Il faut faire appel à sa mémoire, remonter dans le temps, s’arrêter un samedi de 1983. Imaginez une bande d’ados sous la voûte étoilé du Grand Rex, sur son immense écran un homme sort du bois, Ulysse sans destination, atmosphère froide et moite, magnifique musique de Jerry Goldsmith, Rambo débute. 95 minutes plus tard, un héros est né. La petite histoire raconte que c’est le stagiaire de la société de distribution française S.N. Prodis qui suggère Rambo comme titre. Après bien des hésitations, entre autres la trop grande proximité avec l’autre grand rôle de Sylvester Stallone, Rocky, le distributeur adopte le titre en lieu et place de Premier sang (le First Blood original). Tous les pays adopteront le patronyme pour titre. Rambo est un mythe moderne, et, comme tout héros, il devra affronter d’innombrables oppositions. Qu’importe la virulence, la stigmatisation perpétuelle des spectateurs par une grosse partie de la critique, Rambo est toujours debout et populaire.
Mal aimé, Rambo est en butte à la haine de la police, de ceux qui sont restés, alors que lui combattait au Viêtnam, guerre impérialiste, dont il n’était qu’un pion. Vétéran au passif d’un pays qui ne supporte pas la défaite.
Le Canadien Ted Kotcheff est un réalisateur fin et intelligent qui connaît son métier, il livre un film puissant qui appuie sur une plaie encore ouverte. Le second volet le replonge dans une mission secrète au Viêtnam, il doit libérer des portés disparus. Il se retrouve face à des Soviétiques, Guerre froide oblige et géopolitique de bazar, Rambo est au service du pays, manipulé comme une baudruche par les politiques (et les militaires). Rambo est encore une fois abandonné.
George Pan Cosmatos, réalisateur grec, livre un grand spectacle à la hauteur du personnage. Rambo II (1985) est un triomphe. L’Amérique entre en guerre de manière masquée contre l’URSS en soutenant et armant les moudjahidines et les talibans. Choix catastrophique comme pour la plupart des décisions de politique extérieure de l’administration américaine. Le cinéma arrive à la rescousse. James Bond, autre mythe, répond à l’appel avec Tuer n’est pas jouer (The Living Daylights, 1987). Rambo arrive à son tour. Le film perd en chemin son clippeur de réalisateur, l’Australien Russell Mulcahy, remplacé au pied levé par le Britannique Peter MacDonald. Cette fois-ci Rambo n’est pas utilisé, mais acteur volontaire d’une fumisterie idéologique, malgré quelques scènes spectaculaires, le film est bancal, de la propagande. Le public populaire ne s’y trompe pas et Rambo III (1988) est un succès mitigé.
Rambo semble s’être enfoncé dans les temps anciens du cinéma, comme Maciste, Hercule et compagnie. Et subitement, il ressort du néant en 2008, vingt ans après le dernier volet. Cette fois-ci Rambo se lance dans l’humanitaire, porter secours au peuple Karens, groupe ethnique tibéto-birman, en Birmanie. Stallone réalise et à la surprise générale, John Rambo est un succès.
Dix ans après (décidément le temps file à grande vitesse et les ados de 1983, 36 ans dans les flancs), Rambo revient pour un dernier tour de piste dans Rambo : Last Blood. Sa fille adoptive décide, contre son avis, de retourner au Mexique pour retrouver son père. La rencontre se passe mal et sa supposée meilleure amie la livre comme esclave sexuelle à des trafiquants. La pauvre fille, vierge, est violée par des policiers corrompus jusqu’à l’os, dans un bordel dirigé par les frères mafieux. Rambo déboule en ville, mais trop tard… sa vengeance sera terrible.
Il y a quelque chose de particulièrement sympathique dans ce nouvel opus de Rambo, il ne se conforme absolument pas au « politiquement correct ». Il n’en a rien à foutre, c’est un dieu du cinéma populaire parmi les humains. Tout le monde est sur un même pied d’égalité. Rambo le dit clairement « les hommes sont dégueulasses » et le monde bien pourri, corrompu et basé sur le mensonge. Rambo dit et fait ce qu’il dit. La distance entre la chose et l’acte est réduite à rien. « Je t’arracherai le cœur » n’est pas qu’une simple formule. Le film est violent, c’est bien le moins, avec des touches d’humour noir, la tête balancée sur la route, Rambo n’a rien perdu de sa hargne. L’odyssée de Rambo trouve sa conclusion dans des tunnels souterrains, véritables forges de l’enfer.
John Rambo n’a plus qu’à nous dire au revoir, dans un discours final. Seul face à lui-même, blessé, il lance une ultime tirade en forme d’épitaphe. La seule chose qui compte est d’être sur la terre qui nous a vus naître, de pouvoir y vivre et mourir dignement. Dans ce cadre de western, on pourrait y voir une exaltation des valeurs américaines et pourtant le générique de fin nous raconte une autre histoire. Le film a été tourné en Bulgarie, au Portugal et à Ténériffe. Un itinéraire digne des dieux de la mythologie grecque. Ce que nous rappellent les extraits des précédents films de la franchise inclus dans le générique final.
Fernand Garcia
Rambo, Last Blood un film d’Adrian Grunberg avec Slyvester Stallone, Paz Vega, Yvette Monreal, Sheila Shah, Oscar Jaenada, Louis Mandylor, Joaquin Cosio, Adriana Barraza… Scénario : Matthew Cirulnick, Sylvester Stallone d’après une histoire de Dan Gordon et Sylvester Stallone. Directeur de la photographie : Brendan Galvin. Décors : Franco-Giacomo Carbone. Costumes : Cristina Sopeña. Montage : Carsten Kurpanek et Todd E. Miller. Musique : Brian Tyler. Producteurs : Avi Lerner, Yariv Lerner, Steven Paul, Kevin King Templeton, Les Weldon, Sylvester Stallone. Production : Balboa Productions – Campbell Grobman Films – Dadi Film Group – Lionsgate – Millennium Films – Nyla Media Group – Templeton Media – Rambo V Productions, Inc. Distribution (France) : Metropolitan Filmexport (Sortie le 25 septembre 2019). Etats-Unis. 2019. 89 minutes. Couleur. Format image : 2.39 :1. Dolby Atmos. Interdit aux moins de 12 ans avec avertissement.