Saturn 3 – Stanley Donen

Un immense vaisseau spatial s’approche de Saturne. A l’intérieur, tout est en place pour le lancement d’un module. Le capitaine James doit rejoindre Saturne 3, un satellite de Saturne, où vivent Adam (Kirk Douglas) et Alex Farrah Fawcett). Dans la salle de préparation James rencontre le commandant Benson (Harvey Keitel), ce dernier a raté les testes psychologiques lui interdisant ainsi de se rendre sur Saturne 3. Tandis que James se prépare, Benson s’attache sur un siège puis ouvre le sas de sécurité donnant sur l’espace. James propulsé hors du vaisseau se fracasse contre une grille de sécurité qui le déchiquette en mille morceaux. Benson usurpe l’identité de James et se présente sur l’aire de lancement. Il quitte le vaisseau-mère pour Saturne 3…

Saturn 3 regorge de bonnes idées, la première d’entre elles est la force motrice du film, l’hyper sexualisation des personnages. Adam et Alex, seuls sur Saturn 3, ont une sexualité épanouie, libre, sans complexe et tabous. Le Capitaine James est à l’opposé: un psychopathe, obsédé sexuel. Il n’hésite pas à proposer à Alex des pilules blues, une drogue destinée à supporter la solitude et à faire des « rêves blues » que l’on imagine violemment érotiques. « – Vous avez un très beau corps, puis-je m’en servir ?J’appartiens au Major. – Pour sa consommation personnelle ?Oui.Cette pratique antisociale constitue un délit sur la terre. » La fixation de capitaine James sur Alex laisse supposer que les rapports homme / femme ne sont pas si simples sur Terre. Alex qui n’est jamais allée sur Terre ne connaît rien aux conventions en usage (le spectateur non plus, mais on suppose que ce n’est pas simple). Dans le mystère qui entoure le capitaine James on peut supposer qu’il n’est allé sur Saturn 3 que pour elle, mais dans quel but ? La soumettre ? En faire son jouet ? Pour une expérience perverse ? Pour une progéniture?

L’autre idée majeure du film est que l’obsession maladive du capitaine envers Alex est transmît au robot. Le capitaine charge la mémoire du robot de tous ses sentiments troubles. Le robot qui devait être une aide pour le couple afin de poursuivre leurs recherches n’est plus qu’un agrégat de pulsions sexuelles, le double du capitaine James. La grande erreur du scénario est de ne pas expliciter ce rapport aux femmes (sur terre, dans l’espace) ce qui a pour effet de rendre le comportement du capitaine obscur si on ne prend pas en compte ce postulat. Ainsi l’affirmation du capitaine que « sur Terre, on se sert les uns des autres pour se donner du plaisir » est plus qu’ambiguë, a-t-il déjà croisé la moindre femme ? Le prénom même d’Alex (Axelle dans la version française) joue lui aussi sur l’ambiguïté. Adam comprend vite le danger. Le capitaine représente la modernité, il apporte le robot, un « demi-dieu », une intelligence artificielle, un nouveau mode de vie, Adam représente la préservation d’un mode de vie plus ancien. Saturn 3 est la description de la lutte de ces deux hommes puis du robot pour la possession d’une femme, de son corps. Evidemment, la possession de la femme par le robot devient absurde, sans but, absolument stérile.

Comme pour nombre de films de science-fiction qui l’ont précédé, Silent Running (1972) ou Soleil Vert (Soylent Green, 1973), pour n’en citer que les plus emblématiques, Saturn 3 a un sous-texte écologique. Saturn 3 est une station de recherche pour l’alimentation de la Terre. La Terre évoquée par les protagonistes est un lieu de cauchemar étouffant ses habitants affamés sous une effroyable couche de pollution.

Saturn 3 est né dans l’esprit de John Barry, un passionné de science-fiction. Il ne faut pas se méprendre, il y a deux John Barry dans le cinéma anglais, le premier est compositeur, le second est architecte-décorateur. On doit au premier les formidables scores des James Bond, Vivre Libre, Amicalement vôtre, Grands Fonds, Out of Africa, Danse avec les loups, etc. Le second n’est pas en reste avec les décors futuristes d’Orange Mécanique (1971), ceux de La Guerre des étoiles (1977) et de Superman (1978). Pour Saturn 3 c’est le second John Barry qui nous intéresse. Kubrick le recommande à Stanley Donen. John Barry signe pour lui les décors du Petit Prince (1974) et des Aventuriers du Lucky Lady (1975). C’est sur le tournage de ce dernier film que John Barry lui soumet un synopsis sur lequel il travaille depuis longtemps. Si la science-fiction n’est pas la tasse de thé de Stanley Donen, il est toutefois intrigué par le sujet. Donen propose à John Barry de produire son film.

Les années passent, le synopsis de départ s’est étoffé, Martin Amis en tire un scénario. Stanley Donen, qui vient de tourner Folie-Folie (Movie Movie, 1978) pour Lew Grade, le convainc  de financer Saturn 3. L’idée est originale et de plus, la science-fiction fait un retour en force sur les écrans après le succès phénoménal de La Guerre des étoiles, le genre est dans l’air du temps et tous les studios s’y mettent: L’Age de Cristal (1976), Rencontres du troisième type (1977), Les survivants de la fin du monde (1977), Alien (1979), ce ne sont là que quelques titres apparus sur les écrans en tout justes trois années, bien d’autres titres se bousculent aux portions des années 80.

Saturn 3 est mis en production avec un budget conséquent. John Barry s’attèle à la préparation de sa première réalisation, il choisit pour les décors Stuart Craig qui l’a assisté sur Superman. C’est le début d’une formidable carrière de chef décorateur pour Stuart Craig qui enchainera avec Elephant Man (1980), Gandhi (1982), Les liaisons dangereuses (Dangerous Liaisons, 1988), toute la série des Harry Potter, etc.

Au cours d’un voyage, Lew Grade rencontre Farrah Fawcett dans l’avion. Farrah est une énorme vedette grâce à la série T.V. Drôle de dames. Elle est devenue un des sex-symbols de l’Amérique, son poster s’est arraché à des millions d’exemplaires. A l’atterrissage, Farrah accepte d’incarner Alex. A la clé pour elle, un très gros cachet. Au côté de Farrah, il faut une autre star, Lew Grade opte pour Kirk Douglas. L’acteur mythique de Spartacus accepte la proposition, enthousiaste à l’idée de participer pour la première fois à un film de science-fiction.

Face à ses deux stars, la production cherche un acteur solide, qui puisse être crédible en méchant face à Kirk Douglas et surtout avec un salaire inférieur aux deux stars. Lew Grade réussit à obtenir Harvey Keitel, acteur exigeant d’un cinéma d’auteur haut de gamme. Keitel est connu pour ses impressionnantes compositions dans les films de Martin Scorsese, truand dans Means Streets, proxénète dans Taxi Driver. Ce qui le motive avant tout, c’est le personnage et la personnalité du réalisateur, il n’hésite pas à donner leur chance à des jeunes: Alan Rudolph avec Welcome to L.A. (1976), Ridley Scott avec Les Duellistes (The Duellists, 1977), James Toback avec Mélodie pour un tueur (Fingers, 1978) ou au scénariste de Taxi Driver Paul Schrader pour sa première réalisation Blue Collar (1978). Keitel est alors en Europe et termine le tournage de La Mort en direct de Bertrand Tavernier.

La production fait construire un robot à l’apparence humaine. Travail fastidieux qui demande une année de mise au point. Pendant ce temps, un immense décor fait de longs tunnels est construit dans les studios de Shepperton. Tout est en place, le tournage démarre sous la direction de John Barry. Très vite, ses rapports avec Kirk Douglas s’enveniment. Le tournage patine. Au bout d’une semaine Barry renonce à la réalisation. Coup dur pour Barry qui a consacré tant d’années à la concrétisation de son rêve. Toujours est-il qu’il quitte le tournage. Le seul capable de poursuivre le tournage est son producteur Stanley Donen. Il a plus d’expérience que John Barry et qui oserait tenir tête au réalisateur de Chantons sous la pluie, chef-d’œuvre absolu et indémodable de la comédie musicale ? Kirk Douglas se laisse diriger tout en ayant des exigences et un avis précis sur le scénario. Le film remit sur les rails, Donen doit le mener à bon port.

A 56 ans, Stanley Donen signe avec Saturn 3 son premier et unique film de science-fiction. Il ne réalisera par la suite que deux autres films: C’est la faute à Rio (Blame It on Rio, 1984, remake d’Un moment d’égarement de Claude Berri) et Le dernier aveu (Love Letters, 1999) destiné à la télévision. Donen a une impressionnante carrière, son nom évoque instantanément l’âge d’or de la comédie musicale de la MGM. Après cette période dorée, Donen s’essaye à d’autres genres : la comédie sophistiquée Ailleurs l’herbe est plus belle (The grass Is Greener, 1960), le polar hitchcockien Charade (1963), film d’espionnage Arabesque (1966), la comédie anglaise Fantasmes (Bedazzled, 1967) ou le drame sentimental Voyage à deux (Two for the Road, 1967), le drame L’escalier (Staircase, 1969). Au début des années 70, les attentes du public pour le spectacle cinématographique ont évolué. Stanley Donen fait une tentative de retour au film musical avec Le Petit Prince (The Little Prince, 1974), une curiosité et un échec. Il mixte alors la comédie, le polar, l’action et la violence avec l’étrange et spectaculaire Les aventuriers de Lucky Lady (Lucky Lady, 1975) et enchaîne avec Folie-Folie (Movie Movie, 1978), un double programme hommage au cinéma des années 50. C’est à cette occasion qu’il rencontre Lew Grade, grand patron d’ITC. Stanley Donen est décédé en 2019.

Quant à John Barry, ne réalisera jamais son rêve de diriger un film, il retournera aux décors et décède à 44 ans sur le tournage de L’Empire contre-attaque (The Empire Strikes Back, 1979) d’une méningite foudroyante. Il avait obtenu l’Oscar des meilleurs décors pour La Guerre des étoiles (Star Wars, 1977).

Saturn 3 est distribué en France en 1980 pendant le festival de Cannes présidé par Kirk Douglas. Présidence réussie pour l’acteur (-réalisateur) qui palme deux chefs-d’œuvre, Kagemusha d’Akira Kurosawa et Que le spectacle commence (All That Jazz) de Bob Fosse. Kirk Douglas n’abandonne pas la science-fiction puisqu’il y replonge avec l’excellent Nimitz, retour vers l’enfer. Cette fois, il n’affronte plus un robot, mais rien de moins que l’armada japonaise dans un mémorable et haletant voyage dans le temps.

Saturn 3 fait partie de ses films qui réapparaissent à intervalles réguliers et qui sont à chaque fois réévalués. A une époque où Hollywood en manque d’inspiration ne propose que de fades remakes, il est étonnant qu’aucun producteur n’ait eut l’idée de refaire Saturn 3. Avant qu’un malheur n’arrive, profitons de l’original. Allez, en route vers Saturne 3 !

Fernand Garcia

Saturn 3 est édité pour la première fois en combo (Blu-ray-DVD) par Elephant Films. Excellente édition avec des compléments de choix : Houston, nous avons un problème, présentation très amusante de Julien Comelli. Dans son élan cinéphilique, Julien fait une petite erreur, De battre mon cœur s’est arrêté est le remake de Fingers et non Sur mes lèvres. Aucune importance son intervention est un puits d’informations sur Saturn 3 et la science-fiction moderne depuis 2001: l’odyssée de l’espace (26 minutes). Elephant Films a eu la bonne idée de proposer les scènes coupées (9 minutes) dont la fameuse séquence Ecstasy Scene. Un grand moment de délire avec Farrah Fawcett en cuir SM, incroyable (3 minutes). Deux teasers de Saturn 3 (1 minute), la bande-annonce d’époque avec un plan de Farrah Fawcett SM (3 minutes) et enfin une galerie de photos.

Saturn 3 un film de Stanley Donen avec Farrah Fawcett, Kirk Douglas, Harvey Keitel, Scénario : Martin Amis d’après une histoire de John Barry. Directeur de la photographie : Billy Williams. Décors : Stuart Craig. Effets spéciaux : Colin Chilvers. Effets spéciaux optique : Roy Field, Wally Veevers, Peter Parks. Costumes : Anthony Mendleson. Montage : Richard Marden. Musique : Elmer Bernstein. Producteurs : Lord Lew Grade – Elliott Kastner. Production : ITC – Associated Film Distribution. Grande-Bretagne. 1980. 88 minutes. Couleur. Master HD. Son: version originale avec ou sans sous-titre français et version française. Tous Publics.