Rayna est une jeune fille au tempérament explosif et au visage d’ange. Avec sa mère et sa sœur, elles tentent de survivre en fabriquant des figurines qu’elles vendent aux touristes sur le bord de la route de leur village bulgare. Pour échapper à l’ennui de son existence, Rayna invente souvent des histoires. Mais ce jeu au début amusant finit par menacer le fragile équilibre de sa famille.
Tourné en Bulgarie dans le village où la réalisatrice possède une maison, Sister se déroule dans un environnement bien particulier et authentique qui, avec ses magnifiques plans-séquence, donne au film une atmosphère néo-réaliste. Si le film s’ouvre sur des étagères de figurines en terre-cuite et se clôture sur un mur d’argile, et si ce dernier est véritablement imprégné de cette matière et de sa couleur ocre, c’est parce que la terre de ce village l’est également et qu’elle représente une importante ressource économique pour les habitants. Chaque foyer pratique la poterie. A l’image des habitants, usés par leur labeur et leurs problèmes, les personnages du film sont inquiets pour leur survie. Leur vie est dure et leurs relations le sont également. Violents et vulgaires dans leur langage, tournés vers la terre, ils sont incapables de lever les yeux mais gardent au fond d’eux une profonde et véritable humanité. Faits d’argile eux aussi, les personnages du film restent cependant comme habités par une force divine.
Rayna, la jeune héroïne adolescente du film est formidablement interprétée par la stupéfiante et magnétique Monika Naydenova (actrice non professionnelle) qui était déjà le personnage principal de Thirst, le précèdent et premier film de la réalisatrice. Innocente, Rayna tente d’échapper à la dure réalité de sa condition par le mensonge. Imaginative et drôle au premier abord, elle s’invente un passé aussi épouvantable qu’incroyable qu’elle raconte à qui veut bien l’écouter à commencer par les touristes clients de la petite boutique où elle vend les figurines en glaises qu’elle fabrique avec sa mère et sa grande sœur. Mais son personnage au visage d’ange s’avère plus ambigüe. Prise à son propre jeu, son innocence et sa mythomanie vont s’avérer destructeurs et se retourner contre elle et les autres. Elle se retrouve victime de son imagination débordante. A ses côtés, la composition du comédien Assen Blatechky est admirable de justesse tant il interprète brillamment le personnage complexe de Miro, le voisin ferrailleur, et son évolution.
Née en 1977 en Bulgarie, Svetla Tsotsorkova est réalisatrice, productrice et actrice. Diplômée de l’Académie nationale d’art théâtral et de cinéma de Sofia, elle réalise Life with Sofia, un premier court-métrage sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes en 2004. Thirst, son premier long-métrage, a été présenté au Festival de San Sebastian en 2015, a participé ensuite à plus de soixante festivals et a été vendu dans 15 pays. Sister est son deuxième long-métrage. Avec Sister, Svetla Tsotsorkova nous raconte l’histoire d’une famille et des relations particulières qui se jouent entre trois femmes et un homme tout en abordant également d’autres thèmes comme la corruption et les violences policières ou encore l’émigration. La réalisatrice met en scène de manière aussi appliquée que réaliste, une famille composée uniquement de femmes et explore les différentes dynamiques sociales et psychologiques d’une famille dysfonctionnelle. Isolées et solitaires, ces femmes ont une relation à peine perceptible avec le monde en général et brutale avec les hommes en particulier. Elles n’ont plus confiance en rien ni en personne. Ne sachant plus comment appréhender ni comment communiquer pour atteindre autrui, elles ont développé une peur de l’autre accompagnée d’une perte de sincérité.
Svetla Tsotsorkova signe avec Sister un drame familial sombre et sensible. Un thriller psychologique rude qui marque surtout la révélation d’une fabuleuse comédienne. Un film à la fois âpre et attachant.
Steve Le Nedelec
Sister (Sestra) un film de Svetla Tsotsorkova avec Monika Naydenova, Svetlana Yancheva, Elena Zamyarkova, Assen Blatechky, Valentin Ganev, Ivan Savov, Alexander Benev… Scénario : Svetla Tsotsorkova et Svetoslav Ovcharov. Image : Vesselin Hristov. Montage : Svetla Tsotsorkova. Musique : Hristo Namliev. Producteurs : Svetoslav Ovcharov, Svetla Tsotsorkova et Khalil Benkirane. Production : Omega Films – Doha Film Institute. Distribution (France) : Tamasa (sortie le 7 octobre 2020). Bulgarie. 2019. 97 minutes. Couleur. Format : 2.35 :1. Festival du Films de Femmes de Créteil 2020 – Festival de la Rochelle 2020 – Festival à l’Est de Rouen 2019. Festival de San Sebastian, mention spéciale, 2019.