Toute la famille de Ki-taek est au chômage, et s’intéresse fortement au train de vie de la richissime famille Park. Un jour, leur fils réussit à se faire recommander pour donner des cours particuliers d’anglais chez les Park. C’est le début d’un engrenage incontrôlable, dont personne ne sortira véritablement indemne…
Septième long métrage de l’immense cinéaste coréen Bong Joon-ho, Parasite marque un retour aux sources du réalisateur qui, après avoir passé les dix dernières années sur ses deux dernières productions internationales (Snowpiercer et Okja), retrouve avec ce film, son pays et sa langue d’origine. Parasite n’est rien de moins que le nouveau chef-d’œuvre du cinéaste.
Fer de lance, avec une poignée d’autres grands cinéastes (Park Chan-wook, Kim Jee-woon, Na Hong-jin, Hong Sang-soo, Kim Ki-duk,…), de la vague coréenne qui a su créer et conserver son propre style sans tenir compte des codes imposés par le « cinéma » américain, et qui, depuis maintenant un peu plus d’une quinzaine d’années, nous offre régulièrement de véritables chefs-d’œuvre, Bong Joon-ho s’est fait un nom et une excellente réputation dans le cinéma en général et en Corée en particulier en seulement quelques films ayant chacun obtenu une flopée de récompenses dans les festivals de cinéma à travers le monde entier : Barking Dog (Flandersui gae, 2000), Memories of Murder (Salinui chueok, 2003), The Host (Gwoemul, 2006), Mother (2009), Snowpiercer (2013) et Okja (2017). Notons que le metteur en scène a également réalisé Shaking Tokyo (2008), l’un des sketches du triptyque Tokyo !, avec Michel Gondry et Leos Carax, présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. En plus d’être le scénariste de ses films, on doit également à Bong Joon-ho les scénarios de Phantom : The Submarine (Yuryeong, 1999) de Min Byung-chun, Antartic journal (Namgeuk-ilgi, 2005) de Yim Pil-sung ou encore de Sea Fog – Les Clandestins (Haemoo, 2014) de Shim Sung-bo qui est le coscénariste de Memories of Murder.
Né le 14 septembre 1969 à Daegu, Bong Joon-ho s’épanouit d’abord au ciné-club de l’université de sociologie de Yonsei à Séoul avant d’étudier le cinéma à la Korean Academy of Film Arts (KAFA). Démontrant déjà ses talents de metteur en scène, son film de fin d’études intitulé Incoherence, une comédie noire critiquant la société coréenne, est sélectionné aux Festivals de Vancouver et de Hong Kong. Fort de ses débuts internationaux, il tourne son premier long métrage en 35 mm, Barking Dog (2000), où son humour empreint de sarcasme le révèle auprès de l’industrie cinématographique coréenne. C’est toutefois grâce au sublime thriller Memories of Murder (2003), sur l’affaire non résolue du premier tueur en série coréen, qu’il connait un véritable succès commercial et critique dépassant alors les frontières de son pays. Il confirme son talent en 2006 avec The Host (2006) où il mélange habilement le film de monstre, la chronique familiale et sociale et la comédie satirique. Egalement teinté de réflexion écologique, The Host est présenté à Cannes à la Quinzaine des Réalisateurs et vient renforcer encore plus la renommée internationale du réalisateur. Une renommée qui lui permet en 2008 de participer au triptyque Tokyo! aux côtés de Michel Gondry et Leos Carax et d’en réaliser le segment intitulé Shaking Tokyo. Tokyo! nous offre les visions de la mégalopole japonaise de ces cinéastes et sera présenté au Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard. Bong Joon-ho nous offre ensuite Mother, le touchant portrait d’une mère tentant de prouver l’innocence de son fils. Projeté à Cannes dans le cadre de la sélection Un Certain regard, le film bénéficie d’un très bon accueil critique. Prouvant une nouvelle fois son éclectisme, il se penche dès lors sur Snowpiercer, la libre adaptation, violente et engagée, de la bande dessinée post apocalyptique Le Transperceneige, créée par les français Jacques Lob, Jean-Marc Rochette et Benjamin Legrand. Pour la production de ce projet international titanesque dont la conception prendra près de huit années, Bong sera épaulé par un autre grand nom du cinéma coréen s’imposant autant en son pays qu’à l’étranger, son confrère et compatriote Park Chan-wook, le réalisateur de l’immense « Trilogie de la vengeance », Sympathy for Mr. Vengeance (2002), Old Boy (2003) et Lady Vengeance (2005) mais également de Je suis un cyborg (2006), Thirst (2009) ou encore Stoker (2013). Le metteur en scène réalise ensuite Okja (2017) un conte magnifique sélectionné au Festival de Cannes mais « malheureusement » produit par Netflix et donc honteusement et scandaleusement resté inédit dans les salles en France comme cela a encore été le cas plus récemment avec Roma d’Alfonso Cuaron qui a pourtant remporté le Lion d’Or au Festival de Venise.
Afin de préserver le plus possible le mystère autour de Parasite, en introduction au dossier de presse du film, Bong Joon-ho a écrit une très belle lettre à l’attention des journalistes leur demandant de ne rien dévoiler de l’intrigue :
« Aujourd’hui, quand des personnes attendent avec impatience un film, elles s’éloignent de leurs sites d’actualité habituels, et règlent le volume de leurs écouteurs de manière à ne plus entendre les échos des spoilers. Elles préfèrent ne pas savoir.
Parasite n’est évidemment pas le type de film qui repose uniquement sur son twist final. Il reste en effet bien différent d’un film hollywoodien où les spectateurs vont être partagés entre la consternation et la colère lorsque quelqu’un va sortir de la salle de cinéma en criant « Bruce Willis est un fantôme ! ».
Malgré tout, je persiste à croire que n’importe quel cinéaste désire que son public puisse vivre pleinement les différents rebondissements de l’histoire, quelle que soit leur importance, et qu’il soit happé par toutes les émotions qu’ils génèrent.Je vous demande donc de bien vouloir protéger les émotions des spectateurs : Quand vous écrirez une critique du film, je vous prie de bien vouloir éviter de mentionner ce qui va se passer après que le fils et la fille aient commencé à travailler chez les Park, tout comme les bandes annonces s’en sont gardées. Ne rien révéler au-delà de cet arc narratif sera, pour le spectateur et l’équipe qui a rendu ce film possible, une véritable offrande. Merci. » Bong Joon-ho.
Comme dans ses précédents films, qu’il s’agisse d’un tueur en série dans le « cultissime » Memories of Murder, de l’unité d’une famille dysfonctionnelle lors de l’apparition d’un monstre dans la rivière Han dans The Host, du récit d’une mère tentant de sauver son fils d’une incarcération pour meurtre et qui sombre dans la folie dans Mother, de la description des derniers vestiges de la nature humaine dans les circonstances extrêmes dans le chef d’œuvre de science-fiction Snowpiercer ou encore d’une fable qui raconte l’histoire d’une jeune fille qui se porte au secours d’un cochon transgénique qu’elle a élevé pour le compte d’une entreprise obsédée par le profit dans Okja, dans Parasite, Bong Joon-ho s’oriente à nouveau vers un sujet de société et des personnages désespérés qui ne sont pas en paix, qui ne sont pas en harmonie avec le monde. Mais, si dans sa filmographie, les exclus de la société et les personnes en situation de faiblesse sont des personnages au potentiel émotionnel et dramaturgique fort, avec Parasite, Bong Joon-ho va encore plus loin dans son approche sociale engagée et acerbe et son utilisation toujours plus poussée et maitrisée du genre.
En effet, après avoir utilisé le genre, le polar, le fantastique ou encore la science-fiction pour ses dénonciations sociales, à l’instar de ses autres œuvres, on observe des thématiques récurrentes et on constate une fois de plus ici que le savant dosage et mélange d’humour noir, de satire sociale, d’émotion, de suspense et d’ironie présents dans son redoutable scénario sont typiques du style qu’utilise Bong Joon-ho pour appuyer le propos de son œuvre engagée. Sans pour autant en suivre les codes classiques, le réalisateur utilise mieux que personne le(s) genre(s) pour faire passer ses messages et mettre en lumière les manquements des institutions sociales et les inégalités toujours plus présentes et marquées de la société. Alors que le genre demande d’attendre et de ne montrer que furtivement des parties isolées, souvenez-vous que dans The Host, on voyait le monstre en entier dès le début du film.
Dans la droite lignée des œuvres du cinéaste, précisons tout de même que Parasite n’est pas un film de genre au singulier mais plutôt un film de genres au pluriel. D’une originalité peu commune, par son brillant traitement, Parasite est non seulement une puissante tragicomédie satirique mais aussi un film sur la famille, un film noir, un thriller au suspense haletant, un film social qui rappelle la grande tradition de la comédie sociale italienne, un drame et un film politique engagé. Le réalisateur qualifie lui-même son film de « comédie sans clowns et de tragédie sans méchants ». Pour lui, Parasite est « une tragicomédie impitoyable et cruelle ».
Dans un monde où le capitalisme règne sans partage avec une concentration des ressources exclusivement aux mains des puissants, la coexistence des classes sociales est un idéal devenu pratiquement impossible à atteindre. A une époque où une large majorité de la population est de plus en plus désespérée, seul l’emploi permet à différentes classes sociales de se rencontrer. Si les « riches » ont « besoin » de domestiques et engagent les « pauvres » pour satisfaire leur confort, ceux-ci n’ont pas beaucoup de considération à leur égard. Chacun doit rester à sa place et ne pas franchir la barrière. Les individus qui composent la classe populaire sont comme des cafards qui rampent sous les luxueux meubles des bourgeois. Les « riches » ne supportent pas l’odeur des petites gens. Les « pauvres » envient le train de vie des « riches » mais ne supportent pas leur arrogance. Avec Parasite, Bong Joon-ho nous propose une puissante allégorie dans laquelle il décrit de manière magistrale les inégalités qui se creusent de plus en plus et sans le moindre signe de ralentissement non seulement dans la société coréenne mais aussi dans le monde entier. La cohabitation entre personnes issues de milieux différents n’est pas chose simple et témoigne de la lutte des classes. Dans le monde d’aujourd’hui, le capitalisme à outrance a provoqué l’individualisme et a fait que chaque classe sociale est devenue parasitaire pour les autres. Le capitalisme à outrance a déshumanisé les individus. Alors que l’échec est comme une épée de Damoclès au-dessus de la tête de chacun, le plus effrayant reste le fait que certaines personnes peuvent sans vergogne pointer du doigt des individus, leurs voisins, amis ou collègues, qui ont été poussés vers le précipice et qui luttent pour leur survie, et les traiter de « parasites ». Nous avons été, nous sommes et nous serons, toutes et tous, le parasite de quelqu’un. Installés de manière insidieuse, le mépris et la haine de l’autre sont bien présents. Avec un regard acéré, Parasite témoigne de manière subtile et intelligente de la violence des rapports de classe et de la souffrance humaine contemporaine toutes classes sociales confondues.
« Dans la société capitaliste d’aujourd’hui, il existe des rangs et des castes qui sont invisibles à l’œil nu. Nous les tenons éloignés de notre regard en considérant les hiérarchies de classes comme des vestiges du passé, alors qu’il y a encore aujourd’hui des frontières infranchissables entre les classes sociales. Je pense que ce film décrit ce qui arrive lorsque deux classes se frôlent dans cette société de plus en plus polarisée ». Bong Joon-ho.
A la fois intimiste et ambitieux, Parasite est un film surprenant. Il est comme la somme de toute l’œuvre de son auteur qui une fois encore en a écrit le scénario et réalisé lui-même le story-board. Les changements rapides de tons et de genres sont incroyablement maitrisés et font partie intégrante de la démarche créative et instinctive du cinéaste. Stimulé par le bruit, l’agitation et les conversations des autres, Bong Joon-ho est habitué à écrire ses scénarios sur les coins de table des cafés. Ce dernier ne pense pas à un genre particulier lorsqu’il écrit une scène mais se base sur ses personnages et l’histoire en général. Ce n’est qu’au moment de la mise en scène à proprement parlé qu’il identifie le genre qu’il peut aborder en tournant une scène. Principalement dus au réalisme des dialogues, des scènes et des comédiens, ces impressionnants et radicaux changements de tons peuvent intervenir dans une même scène voir un même mouvement de caméra et nous faire passer du drame à l’action ou du suspense à la comédie en un instant.
Parfait d’un point de vue formel, la quasi-totalité de l’histoire se passe dans deux maisons dont une est située à l’entresol (souplex). Le film se déroule donc principalement en intérieur. Alors que dans Snowpiercer la pyramide sociale était horizontale avec la plèbe reléguée à la queue du train, dans Parasite, des sous-sols aux étages, les espaces sont aussi horizontaux mais reliés entre eux de façon verticale par des escaliers dont l’importance est ici primordiale dans la mise en scène et très symbolique dans le discours. Le réalisateur utilise beaucoup les variations de lumière pour traiter son propos. Si les lieux, avec ces maisons et ces sous-sols sombres et obscurs, ou encore la problématique de l’eau qui revient souvent dans le film, donnent à Parasite une ambiance propre à la Corée, se faisant l’écho des problèmes qu’entraîne le capitalisme dans les relations humaines et de la crise sociale qui touche l’ensemble des pays occidentaux, la portée du message de cette histoire de famille en Corée du sud que le film véhicule possède une dimension universelle. Presque uniquement en huis clos, riche en symboles, Parasite est une brillante et effrayante allégorie aussi oppressante que divertissante qui offre différents niveaux de réflexion et interroge intelligemment sur la société et les valeurs d’aujourd’hui comme sur la nature humaine tout en faisant la part belle à l’émotion, à l’humour et au suspens.
De plans séquences virtuoses en scènes très découpées, pour concevoir la mise en scène remarquablement fluide et rythmée de son film, en plus de l’œuvre du Maître Alfred Hitchcock et des cinéastes français Claude Chabrol et Henri-Georges Clouzot qu’il admire, Bong Joon-ho s’est principalement inspiré de l’œuvre du cinéaste coréen Kim Ki-young avec deux films en particulier : La Servante (Hanyo, 1960) et La Femme-Insecte (Chungyo, 1972). En effet, autant la mise en scène épousait parfaitement la course en avant du sombre héros et répondait au mouvement perpétuel du train dans Snowpiercer, autant dans Parasite elle vient faire écho à l’état d’esprit des personnages et devient plus psychologique. Comme peuvent l’être Rosemary’s Baby (1968) de Roman Polanski, L’Etrangleur de Rillington Place (10 Rillington Place, 1971) de Richard Fleischer ou encore les films de David Lynch, la forme de l’époustouflante et très inspirée mise en scène inscrit Parasite dans la pure tradition de ce que l’on appelle les films cerveaux.
Aussi brillants que la mise en scène et l’écriture du scénario qui mettent également l’accent sur l’ironie, l’absurde et le cynisme, le développement des personnages et les dialogues, drôles et parfaitement maîtrisés eux aussi, en plus d’appuyer le propos du film, viennent subtilement contrebalancer la noirceur et la violence de cette histoire noire, froide et pessimiste de lutte des classes intimiste.
Chaque personnage a son importance dans l’histoire et est remarquablement défendu par les fabuleux comédiens qui composent tous ici d’impressionnantes interprétations. Précis dans sa direction d’acteur jusqu’aux postures des personnages et positions des comédiens, comme le réalisateur donne à chaque personnage sa place dans l’histoire, il donne à chaque comédien la sienne dans le film. Pour incarner à l’écran ces personnes ordinaires qui se trouvent dans une situation inextricable et dont les circonstances vont les conduire à une spirale de violences et à une chute précipitée, Bong Joon-ho a su s’entourer de comédiens et de comédiennes, tous à leur meilleur. En effet, le casting de Parasite est tout simplement sublime.
« Pour ce film il était important de réunir un casting qui constituerait un ensemble homogène, comme une équipe de football. De ces acteurs devait se dégager au premier regard l’impression de voir une famille, j’y ai donc beaucoup réfléchi. » Bong Joon-ho.
Pour commencer, il est impossible d’évoquer le cinéma coréen sans mentionner Song Kang-ho, cet acteur immense qui fait partie de ceux qui ont changé la donne dans la culture du pays. Parasite marque la quatrième collaboration entre Bong Joon-ho et Song Kang-ho après Memories of Murder, The Host et Snowpiercer. Song Kang-ho est l’acteur fétiche de Bong Joon-ho et l’un des acteurs les plus populaires en Corée. Ils se connaissent très bien l’un l’autre et leur complicité est évidente à l’écran tant le jeu et la composition de l’acteur sont formidables. Son talent est apprécié par les plus grands cinéastes coréens, de Bong Joon-ho qui l’a donc déjà dirigé dans trois films avant celui-ci, en passant par Kim Jee-woon dans Le Bon, la Brute, le Cinglé (Joheunnom nabbeunnom isanghannom, 2008), The Foul King (Banchikwang, 2000), The Quiet Family (Choyonghan kajok, 1998) et The Age of Shadows (Miljung, 2016), Lee Chang-Dong dans Green Fish (Chorok mulkogi, 1997) et Secret Sunshine (Milyang, 2007) ou encore Park Chan-wook dans l’immense JSA Joint Security Area (Gongdong gyeongbi guyeok JSA, 2000), Sympathy for Mr. Vengeance (Boksuneun naui geot, 2002), Lady Vengeance (Chinjulhan geomjasshi, 2005) ou encore Thirst (Bakjwi, 2009) qui a obtenu le Prix du Jury à Cannes en 2009.
Habitué aux personnages un peu perdus, Song Kang-ho incarne à merveille le personnage de Ki-taek qui est à la tête d’une famille de quatre adultes sans emploi. Il est le père un peu veule d’une famille de laissés-pour-compte qui, suite à de nombreux échecs professionnels, se laisse mener par le destin et les actions des autres. Lorsque son fils Ki-woo devient le professeur particulier de la fille de la famille Park, ce dernier se met à rêver de pouvoir manger à sa faim et de vivre enfin comme une personne normale. Forte et puissante, son interprétation est à la fois remarquable d’humanité et incroyable de vérité. Du drame à la comédie, l’impressionnant comédien est aussi à l’aise dans tous les registres. C’est principalement à lui que l’on doit le ton humoristique du film. Song Kang ho a déclaré en parlant du metteur en scène : « La spécificité de Bong Joon ho c’est son souci du détail, sa précision ».
M. Park, l’autre père, celui de la famille bourgeoise qui va voir sa vie bouleversée, est incarné par le comédien Lee Sun-kyun que l’on a pu voir à l’écran sous la direction de Hong Sang-soo dans Night and Day (Bam gua nat, 2008), Oki’s Movie (Ok-hui-ui yeonghwa, 2010) et Haewon et les Hommes (Nugu-ui Ttal-do Anin, 2013) mais aussi dans l’excellent Hard Day (Kkeut-kka-ji-gan-da, 2014) de Kim Seong-hun qui a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes en 2014. Lee Sun-kyun est excellent dans ce rôle de jeune PDG à l’allure hautaine. Avec son poste, sa famille bien sous tous rapports représentative de la famille idéale du monde moderne des élites, son train de vie et sa luxueuse maison, il incarne parfaitement « la réussite ». Il est l’antithèse même du personnage de Ki-taek.
Yeon-kyo, l’épouse naïve et innocente de M. Park est interprétée par la comédienne Cho Yeo-jeong. Elle est tout simplement remarquable dans le rôle de cette femme au foyer bourgeoise entourée de ses domestiques qu’elle supervise. Pleine des meilleures intentions envers ses enfants et son mari, elle fait tout pour leur éducation et leur bien-être jusqu’à ce que petit à petit elle se retrouve dépassée par les évènements que vont provoquer les membres de l’autre famille et qui vont bouleverser sa vie. Cho Yeo-jeong a été repérée par Bong Joon-ho qui a su voir en elle son impressionnante énergie communicative, sa créativité et son potentiel comique avec la prestation qu’elle effectue dans le film Obsessed (In-gan-jung-dok, 2014) de Kim Dae-woo.
A l’affiche d’Hôtel Singapura (In the Room, 2015) d’Éric Khoo et du Dernier Train pour Busan (Busanhaeng, 2016) de Yeon Sang-ho, le jeune comédien Choi Woo-shik qui joue ici le rôle de Ki-woo, le fils aîné de la famille de Ki-taek, a déjà été dirigé par Bong Joon-ho dans la merveilleuse fable Okja (2017). Point de départ de toute l’histoire du film, il est impeccable dans le rôle de ce jeune qui a échoué dans ses études et qui passe son temps à effectuer des petits boulots jusqu’à ce qu’il soit recommandé par un ami pour donner des cours particuliers d’anglais à la fille de la famille Park.
Véritable découverte et révélation de Parasite, la jeune comédienne Park So-dam est époustouflante dans le rôle de Ki-jung, la fille de la famille de Ki-taek, la sœur cadette de Ki-woo, qui, comme le reste de sa famille, survie de petits boulots en expédients mais va très vite s’imposer et s’introduire de manière assez sournoise mais décidée au sein de la riche famille bourgeoise en tant que professeur d’art particulier de leur jeune fils. Comme son frère, Ki-jung a raté son entrée à l’université et est au chômage. Elle est le membre le plus obstiné, réaliste et imperturbable de la famille. Remarquée par son interprétation de jeune fille possédée dans The Priests (Geomeun Sajedeul, 2015) de Jang Jae-hyun, avec sa volonté, sa force de caractère, son assurance et sa débrouillardise, Park So-dam révèle une autorité naturelle et insuffle une extraordinaire vitalité au film.
Chung-sook, l’épouse de Ki-taek, est interprété par Jang Hyae-jin qui n’est autre qu’une ancienne médaillée nationale d’athlétisme dans la catégorie du lancer du marteau. Repérée par le réalisateur avec la force qui se dégageait de son interprétation dans The World Of Us (2016) de Yoon Ga-eun, son personnage renvoie l’image d’une femme forte et déterminée qui contraste radicalement avec celle de Ki-taek, son mari nonchalant. L’ancienne athlète devenu comédienne donne un réalisme inouï au duo qu’elle compose avec l’immense Song Kang-ho.
Le personnage très important de Moon-Gwang, la gouvernante de la maison des Park qui cache bien des secrets à ses employeurs et dont se sert le cinéaste pour égratigner la Corée du nord au passage, est remarquablement interprété par Lee Jung-eun.
Précis dans son écriture comme dans sa mise en scène, dans la composition de ses cadres et sa direction d’acteur, tout dans Parasite témoigne de l’importance que le réalisateur accorde au moindre détail et du fait qu’il ne laisse rien au hasard. Grand cinéaste, Bong Joon-ho est incontestablement un maître qui sait ce qu’il veut et qui sait s’entourer des meilleures personnes sur ses tournages.
Au poste de chef opérateur de Parasite, on retrouve Hong Kyung Pyo qui avait déjà travaillé avec Bong Joon-ho sur Mother et Snowpiercer. On lui doit également la photographie de films comme The Strangers (Goksung, 2016) de Na Hong-jin, Sea Fog (Haemoo, 2014) de Shim Sung-bo, ou encore plus récemment de Burning (Buh-Ning, 2018) de Lee Chang-dong. Si ce dernier capte à merveille la lumière irradiante de l’été, son travail est ici principalement axé sur le clair-obscur des intérieurs et les visages des acteurs dont les expressions dégagent une très large palette émotionnelle.
Avec la maison surélevée moderne et élégante de la famille Park, le souplex sordide de la famille de Ki-taek et les multiples escaliers et espaces qui relient les différentes parties de ces maisons entre elles, véritable travail d’orfèvre, les décors du film ont été conçus par le chef décorateur Lee Ha-jun qui avait lui aussi déjà travaillé avec Bong Joon-ho sur Okja. On lui doit aussi par exemple les décors de The Housemaid (Hanyo, 2010), le remake de La Servante de Kim Ki-young, réalisé par Im Sang-soo.
A l’image d’une aquarelle, comme absorbés par leur environnement, les personnages du film font corps avec les espaces. On doit la création des costumes des personnages du film au talentueux chef costumier Choi Se-yeon qui avait déjà conçu ceux de Okja ou encore ceux de Sea Fogde Shim Sung-bo ou de The Housemaid de Im Sang-soo.
Le brillant montage du film quant à lui est réalisé par Yang Jin-mo qui avait signé ceux de Okja et de Dernier Train pour Busan (Busanhaeng, 2016) de Yeon Sang-ho.
Œuvre monumentale et complexe à la mise en scène magistrale et dans laquelle suspense, humour et psychologie sociale se répondent, Parasite est une fable. Une fable renversante et surprenante. Une fable satirique. Une fable politique et sociale. Une fable engagée. Une fable aux allures de fait-divers qui dénonce les injustices sociales et les violences psychologiques réelles et profondes qu’elles engendrent. Une fable glaçante. Avec Parasite, dans la continuité logique de la construction de son œuvre profondément singulière, Bong Joon-ho reste intègre et conserve son identité artistique, son style, aussi bien dans sa forme que dans sa thématique. A partir du postulat de cette histoire, il nous livre sans compromis sa puissante vision âpre et désespérée de nos sociétés actuelles et de l’impact qu’elles ont sur les individus qui la composent tout en invitant le spectateur à la réflexion.
Présenté en compétition au Festival de Cannes 2019, décernée à l’unanimité par le jury, Parasite a remporté la Palme d’Or. Il s’agit de la première Palme d’Or pour un film coréen de l’histoire du Festival de Cannes. L’année des 100 ans du cinéma en Corée, cette récompense devient tout un symbole. Une récompense majeure qui, comme s’en félicite le réalisateur, met la lumière, en France et partout dans le monde, sur le cinéma coréen. Parasite témoigne non seulement du talent et de l’évolution d’un cinéaste mais aussi de ceux de tout le cinéma coréen contemporain.
Avec plus de 7 millions de spectateurs en Corée du Sud en moins de deux semaines, Parasite mérite aussi un triomphe en France car Parasite est un chef-d’œuvre et Bong Joon-ho un génie.
Steve Le Nedelec
Parasite (Gisaengchung) un film de Bong Joon-ho avec Song Kang-ho, Lee Sun-kyun, Cho Yeo-jeong, Choi Woo Shik, Park So-dam, Lee Jung Eun, Chang Hyae Jin,… Scénario : Bong Joon-ho, Kim Dae-hwan, Han Jin Won. Directeur de la photographie : Hong Kyung Pyo. Décors : Lee Ha-jun. Costumes : Choi Se-yeon. Montage : Yang Jinmo. Musique : Jung Jaeil. Producteurs : Bong Joon-ho, Jang Young-Hwan, Moon Yang-kwon, Sin-ae Kwak. Production : Barunson E1A – CJ E1M Financing & Investment Entertainment & Comics – CJ Entertainment – TMS Comics – TMS Entertainment. Distribution : The Jokers – Les Bookmakers (Sortie France le 5 juin 2019). Corée du Sud. 2019. 132 minutes. Couleur. Format image : 2.35 :1. Dolby Atmos. Palme d’Or – Festival de Cannes, 2019. Tous Publics avec avertissement.