Né le 22 juillet 1937 à Alès (Gard), Jean-Pierre Beauviala est l’un des plus grands inventeurs de l’Histoire du cinéma. Avec les inventions de ses dispositifs permettant l’enregistrement de l’image et du son, Jean-Pierre Beauviala a révolutionné l’écriture cinématographique elle-même. Attiré par l’Art et l’architecture appliquée à l’urbanisme, c’est à contrecœur qu’il effectue des études d’ingénieur en électronique à l’université de Grenoble où il enseignera également. Inquiet et concerné par l’urbanisation outrancière et absurde qui sévit dans les années 1960, notamment avec les banlieues qu’il qualifie de « villes criminogènes », tel un lanceur d’alerte, Beauviala est obsédé par l’idée de témoigner de l’état de la société en réalisant un documentaire sur la Villeneuve de Grenoble.
« Pour faire ce film, j’avais besoin d’un dispositif qui permette à la caméra de se mouvoir sans entrave et de capter en même temps plusieurs sons ». Jean-Pierre Beauviala.
Il invente alors lui-même les instruments qui lui manquent pour la réalisation de son projet : l’asservissement sur quartz des moteurs de caméra pour supprimer le fil entre caméra et magnétophone, le marquage du temps afin d’éliminer le clap et enregistrer le son sur trois enregistreurs différents dispersés dans divers lieux de la ville. Insatisfait des résultats qu’il obtient, le film ne se fera pas mais Beauviala continuera à inventer. Inventer des outils pour la création artistique. Inventer les outils techniques nécessaires et adéquats aux volontés créatives originales et singulières des artistes et des cinéastes. Le choix de l’outil devient partie intégrante de la forme et du sens de l’œuvre. Le choix de l’outil devient un choix esthétique, un acte formel dans la création artistique. Le choix de l’outil pour la création de l’œuvre devient acte fondateur de l’œuvre elle-même. Pour Beauviala, la création de l’image et son cadre doit traduire et dévoiler nos cadres de vie, traduire et dévoiler notre monde.
Après avoir travaillé un temps comme ingénieur conseil à la tête du bureau d’étude de la société Éclair, l’ingénieur crée sa société Aaton en 1971 à Grenoble et développe des caméras légères, dont la fameuse dite du « chat sur l’épaule » née en 1972 suite à la simple observation de la position d’un chat posé sur l’épaule, qui accompagneront bon nombre de chefs-opérateurs et de cinéastes comme Louis Malle, Jean Rouch, Raymond Depardon, Peter Greenaway, Leos Carax, Walter Salles, Xavier Beauvois ou encore Kathryn Bigelow.
Sortie en 1973, la première caméra LTR 16mm Aaton devient instantanément le symbole de liberté des documentaristes du monde entier. Première caméra vidéo de poing, la Paluche a inspiré de vidéastes et permis notamment à Claude Lanzmann de filmer à leur insu les nazis présents dans son film Shoah (1985). Du moteur quartz qu’il a développé dans son grenier, à la Libellule, le dernier prototype de caméra miniature ultra-légère faite pour coller à l’oeil sur lequel il travaillait encore avant de décéder en avril 2019 à l’âge de 81 ans, en passant par l’éventail de la Penelope, du 35mm au numérique avec la Penelope-Delta qui donne à l’image numérique, trop régulière et donc trop nette, la douceur et les nuances que permet la pellicule 35mm, l’Aaton 7, l’Aaton LTR avec le marquage temps et la reprise vidéo, l’évolution des Aaton 16mm et Super 16mm, l’AatonCode, l’ Aaton XTR, le Keylink qui équipe aujourd’hui tous les laboratoires techniques du monde, l’Aaton 35 (à la demande de Jean-Luc Godard), l’A-Minima ou encore l’enregistreur numérique Cantar X1, ce ne sont pas moins de 45 brevets d’invention qu’a déposés Jean-Pierre Beauviala en 50 ans.
Parmi les inventions les plus marquantes de ce passionné de la mise en forme et des outils d’interprétation et de représentation du monde, des hommes et de la nature, on notera le « marquage temps » (timecode) qui consiste à inscrire en seconde le temps de prise de vue sur le bord de l’image et à le reporter sur la piste de la bande-son, mais aussi le « système à quartz » qui permet de contrôler la synchronisation entre le son et l’image ou de couper le lien entre les deux. Également passionné par la notion du temps, liant l’image et le son entre eux, les multiples inventions du visionnaire Jean-Pierre Beauviala ont grandement participé aux évolutions techniques des différents éléments de synchronisation présents dans la chaîne de création cinématographique comme le montage ou encore le mixage.
La section « Hommage à Jean-Pierre Beauviala » a rendu hommage à l’incroyable aventure artistique et industrielle de cet artiste singulier qui nourrissait un rapport intime aussi bien technique que poétique au cinéma, en deux films uniques et très différents présentés par la directrice de la photographie Caroline Champetier : Démineurs de Kathryn Bigelow et Holy Motors de Leos Carax.
Steve Le Nedelec