Evènement ! Suite au succès de la première partie de la rétrospective consacrée au cinéaste italien Dario Argento l’été dernier, le distributeur Les Films du Camélia nous comble à nouveau de bonheur cet été avec une deuxième partie composée de deux films en versions restaurées du réalisateur et d’un documentaire inédit qui lui est consacré signé Jean-Baptiste Thoret.
Après la rétrospective de l’année dernière qui comprenait pas moins de six classiques du réalisateur transalpin, L’Oiseau au plumage de cristal (L’Uccello dalle piume di cristallo, 1969), Le Chat à neuf queues (Il Gatto a nove code, 1970), Les Frissons de l’angoisse (Profondo Rosso, 1975), Suspiria (1977), Phenomena (1985) et Opéra (1987), celui que l’on appelle à juste titre le Magicien de la Peur est de retour cet été dans les meilleurs salles avec à nouveau deux films incontournables, 4 mouches de velours gris (Quattro mosche di velluto grigio, 1971) et Ténèbres (Tenebre, 1982) ainsi qu’un magnifique documentaire, Dario Argento, Soupirs dans un Corridor Lointain (2019) que lui consacre le réalisateur et historien du cinéma Jean-Baptiste Thoret.
Sujet d’une incroyable actualité, dans le cadre de cette deuxième partie de sa rétrospective qui a débuté le 3 juillet, la revue de cinéma Septième Obsession lui a consacré un hors-série collector et le maître italien du giallo (et de l’horreur) Dario Argento est lui-même venu en France pour parler en personne de ses films et de son œuvre. Il a été invité dans les émissions Boomerang sur France Inter et La Grande Table sur France Culture, et était présent au Festival La Rochelle qui lui a rendu hommage. Si depuis ses débuts le cinéaste connait une renommée mondiale auprès des cinéphiles avertis, l’actualité témoigne enfin d’une popularité méritée. Avec les présentations de plusieurs séances et notamment celles qui se sont déroulées au cinéma Ecoles Cinéma Club à Paris les 26 et 27 juin dernier, le réalisateur est bien évidemment également venu en France pour rencontrer son public, aussi bien les fidèles de la première heure que ceux de la nouvelle génération qui, avec ces reprises dans les salles, ont la chance de le découvrir sur grand écran.
Le premier soir le cinéaste a présenté son film Ténèbres et le second, aux côtés de Jean-Baptiste Thoret, le documentaire Dario Argento, Soupirs Dans Un Corridor Lointain. Les deux projections ont été suivies de séances de signatures de son autobiographie intitulée Peur parue l’année dernière et de son dernier ouvrage, Horror – Histoires de sang, d’esprits et de secrets (mais pas que…).
« J’ai peur de tout, du quotidien de la vie. J’ai aussi des peurs plus profondes, (…) ce sont les thèmes de mes films » Dario Argento (in Boomerang)
Né le 7 septembre 1943 à Rome, fasciné par la littérature dès son plus jeune âge, Dario Argento se passionne vite pour la salle obscure et débute très tôt comme critique de cinéma. Il va ensuite signer de nombreux scénarios dans les années 60 mais ce sera sa rencontre avec Sergio Leone qui sera décisive pour la suite de sa carrière. En effet, c’est Sergio Leone en personne qui confiera l’écriture du scénario de son prochain film à Argento et à un autre « petit nouveau » du cinéma italien, Bernardo Bertolucci. Le film s’appellera Il Etait Une Fois dans l’Ouest (Once Upon a Time in the West, 1968) et ne sera pas moins que le chef d’œuvre incontestable de l’histoire du cinéma que l’on connait tous aujourd’hui.
L’Oiseau au plumage de cristal est le premier film du jeune cinéaste Dario Argento. Même si le réalisateur aime à dire que l’idée du film lui est venue sur une plage lors de vacances en Tunisie, il reste très inspiré du roman de Fredric Brown, The Screaming Mimi (La Belle et le Bête), que lui avait apporté Bernardo Bertolucci pensant qu’on pouvait en faire un bon film. Les droits étant trop cher pour l’un comme pour l’autre, Argento décide donc d’en « emprunter » l’idée en l’adaptant sous une forme radicalement différente. Le scénario écrit, Argento essuie de nombreux refus de la part des producteurs qui craignent de lui donner sa chance comme réalisateur. C’est pourquoi Salvatore Argento, le père de Dario, en assurera finalement la production avec son fils. L’Oiseau plumage de cristal marque également le premier opus de la « trilogie animale » du cinéaste qui réalisera Le Chat à neuf queues (Il Gatto a nove code, 1970) et 4 mouches de velours gris (Quattro Mosche di Velluto Grigio, 1971) dans la foulée. Ces derniers connaîtront également le succès.
En 1975, le cinéaste réalise le film que beaucoup considère comme son chef-d’œuvre, Les Frissons de l’Angoisse (Profondo Rosso). Ce film marque sa première collaboration avec la comédienne Daria Nicolodi qui deviendra sa femme, sa muse et la mère de sa fille Asia. Profondo Rosso est également la première participation du groupe de rock progressif Goblin à la bande originale. Les compositions de Goblin restent encore aujourd’hui associées aux œuvres d’Argento.
« Le rouge est très lié à mes films, comme dans Profondo Rosso… J’aime toutes les couleurs, le jaune du giallo, le bleu, le noir. Dans Suspiria, j’ai exalté toutes ces couleurs. Chaque couleur a un sens bien propre » Dario Argento
En 1977, Dario Argento délaisse le giallo et s’engage dans la voie du fantastique avec le très visuel et inventif Suspiria dans lequel Jessica Harper, inoubliable Phoenix dans Phantom of the Paradise (1974) de Brian De Palma, est prisonnière d’une école de danse aux dirigeants maléfiques. Un an après, le réalisateur collabore à l’écriture et à la production de Zombie (Dawn of the Dead, 1978) de George A. Romero dont il assurera également le montage pour l’exploitation européenne. Toujours dans le genre fantastique, il enchaîne en réalisant Inferno en 1980. Il retrouve le giallo avec Ténèbres en 1982 et poursuit dans le fantastique avec Phenomena en 1985. Argento signe ensuite les scénarios et assure la production des films Démons(Démoni, 1985) et Démons 2 (Dèmoni 2… l’incubo ritorna, 1986) réalisés par Lamberto Bava avant de revenir à la mise en scène en 1987 avec Opéra.
Au début des années 90, le réalisateur italien s’exile aux Etats-Unis. Il y coréalise Deux Yeux maléfiques (Due Occhi Diabolici, 1990) avec George A. Romero, puis réalise Trauma (1993) dans lequel il dirige pour la première fois sa fille Asia alors âgée de 18 ans. Une collaboration qu’il renouvellera en 1996 pour Le Syndrome de Stendhal (La Sindrome di Stendhal). En 1998, le metteur en scène signe une nouvelle adaptation du Fantôme de l’Opéra (Il Fantasma dell’Opera), puis, en 2000, il produit le premier film en tant que réalisatrice de sa fille Asia, Scarlet Diva. L’année suivante, Dario Argento retrouve le giallo en réalisant Le Sang des innocents (Non ho sonno, 2001).
Après trois ans d’absence, il écrit, produit et réalise le thriller Card Player (Il Cartaio, 2004), puis, l’année suivante, il tourne le moyen métrage d’horreur Jenifer (2005). En 2007, il dirigera deux épisodes de la collection horrifique intitulée Masters of Horror et offre à sa fille le premier rôle de Mother of Tears (La terza madre), le troisième et dernier volet après Suspiria et Inferno de sa « trilogie des Mères » ou encore « trilogie des Enfers ». En hommage aux films d’exploitation italiens, en 2009, Argento met en scène Adrien Brody et Emmanuelle Seigner dans Giallo. En 2012, il se lance dans une nouvelle adaptation du célèbre roman de Bram Stoker et réalise Dracula avec Asia Argento et Thomas Kretschmann. Aujourd’hui, on attend avec impatience la sortie de The Sandman son dernier film avec au casting Iggy Pop.
Avec ses indéniables partis pris formels tout aussi bien novateurs que référentiels, Dario Argento a créé un genre de cinéma différent. Un genre nouveau qui va porter encore plus haut le « giallo » dont les bases avaient été posées par Mario Bava en 1963 avec La Fille qui en savait trop (La ragazza che sapeva troppo) et Six femmes pour l’assassin (Sei donne per l’assassino) en 1964. Un genre plus violent et plus sophistiqué dans lequel le suspense « Hitchcockien » sollicite l’attention et l’intelligence du spectateur. Les scènes baroques de violence surprennent et séduisent. La stylisation à l’excès des meurtres choque autant qu’elle réjouit. En plus de la mise en scène à proprement parler, de nombreux fétiches comme les gants, le chapeau, le cuir, l’imperméable ou les armes blanches vont venir de manière singulière et parfaitement maîtrisée, codifier le genre. Tout en réinventant le genre, ses films posent et subliment dans le même temps, les bases du nouveau thriller à l’italienne et vont faire de son auteur, à l’instar de l’immense David Lynch, un cinéaste de l’inconscient. Le Maître du genre. Le Maître du giallo et de l’épouvante.
A la fois transgressive et agressive, l’œuvre du cinéaste est en avance sur son temps et sa modernité est indiscutable. Affranchi des règles et des codes, Argento sublime l’alliance entre le cinéma de genre classique dit « populaire », avec les codes et les schémas que le spectateur connait et est heureux de retrouver, et la modernité qu’il apporte à ses films en envoyant voler en éclat nos habitudes de spectateurs. Le cinéma d’Argento fait table rase de ce qui était acquis en mettant à mal les certitudes du spectateur. Il déstabilise et crée la surprise en proposant autre chose au public.
« La chose dont j’ai vraiment peur, c’est la moitié obscure de moi-même, qui m’envoie des pensées malveillantes, hostiles. Elle est le terreau de mes films. C’est la partie obscure, mon subconscient, qui me parle. Et j’ai ce don de parler avec ma moitié obscure. » Dario Argento (in La Grande Table)
Aussi fascinante qu’incontournable, avec ses grands thrillers horrifiques, ses gialli (pluriel de giallo) et ses inévitables grands classiques du cinéma de genre (fantastique et/ou horreur symbolisant ouvertement la psychanalyse) marqués par une esthétique graphique baroque et expressionniste singulière utilisant des codes (gros plans, caméra subjective,…), des références psychanalytiques, érotiques ou encore fétichistes, mais aussi par des bandes sons originales de rock progressif hypnotiques (Ennio Morricone mais aussi et surtout le groupe Goblin), l’œuvre de Dario Argento témoigne, depuis un demi-siècle, du fait que non seulement son statut de Maestro, de Magicien de la Peur, n’est pas usurpé, mais également que son travail et ses films qui questionnent sans cesse les sens, la mémoire et la vérité, inspirés eux-mêmes par les œuvres de cinéastes comme Michelangelo Antonioni, Federico Fellini, Mario Bava, Sergio Leone ou encore Alfred Hitchcock, continuent de nourrir l’imaginaire des spectateurs et de toute une nouvelle génération de cinéastes.
« La Vérité a plusieurs visages. C’est ce que je cherche à démontrer. La Vérité n’est pas une vérité. Il y a plusieurs vérités. Chaque point de vue a sa vérité. Pour chaque personne il y a une vérité différente » Dario Argento
Steve Le Nedelec
Rétrospective Dario Argento, deux films du maestro, 4 mouches de velours gris et Ténèbres, et Soupirs dans un corridor lointain documentaire de Jean-Baptiste Thoret, distribués par Les Films du Camélia