1922, en pleine mer Egée sur une barque de misère de l’Achilles, Adam Dyer (Tony Curtis) dérive. Il écope l’eau qui a envahi la coque quand il aperçoit au loin un navire de pêcheurs, le Cybèle. A son bord, Josh Corey (Charles Bronson) et un équipage de margoulins. L’accueil d’Adam n’est pas des plus enthousiastes. 500 dollars or ont vite fait de convaincre Josh d’accueillir Adam à bord… mais parmi l’équipage l’appât du gain est trop fort…
Les Baroudeurs c’est du grand cinéma romanesque d’aventure, de l’action pure, un duo de héros explosifs, une femme fatale à la beauté troublante, des paysages grandioses, des dialogues brillants, du cinéma qui donne envie de revenir au plus vite dans les salles.
« Quand ça va mal, il n’y a plus que Dieu et le soldat. Quand ça va mieux, Dieu est ignoré et le soldat oublié. Gagnant ou perdant, c’est la même chose. » Josh Corey
Les Baroudeurs débute dans les derniers jours de l’Empire Ottoman pour s’achever à l’émergence de la République de Turquie et l’abolition de la monarchie ottomane. Nos deux héros de circonstance sont plongés dans un pays qui mène une guerre interne et externe, période de grande confusion et de massacres (que le film évoque). Josh Corey, soldat perdu de la Première Guerre mondiale, resté sur le théâtre du conflit, est devenu avec ses hommes, un mercenaire. Il va au plus offrant, sans états d’âme et sans la moindre illusion sur la nature humaine. Quant à Adam, il a perdu ses bateaux durant la guerre à l’exception d’un seul, arraisonné par les Allemands et désormais propriété des Turcs, l’Empire Ottoman durant la guerre ayant été du côté Austro-hongrois et de l’Allemagne. Nos héros avec un chargement de fusils-mitrailleurs à vendre vont se mettre au service du sultan de Turquie dans un empire miné par la révolution. Josh et Adam vont de deal en deal. Ils font un long voyage à travers la Turquie en s’arrangeant avec les différents belligérants. C’est un festival de duperie, de petits arrangements, tout le monde trompe tout le monde. Le scénario renvoie dos à dos toutes les idéologies. Les Baroudeurs est un divertissement qui n’en oublie pas pour autant la souffrance des populations soumises à toutes sortes d’exaltations, exodes, massacres, exécutions arbitraires. Les autorités turques n’en sortent pas grandies. On s’étonne même que le film ait pu être intégralement tourné dans différents sites du pays. Il semblerait que Les Baroudeurs soit toujours interdit en Turquie.
Le couple Bronson / Curtis fonctionne à merveille, il faut reconnaître qu’ils ont des dialogues parfaitement ciselés à la hauteur de leur personnalité. Ils s’amusent à jouer les rivaux mais sont en réalité complices et inséparables, et on marche à fond. Bronson et Curtis sont dans leur domaine de jeu et ils y excellent. Charles Bronson, l’homme viril, mufle et cynique, Tony Curtis, charmeur et désinvolte, association impeccable. Le côté glamour vénéneux est merveilleusement assuré par Michèle Mercier, l’héroïne de la série des Angélique, qui a de quoi transformer le moindre des mercenaires en serviteur docile. Dommage qu’elle n’ait pas eu des films à la hauteur de son charme.
Formé à la télévision anglaise, Peter Collinson réalise son premier film, La Nuit des alligators (The Penthouse), en 1967, un thriller vénéneux avec Martine Beswick. Il rencontre un immense succès avec L’or se barre, époustouflant polar So British dominé par un Michael Caine impérial et célèbre pour une poursuite en Austin Morris d’anthologie. Les Baroudeurs suit directement ce classique du cinéma anglais. La mise en scène de Peter Collinson est très précise, son découpage technique devait être des plus élaborés. Il suffit pour s’en rendre compte de voir comment intervient le générique du début, sur Charles Bronson en gros plan jouant de la guimbarde (un hommage à Sergio Leone, à ne pas en douter). Mais le film est plutôt sous l’aile de John Huston et Robert Aldrich. On y pense à plusieurs reprises tant l’itinéraire absurde de ces hommes s’apparente à certains de leurs grands films d’aventures. Les scènes spectaculaires ne manquent pas : attaque du train, bombardement d’un village au canon, d’un camp grec par l’aviation, la prise d’assaut d’un navire. Elles sont réalisées avec un époustouflant brio. Espérons que d’autres films de Collinson, plus méconnus, puissent enfin être (re)découverts, c’est-à-dire tout son cinéma des années 70/80. Rien qu’à lire les titres : La peur (Frights, 1971), Les colts au soleil (The Man Called Noon, 1973), La nuit de la peur (The Spiral Staircase, 1975), Le sursis (The Sell Out, 1976), Un risque à courir (Target of an Assassin, 1977), Demain, la fin (Tomorrow Never Comes, 1978) etc. on y devine une violence cauchemardesque, tant Collinson aime les situations tendues. En même temps, quand on signe plusieurs films avec William Holden, Anthony Quinn, Richard Widmark et surtout Oliver Reed, le doute n’est pas vraiment de mise. Petite curiosité, Chasse sanglante (Open Season) qu’il réalise en 1974, fait partie des rares films à avoir été classé X en France pour incitation à la violence, une classification délirante.
Le scénario est de la main de Leo V. Gordon, l’acteur qui incarne Bolek, le mercenaire bras droit de Josh Corey. Leo Gordon, grand, visage dur, ne correspond que vaguement à l’idée que l’on se fait d’un romancier. Il est pourtant l’auteur d’une cinquantaine de scénarios pour la télévision et le cinéma. Il faut dire que sa vie est pour le moins romanesque. Né en 1922 à New York, il est élevé par son père dans une grande misère. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, après deux années sur le théâtre des opérations, il s’installe à Los Angeles. Avec une bande de criminels, il attaque un café, le hold-up tourne mal. Gordon est blessé au ventre par un policier. Condamné, il passe cinq ans à la prison de San Quentin. Il y dévore toute la bibliothèque. A sa sortie, il suit des cours d’art dramatique. Jason Robards le forme. Il joue les durs dans des séries. Don Siegel lui donne son premier rôle important, celui d’un taulard, dans Les révoltés de la cellule 11 (Riot in Cell Block 11, 1954). Collaborateur régulier de Roger Corman, il écrit et joue pour lui. Il est d’ailleurs excellent dans The Intruder (1962). Leo Gordon est une figure récurrente du western et des séries. Il est décédé le 26 décembre 2000.
Les Baroudeurs, c’est de l’aventure à une époque où elle rimait avec tournage épique et extérieurs grandioses, loin de la fadeur des effets numériques et écrans bleus d’aujourd’hui.
Fernand Garcia
Très beau report HD que nous propose Sidonis – Calysta pour Les Baroudeurs (pour la première fois en Blu-ray), en supplément : un intéressant montage de plusieurs entretiens TV avec Tony Curtis. Il est ce qu’on appelle en télévision un « bon client », drôle, spirituel, sincère. Curtis évoque avec humour l’enfer du tournage de Certains l’aiment chaud : les retards de Marilyn Monroe, alors que Jack Lemmon et lui étaient prêts à tourner dès 8h, après de longues séances d’habillement et de maquillage, et qu’elle n’arrivait sur le plateau qu’entre 11h et midi. Billy Wilder les avait prévenus : 40 prises par phrase pour Marilyn avant qu’elle ne soit bonne, et que cette prise, il la garderait au montage final, faute de mieux (40 minutes). Quant à Patrick Brion peu inspiré par le film, il livre un commentaire dispensable sur le film (10 minutes).
Les Baroudeurs (You Can’t Win “Em All) un film de Peter Collinson avec Tony Curtis, Charles Bronson, Michèle Mercier, Patrick Magee, Fikret Hakan, Gregoire Aslan, Leo Gordon, Horst Janson, John Alderson, John Acheson, Tony Bonner, Howard Goorney… Scénario : Leo V. Gordon. Directeur de la photographie : Kenneth Higgins. Costumes : Dinah Greet. Décors : Seamus Flannery. Montage : Raymond Poulton. Musique : Bert Kaempfert. Thème : Bert Kaempfert et Herbert Rehbein. Producteur : Gene Corman. Production : S.R.O. Company Inc. – Columbia Pictures. 100 minutes. Eastmancolor. Panavision. Format image : 2,35:1. Son : Version Original avec ou sans sous-titre français et VF. Tous Publics.