Lorsque Suze Trappet apprend à 43 ans qu’elle est sérieusement malade, elle décide de partir à la recherche de l’enfant qu’elle a été forcée d’abandonner quand elle avait 15 ans. Sa quête administrative va lui faire croiser JB, quinquagénaire en plein burn out, et M. Blin, archiviste aveugle d’un enthousiasme impressionnant. À eux trois, ils se lancent dans une quête aussi spectaculaire qu’improbable.
Deux ans après Au revoir là-haut, son ambitieuse et brillante adaptation du roman de Pierre Lemaitre qui lui a valu pas moins de 5 César dont celui du Meilleur Réalisateur, avec Adieu les cons, Albert Dupontel revient à nouveau des deux côtés de la caméra. Après Bernie (1996), Le Créateur (1999), Enfermés Dehors (2005), Le Vilain (2009), 9 Mois Ferme (2013) et Au revoir là-haut (2017), septième long métrage du cinéaste, Adieu Les Cons est une tragédie burlesque qui une fois de plus, à la manière singulière du cinéaste, commente le monde dans lequel nous vivons et dénonce les inégalités.
Féroce et décalé, aussi bien dans l’écriture, le ton ou encore dans la forme, Adieu les cons a pour thématiques centrales la filiation et la maternité. Si le burlesque est indéniable ici, l’émotion que dégage le film avec son propos grave et sérieux est elle aussi prépondérante. La situation est comique mais le ressort est dramatique. Le mélange des registres est parfaitement dosé et maitrisé pour à la fois distraire et faire réfléchir le spectateur. Parfaitement conscient de ce qu’il veut et de ce qu’il fait, aussi bien dans ses recherches que dans ses trouvailles visuelles, Albert Dupontel est un réalisateur anticonformiste, exigeant et passionné qui pense et ne laisse rien au hasard.
« L’idée du mélange des genres était en effet mon ambition intellectuelle de départ. Les films qui m’ont marqué véhiculent beaucoup ces deux sentiments (burlesque et émotion). De Chaplin à Terry Gilliam, en passant par Ken Loach. J’essaie de m’en faire l’écho. Mais quel que soit mon « sérieux », j’essaie surtout d’être distrayant. Le propos est grave mais l’ambition est que le spectateur voyage. » Albert Dupontel.
Ancrés dans la réalité et perdus dans leur solitude, laissés-pour-compte de la société, les personnages du film, évoluent dans l’univers unique et effréné du cinéaste et sont interprétés par des comédiens tous plus formidables les uns que les autres.
Le personnage de la coiffeuse Suze Trappet qui fait face à une administration indifférente est incarnée de manière humble et émouvante par Virginie Efira qui, à travers son jeu lui apporte tendresse et humanité. Condamné par la maladie pour avoir utilisé trop de laque, son personnage va transformer les vies de ceux qu’elle va rencontrer dans sa croisade. Pour lui donner la réplique, qui d’autre mieux qu’Albert Dupontel lui-même pour incarner le personnage inhibé, dépressif et suicidaire de JB ? Rare et exigeant, débordant d’humour (noir) mais aussi de colère, Albert Dupontel est un des seuls (le seul ?) comédiens à réussir à faire peur, rire et pleurer dans un même film.
Dans le rôle de Monsieur Blin, l’archiviste aveugle qui « voit » naître l’amour sous ses yeux, l’amour pour la vie, on retrouve l’irrésistible comédien Nicolas Marié dont l’apparente fragilité lui permet une interprétation énergique et inventive. Le comédien a tourné dans tous les films du réalisateur depuis 25 ans. Notons également que, comme toujours dans les films du cinéaste amoureux de ses personnages, les seconds rôles ne sont pas en reste et sont importants dans l’histoire.
Fondateur concernant la vocation du cinéaste pour la réalisation, dans une ambiance kafkaïenne à souhait qui raconte, avec une acuité remarquable, aussi bien la violence du monde du travail que les déviances et les dangers des institutions administratives et financières de nos sociétés, ou encore l’aseptisation des villes, le handicap, l’accouchement sous x, la maladie d’Alzheimer, le suicide et l’addiction à l’informatique qui nous isole et nous déconnecte des vrais sentiments, Dupontel rend une fois de plus hommage ici au réalisateur Terry Gilliam, ancien membre des Monty Python, et plus particulièrement à un de ses chefs-d’œuvre, Brazil (1985). De nombreux clins d’œil à Brazil sont présents dans le film à commencer par un caméo de Terry Gilliam lui-même dans le rôle d’un vendeur d’armes.
Dupontel déclare au sujet de Brazil : « J’y ai vu à l’époque tous mes rêves et tous mes cauchemars. La prophétisation sombre et joyeuse de Terry sur le monde qui venait me paraissait à l’époque d’une justesse incroyable et correspondait à un ressenti très fort. Je lui rends modestement hommage dans ce film en racontant les mêmes déviances kafkaïennes du monde de maintenant et j’y ai ajouté quelques clins d’œil, d’où le fait d’avoir nommé les personnages Kurtzman, Tuttle, Lint (les Braziliens comprendront). Terry lui-même est venu valider ce succédané Brazilien. Quand je lui ai fait lire le scénario, lui proposant le petit rôle du vendeur d’armes, il m’a dit : « Ton film est aussi improbable que la réalité, je viens ». ».
Pour rester avec les Monty Python, notons également qu’Adieu les cons est dédié à Terry Jones, autre membre du cultissime et délirant groupe d’humoristes anglais composé de six membres : Graham Chapman, John Cleese, Eric Idle, Michael Palin, Terry Gilliam et Terry Jones disparu en janvier dernier. Terry Jones incarnait Dieu dans Le Créateur, le deuxième film de Dupontel.
Si dans Adieu les cons on retrouve la précision du cadre, la minutie du rythme et du montage, la poésie des décors urbain magnifiés par Cédric Fayolle, l’efficacité des dialogues percutants, le superviseur des effets spéciaux, le travail soigné de la lumière et des couleurs aux accents expressionnistes d’Alexis Kavyrchine, ou encore le côté « faussement » – car très travaillé à la manière d’un cartoon – foutraque et furieux de la réalisation, le parti pris principal du réalisateur en termes de mise en scène dans ce film est indéniablement l’émotion.
Poétique, drôle, tendre, émouvant, absurde, furieux et désespérément noir, Adieu les cons est un magnifique conte à l’image de la personnalité de son auteur. Un film français intelligent et singulier dont on aurait tort de se priver. Adieu les cons atteint sa cible pour toucher en plein cœur.
Steve Le Nedelec
Adieu les cons un film de et avec Albert Dupontel et Virginie Efira, Nicolas Marié, Jackie Berroyer, Philippe Uchan, Bastien Ughetto, Marilou Aussilloux, Catherine Davenier, Michel Vuillermoz, Laurent Stocker, Bouli Lanners… Image : Alexis Kavyrchine. Décors : Carlos Conti. Costumes : Mimi Lempicka. Effets spéciaux: Mikros Images. Montage : Christophe Pinel. Musique : Christophe Julien. Productrice : Catherine Bozorgan. Production : ADCB Films – Gaumont – France 2 Cinéma. Distribution (France) : Gaumont (sortie le 21 octobre 2020). France. 2020. 87 minutes. Couleur. Format image : 2.39 :1. Tous Publics.