Paul, un jeune garçon solitaire, rencontre Gloria, la nouvelle patiente de la clinique psychiatrique où travaille sa mère. Tombé amoureux fou de cette adolescente trouble et solaire, Paul va s’enfuir avec elle, loin du monde des adultes…
« Il suffit d’un peu d’imagination pour que nos gestes les plus ordinaires se chargent soudain d’une signification inquiétante. Pour que le décor de notre vie quotidienne engendre un monde fantastique. Il dépend de chacun de nous de réveiller les monstres et les fées. » Boileau-Narcejac.
L’amour. Ou rien. L’amour. Aveugle. Toxique. Fou. Dévastateur. L’amour et rien d’autre. Adoration est une puissante histoire d’amour absolu entre deux adolescents, Gloria et Paul. L’amour absolu et exclusif est-il un amour malade ? Après Calvaire (2004) et Alléluia (2014) (et après un passage au Etats-Unis avec Message From The King (2016)), Adoration, le sixième long métrage du cinéaste belge Fabrice Du Welz, vient conclure de la plus belle des manières sa Trilogie des Ardennes.
Conte cruel et bouleversant racontant la balade sauvage de deux adolescents en manque d’affection perdus dans la « brume » du monde des adultes qui s’évadent par le fantasme, Adoration est une œuvre délicate et épurée aussi passionnée que passionnante. Influencé, comme en atteste la citation de Boileau-Narcejac au début du film, par le réalisme poétique du cinéma français des années cinquante (de Cocteau à Carné en passant par Duvivier, Melville ou encore Franju), par l’œuvre de Rossellini (Rome ville ouverte, 1945 ; Allemagne année zéro, 1947 ; Stromboli, 1950 ; Europe 51, 1952 ; Voyage en Italie, 1954 ;…) et par La Nuit du Chasseur (The Night of the Hunter, 1955) de Charles Laughton avec Robert Mitchum – film préféré du réalisateur – Fabrice Du Welz nous offre avec ce drame psychologique qui traite de l’innocence, de sa perte, de la bonté et de l’amour, un véritable poème. Il nous invite à un voyage pudique au cœur l’intime, au cœur de la psyché. Un voyage initiatique situé entre rêve et réalité.
« Adoration s’ouvre sur une citation de Boileau-Narcejac. Une citation qui provient du court-métrage de Franju, La première nuit. Je voulais ancrer le film dans un réalisme poétique avec une vraie filiation. » Fabrice Du Welz.
Tourné en pellicule 16 mm afin que l’esthétique serve au mieux la poésie de son sujet, tout au long du film, la caméra du réalisateur épouse le regard du jeune Paul. Elle suit ses deux jeunes personnages au plus près et capte comme nulle autre la spontanéité des comédiens et la pureté de l’instant en évitant finement toutes pudibonderies ou jugements moraux.
Le jeune couple star au cœur du film est incroyablement incarné à l’écran par de très jeunes et bouleversants comédiens plein d’avenir. Leur jeu est époustouflant de maturité et de sincérité. Le personnage de Paul est remarquablement interprété par Thomas Gioria que l’on a découvert à l’affiche de Jusqu’à la Garde (2017) de Xavier Legrand. Face à lui, le personnage de Gloria est tout aussi parfaitement et justement interprété par la jeune Fantine Harduin qu’a révélé au grand public le cinéaste Michael Haneke dans Happy End en 2017.
A leurs côtés, on retrouve l’immense Benoît Poelvoorde (C’est Arrivé Près de Chez Vous, 1992 ; Les Randonneurs, 1996 ; Les Convoyeurs Attendent, 1999 ; Les Portes de la Gloire, 2001 ; Entre Ses Mains, 2005 ; Cowboy, 2005 ; Le Grand Soir, 2011 ; Les Rayures du Zèbre, 2013 ; La Rançon de la Gloire, 2013 ; Le Tout Nouveau Testament, 2014 ; Saint Amour, 2016 ; Le Grand Bain, 2018 ; Au Poste !, 2018 ;…) particulièrement émouvant ici dans le rôle poignant d’Hinkel, vieil homme, un peu fou lui aussi et fatigué par la vie, en qui Paul va se reconnaître.
Geste de cinéma aussi généreux par son sujet que singulier par son traitement et son esthétique, au sortir de la projection d’Adoration, on ne peut qu’être profondément marqué par le film tant il est différent, par le fond et la forme, de ce que l’on peut voir aujourd’hui sur nos écrans. Fragile, à l’image des sentiments et des passions qui habitent et animent les hommes et les personnages en devenir de cette histoire, Adoration invite le spectateur à vivre une expérience cinématographique à la fois sensorielle, sensuelle et tumultueuse. Appuyées par les superbes décors du directeur artistique Emmanuel Demeulemeester qui viennent traduire de manière visuelle les états mentaux des personnages, le fantastique travail effectué sur la photographie par le chef opérateur Manu Dacosse (Amer, 2009 ; Mobile Home, 2012 ; L’Etrange Couleur des Larmes de ton Corps, 2013 ; Alléluia, 2014 ; Evolution, 2015 ; Laissez Bronzer les Cadavres, 2017 ;…) et renforcées par la sublime bande-originale signée par le compositeur Vincent Cahay, l’atmosphère et l’ambiance d’Adoration nous submergent, nous transportent ailleurs et nous envoûtent littéralement.
Lyrique, contemplatif, introspectif, surréaliste et exalté, Adoration témoigne de l’intégrité d’un cinéaste qui, sans faire de concession, ose créer avec ce film une authentique et sincère proposition cinématographique. Une proposition artistique originale et singulière qui fait d’Adoration une œuvre brillante, sensible et précieuse. Fascinant.
Steve Le Nedelec
Adoration un film de Fabrice Du Welz avec Thomas Gioria, Fantine Harduin, Benoît Poelvoorde, Laurent Lucas, Béatrice Dalle, Gwendolyn Gourvenec, Charlotte Vandermeersch, Peter Van den Begin, Martha Canga Antonio, Anaël Snoek… Scénario : Fabrice Du Welz, Romain Protat et Vincent Tavier. Image : Manuel Dacosse. Décors : Manu de Meulemeester. Costumes : Christophe Pidre et Florence Scholtes. Montage : Anne-Laure Guégan. Musique : Vincent Cahay. Producteurs : Manuel Chiche et Vincent Tavier. Production : Panique – The Jokers Films – Savage Film – One Eyed – Scope Pictures – BE TV – RTBF. Distribution (France) : Les Bookmakers – The Jokers (sortie le 22 janvier 2020). Belgique – France. 2019. 98 minutes. Couleur. Pellicule 16 mm. Format image : 2.35 :1. DCP. Tous Publics. Sélection Mondovision, L’Étrange Festival 2019.