Boom, boom, boom ! Ça cogne dans la tête de Patrick (Robert Thompson). L’embout rond en fer du pied du lit de sa mère tape contre le mur et résonne dans la chambre de Patrick. Les coups épousent le rythme des râles de sa mère (Carole-Ann Aylett) et de son amant (Paul Young). La situation est insoutenable pour Patrick… Alors que le couple s’ébat joyeusement dans la baignoire, Patrice traîne un ancien chauffage à parabole, la résistance électrique projette sa lumière brûlante sur les parois du couloir. Le fil qui le relie à la prise électrique est suffisamment long jusqu’à la salle de bain. Patrick, sans l’ombre d’une hésitation, jette le chauffage dans la baignoire. Le choc est terrible… Kathy Jacquard (Susan Penhaligon), jeune infirmière, est embauchée dans la clinique du Dr. Roget (Robert Helpmann). En faisant le tour des chambres, elle découvre Patrick dans le coma depuis trois ans…
Allongé sur son lit, connecté à ses encéphalographes, Patrick est plongé dans le coma. Pourtant, il interagit avec son environnement. De manière imperceptible, il est le grand ordonnateur de ce qui l’entoure. L’arrivée d’une jeune infirmière, Kathy, compatissante (et jolie), va révéler ce qui jusqu’alors était de l’ordre du hasard et à quoi personne ne prêtait attention, pour basculer dans l’irrationnel. Kathy réussit à entrer en contact avec Patrick ou est-ce l’inverse ? Quoiqu’il en soit, la relation entre les deux bascule dans un climat inquiétant, Patrick va entretenir avec l’infirmière un lien affectif et sexuel des plus surprenant et dérangeant. Patrick est muré dans une zone floue, entre la vie et la mort, un mort-vivant pour le corps médical qui ne voit plus l’intérêt de le maintenir en vie. Patrick est un personnage inquiétant, mais pour lequel on peut ressentir de l’empathie dans sa lutte pour sa survie. Même s’il est en proie à de fortes impulsions de jalousie (envers ceux qui croisent Kathy) il n’en demeure pas moins humain.
Patrick tient de la gageure. Son « héros » est figé sur son lit, immobile et muet. L’acteur, Richard Thompson, réussit une performance en ne s’exprimant que par ses yeux exorbités sans le moindre mouvement des paupières. Si les yeux sont la porte de l’âme, dans le cas présent c’est plutôt de l’au-delà qu’il est question. Susan Penhaligon, l’infirmière Kathy, sur laquelle repose en grande partie le film, est excellente. Penhaligon était l’élément de charme de l’aventure préhistorique du Sixième Continent (The Land That Time Forgot, 1974) de Kevin Connor, et objet d’une folie religieuse dans l’excellent Mortelles confessions (House of Mortal Sin, 1976) de Pete Walker. Quant à Robert Helpmann (autre acteur aux yeux exorbités), son docteur pourrait être une sorte de pendant médical de Patrick. Pour ceux qui ont de la mémoire (et des souvenirs), il était des Chaussons rouges (The Red Shoes, 1948) et des Contes d’Hoffman (The Tales of Hoffmann, 1951) de Michael Powell et Emeric Pressburger. Il n’y avait aucun mérite puisqu’il s’agit d’un immense danseur. En 1973, il coréalise avec Rudolf Noureev, un des plus grands danseurs classiques du XXe siècle, Don Quichotte, ballet de Marius Petipa sur une musique de Ludwig Minkus, avec Geoffrey Unsworth (2001 : l’odyssée de l’espace) à la photographie. Le physique de Robert Helpmann le prédestinait à incarner l’ingénieux Hidalgo. Dans Patrick, Helpmann se délecte à incarner un docteur aussi parfaitement misogyne et odieux.
En cette fin des années 70, les pouvoirs télékinésiques sont à l’honneur, avec Carrie (1976) et Furie (1978)de Brian De Palma et surtout avec La Grande menace (The Medusa Touch) de Jack Gold. Son postulat de départ est assez proche de Patrick : un écrivain dans le coma (dégouté par le monde, il a pour projet de le détruire),mais s’en éloigne avec ses scènes dignes d’un film catastrophe (crash d’un avion, effondrement d’une cathédrale, etc.) et son casting quatre étoiles : Richard Burton, Lino Ventura et Lee Remick qui faisait, lui aussi, les beaux jours des amateurs d’intrigues paranormales à sensations fortes.
Richard Franklin est un réalisateur australien. En 1967, après des études en cinéma à Melbourne, il s’envole pour les Etats-Unis et étudie à l’USC. Grand admirateur des formes classiques du cinéma, il y rencontre Alfred Hitchcock et John Ford autour desquels il organise des rencontres-débats. Hitchcock l’invite à suivre le tournage de L’Etau (Topaz, 1969). Franklin découvre son mentor au travail. Après avoir fini ses études, plutôt que de devenir un rouage du système hollywoodien, Franklin rentre en Australie et débute à la télévision en réalisant des épisodes de séries TV, un passage à la pratique. Franklin apprend son métier sur le tas. Il expérimente et développe des techniques de suspense basées sur la fréquentation assidue des œuvres d’Hitchcock… et devient un spécialiste des meurtres et… des poursuites en voiture. Son sens du découpage et du rythme attirent l’attention sur lui. Il signe son premier long-métrage en 1975, The True Story of Eskimo Nell. Et sous le pseudonyme de Richard Bruce, l’année suivante, Fantasm, une comédie sexy à sketches, avec entre autres à son casting John Holmes, la grande star masculine du X, et quelques beautés explosives à forte poitrine.
Franklin arrive sur Patrick par l’entremise du réalisateur Simon Wincer, qui lui transmet le scénario d’Everett De Roche. Intéressé, il retravaille le script avec De Roche. Ils prennent comme référence les scénarios d’Alfred Hitchcock. Ils réussissent à mettre sur pied un thriller fantastique particulièrement efficace, et trouvent un juste équilibre entre les séquences de suspense et les respirations (teintées d’humour noir). Patrick est le deuxième scénario d’Everett De Roche pour le cinéma. Il avait œuvré dans la série TV et plus particulièrement sur Homicide (une référence de la télévision australienne). Série sur laquelle travaillait aussi Richard Franklin, mais pas sur les scripts de De Roche. Scénariste à l’imagination débordante d’étrangetés, De Roche va devenir l’une des signatures des plus célèbres des films fantastiques et des thrillers à haute tension australiens avec Long Weekend (1978) de Colin Eggleston, Harlequin (1980), Razorback (1984) de Russell Mulcahy. Toujours pour Richard Franklin, il signe l’étonnant Déviation mortelle (Roadgames, 1981) avec Stacy Keach et Jamie Lee Curtis et le bizarroïde Link en 1986, avec Elisabeth Shue, Terence Stamp et son chimpanzé tueur.
Après Patrick et Déviation mortelle, Richard Franklin cède aux sirènes hollywoodiennes. Il réalise avec une grande dévotion envers son mentor, Psycho II (1983) avec Anthony Perkins (Norman Bates). Il jette à la poubelle le roman de Robert Block, sorte de règlement de compte envers les studios, et repart du film. Le résultat est plus qu’honorable et d’excellente tenue, avec de véritables scènes à suspense dignes d’Hitchcock. En ce sens, il fait bien mieux que Gus van Sand et son pitoyable remake de Psycho (1998). Franklin est parfois producteur. Ainsi, on le retrouve au générique du Lagon bleu (The Blue Lagoon, 1980), une niaiserie ultra soft, réalisée les pieds dans l’eau par Randal « Grease » Kleiser.
Patrick remporte le Grand prix du Festival d’Avoriaz 1979, un peu à la surprise générale, devant L’Invasion des profanateurs (Invasion of the Body Snatchers, 1978) de Philip Kaufman. Roger Corman, président du jury, agréablement surprit par l’ampleur de la réalisation (et la qualité du scénario) dans le périmètre d’un budget des plus serré, soutient le film. Un bon coup de pouce, qui lance le film en France. Au niveau international, Patrick avait été repéré au marché du film de Cannes. Le succès du film a entrainé une suite « sauvage » pour le moins opportuniste et non officielle : Patrick vive ancora de Mario Landi avec Sacha Pitoeff et un quasi sosie transalpin de Richard Thompson. Invisible hors d’Italie par décision de justice, cette « suite » est accessible sur Youtube.
Patrick est l’un des fleurons de l’âge d’or du cinéma fantastique australien. Vague bénie du milieu des années 70 au milieu des années 80, où déboulèrent sur les écrans Pique-nique à Haging Rock (Picnic at Hanging Rock, 1975) et La dernière vague (The Last Wave, 1977) de Peter Weir, la série des Mad Max (1979) de George Miller, Harlequin (1980) de Simon Wincer, Le survivant d’un monde parallèle (The Survivor, 1981) de David Hemmings, Next of Kin (1982) de Tony Williams, etc. Réalisé avec soin, Patrick a très bien résisté à l’ « électrochoc » du temps. Un classique du genre.
Fernand Garcia
Rimini Editions nous propose en complément de Patrick une série d’interviews et de documents absolument essentiels et passionnants sur le film et ses auteurs. Une interview de Richard Franklin où le réalisateur évoque ses débuts (argumentés d’extraits rares de ses premières réalisations pour la télévision) et la conception et la réalisation de Patrick : « Ce qui m’intéressait ici, c’était comment la science et la science-fiction, ou la science et l’occultisme, convergent à un moment donné ». Il revient aussi sur son travail de producteur (Le Lagon bleu) et sur son film Déviation mortelle (25 minutes). Un document d’époque (1978), nous présente Richard Franklin en entretien et sur le tournage de Patrick (9 minutes). Enfin, sans langue de bois, Susan Penhalion, Richard Franklin, Everett De Roche et Antony I. Ginnane, se souviennent du tournage de Patrick, une mine d’informations sur le début de la Ozploitation (61 minutes). Le film-annonce original (1,44 minute) et un Spot (32 secondes) complète cette formidable section. Rimini ajoute un livret Patrick – Terreur à l’horizontale de Marc Toullec, pour revenir en détail sur l’aventure du film (20 pages). Une édition impeccable combo (DVD + Blu-ray).
Patrick un film de Richard Franklin avec Susan Penhaligon, Robert Helpmann, Rod Mullinar, Bruce Barry, Julia Blake, Robert Thompson… Scénario : Everett De Roche. Directeur de la photographie : Donald McAlpine. Décors : Leslie Binns. Effets spéciaux : Conrad Rothmann. Effets spéciaux optique : Roger Cowland. Montage : Edward McQueen-Mason. Musique : Brian May. Producteurs : Antony I. Ginnane & Richard Franklin. Production : Australian International Film Corporation. Australie. 1978. 113 minutes. Agfacolor. Panavision. Format image : 1.85 :1. 16/9e. Son : Version Française et Version Originale avec ou sans-titres français. DTS-HD. Grand Festival International d’Avoriaz, 1979. Interdit aux moins de 12 ans.