Jim Jarmusch et ses zombies ont eu l’honneur d’ouvrir le festival de Cannes. Le père des morts-vivants modernes, George A. Romero n’avait eu droit en son temps qu’à une séance de minuit tout comme il y a quelques années le film coréen Le Dernier train pour Busan. Le cinéma de genre entre enfin par la grande porte, le festival ose enfin ce qu’il n’a pas fait avec l’extraordinaire Mad Mad : Fury Road.
Fer de lance du cinéma indie new-yorkais, Jim Jarmusch, après les vampires dans l’excellent Only Lovers Left Alive (2013), s’attaque aux morts-vivants pour une fable autant écologique que sur la société actuelle. L’action se déroule dans une petite bourgade des Etats-Unis, Centerville. La vie s’y écoule au rythme lent des villes sans histoire de l’Amérique profonde. Le shérif Cliff Robertson (Bill Murray) et son adjoint Ronnie (Adam Driver) font leur ronde habituelle dans l’autoradio la chanson The Dead Don’t Die interprétée par Sturgill Simpson. Itinéraire paisible pendant lequel Jarmusch nous présente les principaux lieux où l’action va se dérouler : Diner, station-service, cimetière, bureau de police, morgue. La cartographie parfaite du film de genre.
Centerville va être frappée par un phénomène surnaturel, les morts vont sortir de leurs tombes. Les deux premiers, un homme (Iggy Pop) et une femme (Sara Driver), sont deux rockers qui foncent au Diner, ils tuent sauvagement avant de se précipiter sur le café. Dès la découverte des premières victimes, Cliff Robertson, Ronnie Peterson et leur collègue Mindy Morrison (Chloë Sevigny) sont persuadés que les agresseurs sont des zombies. Matraquée par les informations en continu, la population découvre que le pays tout entier est en proie à la résurrection des morts. Stupéfaction qui renvoie le pays à la découverte du résultat des élections américaines qui a vu le triomphe de Donald Trump. Miller (Steve Buscemi) arbore une casquette White est représenté à lui seul l’électeur du Parti républicain, ce qui ne l’empêche pas d’être « ami » avec Hank Thompson (Danny Glover), propriétaire de la quincaillerie du coin. Dans cette Amérique en lointaine périphérie des grandes villes, tout semble autre. La réaction des habitants est comme en décalage avec l’horreur de la situation. Plus rien ne les surprend, il y a comme une résignation générale, c’est ainsi ; dans ce monde, chacun est en définitive seul. Ainsi, le vieil ermite Bob (Tom Waits) caché dans la forêt, en rupture de société, va peut-être survivre à la nouvelle donne. Tout va mal dans ce monde, la société de consommation a vaincu, détruit tout individualisme, pétrifié la pensée et fait des êtres humains des robots avides de biens inutiles. Cette marche forcée a détruit la planète.
Le constat de Jim Jarmusch n’est en rien différent de celui de George A. Romero, la seule différence est que le cinéaste de La Nuit des morts-vivants et de Zombie n’avait pas besoin d’expliciter autant son propos. La beauté du film est à chercher ailleurs, dans sa manière de dire au revoir à un cinéma laminé par le produit industriel et la disneysation des esprits. Plus que sur le dérèglement climatique, The Dead Don’t Die est un film sur un cinéma qui disparaît, sur une génération d’acteurs qui ont fait non seulement le cinéma de Jim Jarmusch, mais le cinéma indépendant américain. Acteurs qui n’existeront plus que comme des ombres éternelles dans ses films du siècle passé. The Dead Don’t Die mérite un petit détour.
Fernand Garcia
The Dead Don’t Die un film de Jim Jarmusch avec Bill Murray, Adam Driver, Chloë Sevigny, Tilda Swinton, Steve Buscemi, Danny Glover, Tom Waits, Sara Driver, Maya Delmont, Tanya Garraghan, Selena Gomez, Carol Kane, Rosie Perez, Iggy Pop, RZA… Scénario : Jim Jarmusch. Directeur de la photographie : Frederick Elmes. Décors : Alex DiGerlando. Montage : Affonso Gonçalves. Producteurs : Joshua Astrachan et Carter Logan. Production : Animal Kingdom – Film i Väst – Focus Features – Universal Pictures. Etats-Unis – Suède. 2019. 103 minutes. Couleur. Format image : 1.85 :1. Dolby Digital. Interdit aux mois de 12 ans. Sélection officielle Festival de Cannes, 2019, film d’ouverture en compétition.