Ces garçons qui venaient du Brésil, est une œuvre autant imparfaite que fascinante. Le film de Franklin J. Schaffner adapté de l’auteur de Rosemary’s Baby, Ira Levin, est difficilement situable dans un genre particulier (tant sa stature à évolué au fil des progrès de la science), thriller, film à suspense, d’horreur, fantastique, d’anticipation, de science-fiction. Toujours est-il que cette histoire de manipulation génétique, sur fond d’idéologie nazie, fait, plus que jamais, froid dans le dos.
Au Paraguay, un apprenti chasseur de nazis, Barry Kohler (Steve Guttenberg) découvre au gré de ses filatures qu’une importante réunion d’anciens dignitaires du Troisième Reich doit avoir lieu dans la ville. L’homme à l’origine de cette rencontre n’est autre que le Dr Josef Mengele (Gregory Peck). Mengele enclenche une nouvelle phase d’une opération mise sur pied des années auparavant : ses partisans doivent commettre 94 assassinats de fonctionnaires aux quatre coins du monde. Kohler contacte Ezra Lieberman (laurence Olivier) et sa femme, Esther (Lilli Palmer) à Vienne, célèbres chasseurs de criminels nazis, qui ne le prennent pas au sérieux…
Ces garçons qui venaient du Brésil est une fiction construite autour d’un personnage bien réel : le Dr Josef Mengele. L’histoire reprend ses principaux traits de caractère et emprunte des éléments à sa sinistre biographie, mais ce n’est en aucun cas un biopic. Médecin-chef dans le camp d’extermination d’Auschwitz, Mengele y poursuit ses recherches en génétique. Surnommé « l’Ange de la mort », Mengele, un sadique entièrement dévoué au nazisme, pratiquait de monstrueuses expériences sur des êtres humains. Selon son propre fils, Josef Mengele ne témoignera jamais le moindre remords. A la fin de la Seconde Guerre mondiale, Mengele réussit à passer à travers les mailles des Forces Alliées et grâce à de nombreuses complicités, il trouve asile en Amérique du Sud. Un itinéraire qui le mène en Argentine, au Paraguay et enfin au Brésil où il décède en 1985.
Ces garçons qui venaient du Brésil, imagine simplement que Mengele poursuivit ses recherches de génétique afin de parvenir à l’édification d’un IV Reich, un monde aryen bâti par la science. Le postulat de départ peut sembler délirant, mais il s’appuie sur de réelles recherches et utilise tout au long de son intrigue de véritables expérimentations de Mengele. Ses expériences sur les jumeaux, sur la couleur des yeux, etc. renforce l’impression malsaine (et nécessaire) de vérisme du film qu’il relie aux avancées génétiques du moment.
Gregory Peck donne une interprétation époustouflante de Mengele. L’acteur a travaillé en profondeur son personnage, sa raideur, son ton cassant et son déterminisme imperturbable. Dès son apparition, savamment mise en scène par Schaffner, il dégage une aura diabolique. Tout au long du film, pas une fausse note, il est entièrement Mengele. Transformation étonnante pour un acteur qui a été souvent cantonné dans des rôles de héros du quotidien, personnages sympathiques auxquels les spectateurs pouvaient sans peine s’identifier. Peck tire même profit de ce qu’on lui a souvent reproché, cette froideur et cette distance de son jeu qui dans le film est intelligemment mise à profit pour la création de son personnage. Gregory Peck livre dans Ces garçons qui venaient du Brésil, certainement la plus impressionnante prestation de sa carrière.
Laurence Olivier est exactement à l’opposé de son personnage de nazi dans Marathon Man. C’est tout le mérite des grands acteurs que d’être absolument crédibles dans deux rôles parfaitement contraires. Nazi glaçant, grand et monstrueux dans le film de John Schlesinger, Olivier est, sous la direction de Schaffner, un Juif, chasseur de nazis, à l’accent à couper au couteau. Il donne même l’impression d’être physiquement plus petit que dans Marathon Man. Du travail de virtuose.
Franklin J. Schaffner met en scène avec une grande rigueur. Ce sérieux donne toute sa puissance au film. Pas la moindre fantaisie ou le moindre élément qui ferait s’effondrer l’édifice. Schaffner est un réalisateur qui a de l’envergure. Les grandes scènes ne l’effraient pas, il sait parfaitement mettre en scène des individualités, des personnages forts, dans des situations de conflit ou extrêmes, sans que jamais le décor ne prenne l’ascendant sur le jeu. Souvenons-nous de Charlton Heston au moyen âge dans Le Seigneur de guerre (The War Lord, 1965), le même dans le monde inversé de La Planète des singe (Planet of the Apes, 1968). George C. Scott, plus vrai et grand que nature dans Patton (1970), biopic sidérant préfigurant le colonel Kurtz d’Apocalypse Now. Steve McQueen et Dustin Hoffman bagnards dans Papillon (1973). George C. Scott, une nouvelle fois en Ernest Hemingway dans L’île des adieux (Islands in the Stream, 1977). Tout part de l’individu et de ses choix, bons ou mauvais, possibles ou impossibles, quelque soit le chaos qui l’entoure.
On pourrait penser que Franklin J. Schaffner est un simple cinéaste de biographie et rien de plus. Approche rapide et superficielle. Ses mises en scène distillent une forte dose de réalisme, mais elles s’en affranchissent par une approche tendant à l’abstraction. L’ouverture de Patton en est un parfait exemple : George C. Scott (en contre-plongée) avec en arrière-plan un immense drapeau américain. Caractérisation admirable d’un personnage et d’une idéologie de domination en un plan. Dans cette démarche, il trouve en Jerry Goldsmith un partenaire de choix (six films en commun). Le compositeur n’hésitant pas à innover avec des partitions à la lisère de l’expérimental.
Dans Ces garçons qui venaient du Brésil, Schaffner introduit une longue séquence d’explication assez surprenante et passionnante. Habilement, Schaffner lève le voile sur le futur de la manipulation génétique et pointe, déjà, ses dérives. La scène se déroule à l’institut de biologie de l’université de Vienne. Lieberman rencontre un professeur de biologie (incarné par Bruno Ganz) qui explique longuement (ses propos sont soutenus par un film scientifique) ce que la manipulation génétique va permettre de faire : la reproduction mononucléique, reproduire un animal à partir de lui-même, en gardant le patrimoine génétique. Un être sans père, ni mère, ce qui était possible sur des plantes et des animaux. Là où le film s’aventure est que cette possibilité est extensible à l’être humain.
Cette démonstration scientifique vire à l’horreur quand le biologiste se dit intéressé par les recherches de Mengele, faisant fi de sa monstruosité. Le film laisse clairement entendre que certaines recherches ne font que prolonger celles des nazis, à l’abri derrière une éthique forgée de toutes pièces au gré des intérêts. La biologie, la science, n’est plus qu’un rouage au service de régimes autoritaires, totalitaires, de démocraties en perte de repères ou tout simplement du commerce. Tout devient possible, instrumentalisé, elle sert tout autant de justification à des mesures politiques liberticides qu’à la régulation de la population, voire de l’ « amélioration » des gens avec son intervention directement dès la conception. Le film de Schaffner englobe toutes ces problématiques jusqu’au vertige. Ces garçons qui venaient du Brésil, déborde totalement de son cadre du film de science-fiction pour celui d’un nouveau réalisme.
Ces garçons qui venaient du Brésil, un film fort, très fort !
Fernand Garcia
Ces garçons qui venaient du Brésil, une édition (combo Blu-ray-DVD) d’Eléphant Films, avec en complément : A cause de 94 assassinats, une présentation par Julien Comelli : « un film étonnant à plus d’un titre et qui mérite d’être réévalué »(24 minutes). La bande-annonce d’époque (3 minutes) et une Galerie photos.
Ces garçons qui venaient du Brésil (The Boys From Brazil) un film de Franklin J. Schaffner avec Gregory Peck, Laurence Olivier, James Mason, Lilli Palmer, Steven Guttenberg, Uta Hagen, Denholm Elliott, Rosemary Harris, John Dehner, John Rubinstein, Bruno Ganz, Anne Meara, David Hurst, Jeremy Black… Scénario : Heywood Gould d’après le roman d’Ira Levin. Directeur de la photographie : Henri Decae. Décors : Gil Parraondo. Costumes : Anthony Mendleson. Montage : Robert E. Swink. Musique : Jerry Goldsmith. Producteurs : Sir Lew Grade, Martin Richards et Stanley O’Toole. Production : Producer Circle. Etats-Unis – Grande-Bretagne. 1978. 125 minutes. Couleur. Panavision. Format image : 1,85 :1. Full HD – 1920x1080p. Son : Version Originale avec ou sans sous-titre et Version Française. DTS Dual Mono 2.0. Interdit aux moins de 16 ans (visiblement le sujet avait terrorisé les membres de la censure).