Dans Once Upon a Time… in Hollywood, Ray Danton (Leonardo DiCaprio) tourne un western sous la direction d’un réalisateur pour le moins excentrique et exalté Sam Wanamaker (Nicholas Hammond). Wanamaker sous le coup de l’inspiration fait du hors-la-loi un hippie réagissant comme Hamlet. Le portrait que tire Quentin Tarantino de Sam Wanamaker est sans doute assez juste. Mais comment Wanamaker s’est-il retrouvé aux commandes de Sinbad et l’œil du tigre, troisième et dernière aventure de Sinbad, du duo Schneer – Harryhausen ?
Le Voyage fantastique de Sinbad est-il à peine sorti sur les écrans que la Columbia donne le feu vert à une troisième aventure du marin des Mille et Une Nuits. Ray Harryhausen pense à une histoire en utilisant des effets spéciaux non retenus pour le Voyage Fantastique de Sinbad. Il délègue l’écriture du scénario à Beverley Cross, auteur du fameux Jason et les Argonautes. Le tournage débute sans réalisateur et sans acteurs et un scénario encore au stade de l’écriture. Une seconde équipe tourne sous le soleil de Petra en Jordanie, une première depuis Lawrence d’Arabie, et sous la neige des Pyrénées espagnoles, des plans d’ensemble avec des doublures. Les acteurs joueront leur scène en studio et un habile montage mélange l’ensemble, hélas le résultat sera pour le moins chaotique. L’abus de transparences mal maîtrisées est un des grands défauts de Sinbad et l’œil du tigre. Il en résulte un manque total de rythme et un jeu pour le moins chaotique des acteurs.
La logique voudrait qu’après le succès financier et artistique du Voyage Fantastique de Sinbad la production fasse appel à la même équipe, mais Schneer refuse les exigences financières de Gordon Hessler. Curieusement, la Columbia refuse que John Phillip Law endosse à nouveau le costume de Sinbad ! Si plusieurs noms sont envisagés pour reprendre le rôle, Schneer et Harryhausen portent leur choix sur Patrick Wayne. Fils du grand John Wayne, Patrick, n’a pas son charisme ni sa magnifique démarche. Acteur assez inexpressif, il est un Sinbad sans grande envergure.
A la pulpeuse Caroline Munro et à l’érotisme de l’opus précédent, la production opte pour une image plus soft et dans leur esprit plus familial. Ainsi, la distribution s’étoffe avec Taryn Power et Jane Seymour, au physique moins « sexe ». Taryn Power (Dione), fille de l’acteur Tyrone Power, grande star de Fox décédé durant le tournage de Salomon et la Reine de Saba, et de l’actrice Linda Christian, aura une petite carrière à l’écran dans une poignée de films sans grand intérêt. La Columbia mise une partie de la promotion du film sur la présence de deux enfants de stars, Patrick Wayne et Taryn Power. Le couple Wayne/Power ne fait pas d’étincelle et paraît bien fade. Erreur, puisque le vrai aurait dû être Sinbad/Farah, c’est-à-dire Wayne – Jane Seymour. Résultat : Jane Seymour est sous-employée, pas de scène marquante, pas de dialogues intéressants. Dommage pour Jane Seymour qui venait de connaître un beau succès en vierge à sacrifier dans l’excellent Vivre et laisser mourir, premier James Bond avec Roger Moore. Pour le rôle de la magicienne adepte de magie noire, Zenobia, la production envisage Bette Davis, mais renonce face au cachet demandé, c’est Margaret Whiting qui s’y colle. Excellent choix au sein d’une distribution au jeu assez terne, elle emporte le morceau en rendant toutes ses scènes intéressantes et vivantes. De son côté, Partick Troughton, Phineas dans Jason et les Argonautes, reprend du service en mage capable de rompre l’affreux enchantement de Zénobia. Il cabotine un maximum et tant mieux.
Pour la réalisation Schneer engage Sam Wanamaker. Les deux hommes se connaissent, Schneer avait produit L’Exécuteur (The Executioner), thriller avec George Peppard et Joan Collins, que Wanamaker avait dirigé en 1970. Wanamaker, hésite, mais finit par accepter la proposition pourtant à mille lieux de ce qu’il a coutume de réaliser. « Il a accepté uniquement pour rendre service au producteur qu’il respectait, ainsi que pour subvenir aux besoins de sa famille car, à cette époque, il se consacrait beaucoup, à titre gracieux, à la réouverture du Shakespeare’s Globe Theater », d’après la fille du réalisateur (cité par Marc Toullec in Ray Harryhausen, l’enchanteur des effets spéciaux, disponible dans le coffret Jason et les Argonautes). Sam Wanamaker débarque sur le film avec un minimum de préparation, il faut dire que Ray Harryhausen a une conception du travail du réalisateur assez réductrice, il doit fournir des scènes pour intégrer les effets spéciaux. Wanamaker ne réussit pas à trouver le ton juste et le bon rythme, empêtré dans ce qui a déjà était mis en boîte par la seconde équipe et les effets spéciaux, un certain ennui accompagne cette aventure de Sinbad. Comme pour le western imaginaire que Wanamaker tourne dans le Tarantino, il pousse Whiting et Troughton vers une sorte de folie shakespearienne. Le film gagne en dynamisme dans la dernière partie, Wanamaker se permettant même un érotisme discret en mettant Seymour et Power nues au bord d’une rivière.
Si Sinbad est l’œil du Tigre est décevant au vu des réussites exceptionnelles que sont les deux précédents films, la transformation de Zebodia en mouette est indigne du talent de Ray Harryhausen, faute de moyens certainement, il n’en reste pas moins de grands moments et quelques formidables créatures : d’étranges squelettes, le Minotaure robot, le babouin, le Trog craintif, etc. Certaines séquences sont de toute beauté, les navires dans le brouillard, les séquences dans le palais de glace et le clou du spectacle, le combat final entre le Trog et le Smilodon, redoutable tigre à dent de sabre.
Fernand Garcia
Sinbad et l’œil du tigre, est disponible dans le superbe Coffret Ray Harryhausen (avec Le 7e voyage de Sinbad et Le Voyage fantastique, titres disponibles aussi à l’unité, Blu-ray et DVD) de Sidonis Calysta. La plus belle édition disponible à ce jour en France du film. En complément : la bande-annonce du film. Un must pour tous les fans de Sinbad et admirateurs de Ray Harryhausen.
Sinbad et l’œil du tigre (Sinbad and the Eye of the Tiger) un film de Sam Wanamaker avec Patrick Wayne, Taryn Power, Margaret Whiting, Jane Seymour, Patrick Troughton, Kurt Christian, Nadim Sawalha… Création des effets spéciaux : Ray Harryhausen. Scénario : Beverly Cross d’après une histoire de Ray Harryhausen et Beverly Cross. Directeur de la photographie : Ted Moore. Décors : Geoffrey Drake. Costumes : Cynthia Tingey. Musique : Roy Budd. Producteurs : Charles H. Schneer & Ray Harryhausen. Production : Columbia Pictures. Etats-Unis. 1977. 113 minutes. Dynarama. Metrocolor. Format image : 1.85 :1. Son : VOSTF et VF 5.1 & 2.0, DTS-HD. Tous publics.