En pleine mer du nord, un hélicoptère de l’U.S. Navy dépose sur le destroyer DLG 113 deux hommes, le journaliste Ben Munceford (Sidney Poitier), pour un reportage, et le Dr. Chester Potter (Martin Balsam), pour prendre en charge l’infirmerie. Ils sont aussitôt plongés dans des manœuvres ordonnés par le capitaine Eric Finlander (Richard Widmark). Le navire est en alerte et tout l’équipage au poste de combat…
Aux postes de combat est le premier film d’un cinéaste rare, James B. Harris. Sa carrière se limite en tout et pour tout à 5 films réalisés entre 1965 et 1993. Harris est avant tout connu comme associé et producteur de Stanley Kubrick. Ensemble, ils vont mettre sur pied L’utime Razzia (The Killing, 1956), Les Sentiers de la gloire (Paths of Glory, 1958) et Lolita (1962). « J’étais administrateur exécutif sur ces films, m’occupant des problèmes matériels, du financement à la distribution, afin de libérer Kubrick de toutes ces servitudes pendant qu’il créait. » (in Kubrick – édition définitive, Michel Ciment, Calmann-Lévy, 2011).
Harris, qui avait déjà une bonne connaissance en cinéma, se perfectionne au contact de Kubrick. Le cinéaste aura une énorme influence sur Harris et l’encourage à passer à la mise en scène. « Il m’a appris à éviter le dialogue d’exposition, à voir que les gens ne disent jamais ce qu’ils pensent et qu’il faut faire comprendre au public ce qu’ils pensent vraiment, à éviter les répétitions que l’on trouve dans la plupart des films et qui provoquent l’ennui, même si le décor et les situations sont différentes. » (op. cité). Fort de ce bagage, Harris se lance dans la mise en scène et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il n’aura jamais choisi la facilité avec des films originaux et singuliers.
Aux postes de combat est un thriller paranoïaque en huis-clos, réalisé à une époque où la peur d’un conflit atomique entre les Etats-Unis et l’U.R.S.S. était vivace. A travers le portrait d’un officier de marine US à demi-fou, le capitaine Eric Finlander (Richard Widmark), c’est tout un système politico-militaire que dénonce avec virulence et lucidité James B. Harris.
Finlander dirige le destroyer d’une main de fer, anticommuniste jusqu’à l’obsession, il traque dans les eaux internationales le moindre écho espérant repérer un sous-marin soviétique. La chance lui sourit, et s’engage une course-poursuite entre les icebergs. Au fur et à mesure que la traque avance, la véritable nature du capitaine se fait jour. Il force l’équipage à le suivre dans une aventure pour le moins périlleuse, il entre et sort des eaux internationales au gré de la poursuite. Pour mener à bien sa « mission », il a à ses côtés un ancien nazi, spécialiste de la traque et la destruction de sous-marins durant la Seconde Guerre mondiale. Le plus ironique est que ce prédateur des mers, responsable de dizaines de naufrages, ira jusqu’à s’opposer aux noirs desseins de Finlander.
Aux postes de combat est un suspense à haute tension dont la structure n’est pas sans lien avec Moby Dick d’Herman Melville transposé en pleine Guerre froide. Finlander est le cousin d’Achab tout comme Ben Munceford (Sidney Poitier) celui d’Ismaël, le narrateur du roman de Melville se métamorphosant en journaliste. Finlander se bat pour le Bien, pour la démocratie, pour le monde libre, les forces du Bien sont de son côté, dans sa manière de penser, l’ennemi, le communiste, le Mal, doit être éradiqué de la surface de la terre. Dans cette folie brute, Richard Widmark introduit des degrés de nuances dans son jeu, le personnage en devient fascinant.
Face à Finlander, trois hommes s’opposent à leur façon. Le civil Munceford est la voix de la gauche, de la raison dans cet océan de folie personnelle, il représente l’opposition du peuple à la guerre. Le Dr. Potter incarne le doute au sein de l’armée, il s’oppose à ses ordres, mais c’est un homme usé qui a connu les horreurs de la guerre, il est psychologiquement faible. L’enseigne Ralston (James MacArthur), en tant que militaire, n’ose pas aller à l’encontre de son supérieur. L’armée a verrouillé les esprits. Finlander a les mains libres.
Sujet oblige en plus de leur collaboration, le parallèle a été souvent fait entre Dr Folamour et Aux postes de combat, même pessimisme et noirceur final, mais à l’ironie et à l’humour du Kubrick, Harris répond par le sérieux et la gravité. Conception différente pour un constat identique. Autre lien entre les deux films, le directeur de la photographie, Gilbert Taylor. Il signe la même année celle de Répulsion et enchaîne avec un autre Roman Polanski, Cul-de-sac. Taylor n’est pas seulement un maître du noir et blanc, il s’illustre dans la couleur avec d’admirables réussites: Macbeth (1971) de Roman Polanski, Frenzy (1972) d’Alfred Hitchcock, La malédiction (The Omen, 1976) de Richard Donner, et c’est à Taylor que l’on doit l’aspect visuel, très clair, de La Guerre des Etoiles (Star Wars, 1977) de George Lucas. Gilbert Taylor est un des grands noms de l’école de la photographie cinématographique anglaise.
Fortement impliqué, Richard Widmark, homme de gauche, est coproducteur du film. Il n’en produira que trois durant sa longue carrière. Il y avait une certaine cohérence dans le choix de ses productions : La Chute des héros (Time Limit, 1957), film de guerre dirigé par son ami Karl Malden, et Le dernier passage (The Secret Ways, 1961), film d’espionnage de Phil Karlson. Il donne dans Aux postes de combat une de ses meilleures prestations. Le film se situe dans sa carrière entre deux westerns à grand spectacle, Les Cheyennes (Cheyenne Autumn, 1964) de John Ford et Alvarez Kelly (1966) d’Edward Dmytryk.
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la fin de la guerre froide n’a pas éloigné le danger d’un conflit nucléaire, la menace est toujours présente et à ce titre, Dr Folamour et Aux postes de combat restent d’une actualité brûlante. Un film à redécouvrir avec angoisse…
Fernand Garcia
Aux postes de combat, disponible aux éditions Rimini, en DVD et Blu-ray, très beau master HD. En complément une interview de James B. Harris mené par Jean-François Rauger, enregistré dans le cadre de la rétrospective consacrée au cinéaste à la Cinémathèque française. Harris évoque sa carrière, ses films, le film noir, les écrivains Vladimir Nabokov, Jim Thompson, James Ellroy et évidemment sa relation avec Stanley Kubrick, absolument passionnant (38 minutes). Et le film-annonce de l’époque (3 minutes).
Aux postes de combat (The Bedford Incident) un film de James B. Harris avec Richard Widmark, Sidney Poitier, James MacArthur, Martin Balsam, Wally Cox, Eric Portman, Michael Kane, Gary Cockrell… Scénario : James Poe d’après le roman de Mark Rascovich. Directeur de la photographie : Gilbert Taylor. Décors : Arthur Lawson. Montage : John Jympson. Musique : Gerard Schurmann. Producteurs : James B. Harris et Richard Widmark. Production : Columbia Pictures – Bedford Productions. 1965. 1h38. Noir et blanc. Format image : 1.85 :1. Son VO avec ou sans sous-titre français et VF. Tous Publics.