domaine de l’érotisme « déviant ». Sa méthode, si méthode il y a, est des plus efficace : D’Amato entrecoupe ses scènes de sexe par le regard d’un personnage – voyeur, de manière à dynamiser la scène, sans nuire à l’érotisme de l’ensemble. Procédé qu’il utilise tout au long d’Emanuelle et les derniers cannibales, avec plusieurs variantes. La caméra de D’Amato est le plus souvent en mouvement, rarement fixe, la technique est totalement axée sur le dévoilement du corps. Joe D’Amato filme avant tout des corps, de préférence celui des femmes, Laura Gemser en tête, faisant passer au second plan le décor, et même l’intrigue, pour un univers où tout participe du fantasme.
Le mouvement est primordial dans le dispositif de mise en scène de Joe d’Amato. La caméra s’approche pour découvrir les corps, les saisir en plein ébats ou dans la solitude de l’autoérotisme. D’Amato, recherche systématiquement le cadre le plus subjectif possible tout en jouant sur des éléments masquants : rideau, culotte, partie du corps, afin d’accentuer un sentiment de voyeurisme et l’érotisme de ses scènes. Cette manière de faire lui permet une progression dans la découverte d’un corps. Ainsi, à titre d’exemple, tandis qu’Emanuelle et Mark (Gabriele Tinti) font l’amour, Isabelle (Monica Zanchi) cachée, les observe et se masturbe. La séquence fonctionne sur un montage parallèle entre les deux actions. Joe D’Amato réutilise le procédé avec Maggie (Nieves Navarro), qui seule dans son lit se masturbe en fantasmant sur un porteur noir. La force érotique de cette double situation s’équilibre en un jeu de plans serrés et larges, subjectifs et objectifs. D’Amato, entrecoupe parfois ses scènes de sexe, par des éléments saugrenus. Ainsi Emanuelle et Isabelle se lavent mutuellement dans une rivière, sous le regard d’un chimpanzé une Malboro aux lèvres. L’effet érotique est ainsi dévié vers une situation comique qui annihile l’érotisme. Tout est affaire de dosage et de rythme.
D’Amato, épuise ses séquences érotiques dans la première partie. Aussi pour maintenir l’attention et l’intérêt du film, il force alors sur la violence gore avec l’arrivée des cannibales, le but de l’expédition d’Emanuelle. L’érotisme subit alors une escalade dans la violence (ce qu’annonce le début du film), viol collectif et mutilation. Selon David Didelot : « la légende dit que David Cronenberg aurait imaginé Vidéodrome – ce canal maudit spécialisé snuffs movies – après avoir vu Emanuelle et les derniers cannibales. » Rien n’est moins sûr, mais après tout pourquoi pas ?
Aux côtés de Laura Gemser, D’Amato dévoile Monica Zanchi, Annamaria Clementi, et surtout l’Andalouse Neves Navarro (Susan Scott, au générique), rarement filmée de manière si intime et que les amateurs de cinéma Bis ont souvent croisée dans des westerns européens (Un pistolet pour Ringo, Le retour de Ringo, Colorado…), des giallos (Toutes les couleurs du vice, La peur au ventre…), des comédies érotiques (L‘infirmière du régiment…), etc. Elle est l’épouse du producteur et réalisateur italien Luciano Ercoli.
Emanuelle et les derniers cannibales, porte le sceau d’une époque révolue, mais qui résiste au temps.
Fernand Garcia
Emanuelle et les derniers cannibales, une édition Artus Films. Une édition indispensable pour tous les amoureux de Laura Gemser et d’un maître du cinéma d’exploitation, Joe d’Amato. En supplément : un portrait de Joe d’Amato par David Didelot. Belle introduction à l’auteur d’Anthropophagous, cinéaste multicarte, roi du cinéma d’exploitation, D’Amato est à la tête d’une filmographie labyrinthique (20 minutes). Toujours dans cette section, un diaporama d’affiches et de photos du film et enfin la bande-annonce originale très hot d’Emanuelle et les derniers cannibales (2,30 mn). Artus ajoute à cette belle édition combo (Blu-ray, DVD) un livret : Emanuelle au pays du sexe… et du sang par David Didelot, approche passionnante à l’iconographie impeccable affiches, photos d’exploitation et bien sûr de Laura Gemser (64 pages). Une édition indispensable pour tous les amateurs de Laura Gemser, d’érotisme légèrement transgressif et des cannibales.
Emanuelle et les derniers cannibales / Viol sous les tropiques (Emanuelle e gli ultimi Cannibali) un film de Joe d’Amato avec Laura Gemser, Gabriele Tinti, Susan Scott (Neves Navarro), Donald O’Brien, Percy Hogan, Monica Zanchi, Annamarie Clementi… Sujet : Aristide Massaccesi (Joe d’Amato). Scénario : Aristide Massaccesi (Joe d’Amato) et Romano Scandariato. Directeur de la photographie : Aristide Massaccesi (Joe d’Amato). Décors : Carlo Ferri. Costumes : Silvana Scandariato. Montage : Alberto Moriani. Musique : Nico Fidenco. Producteurs : Fabrizio de Angelis et Gianfranco Couyoumdjian. Production : Fulvia Cinematografica S.r.l. – Gico Cinematografica S.r.l. – Flora Film S.r.l. Italie. 1977. 93 minutes. Telecolor. Format image : 1,85 :1. 16/9e HD (1920/1080p) Son : Version Originale italienne sous-titrés en français et Version française. Interdit aux moins de 16 ans.