Loïc a mal au cœur de Mélissa Medan a une apparence simple et sobre dans sa réalisation. Deux comédiens, un décor, un travelling pour faire bouger les comédiens (et pas la caméra – sic!) pendant qu’ils se parlent avec leur voix de robot dépourvues de toute émotion. Avec ce dispositif astucieux, la jeune réalisatrice explore le langage.
KinoScript : Loïc a mal au cœur est l’un des films les plus originaux de la sélection des courts métrages. Pourquoi c’était important pour vous de participer au festival des films des femmes de Créteil 2019 ?
Mélissa Medan : Loïc a mal au cœur a été réalisé dans le cadre de ma première année au Fresnoy, j’ai donc eu la chance de bénéficier du travail de l’équipe de diffusion du Fresnoy pour cette sélection. Ça a été une très belle surprise et je suis très heureuse de l’avoir montré dans ce joli festival. Aussi très impressionnée compte tenu du niveau des films présentés.
KS : Comment avez-vous procédé pour l’écriture du scénario ?
Mélissa Medan : Je travaille en récoltant des conversations dans mon environnement, ensuite je les recompose pour créer des histoires. L’écriture du scénario est donc une succession de dialogues.
KS : De prime abord, votre film parait assez austère, avec des formules de dialogues assez sèches, surtout que cette expression est soulignée par des voix aseptisées, artificielles, et puis petit à petit ressort le sens caché, assez émouvant, avec beaucoup d’humour. Comment avez-vous développé ce langage épuré dans votre écriture cinématographique ?
Mélissa Medan : La forme de langage du film est une forme que je développe depuis quelques années. Au départ ça fait rire, comme lorsque l’on pose des questions à Siri et qu’il essaie de donner des réponses personnalisées avec sa voix de synthèse totalement formatée. L’idée de départ est d’ailleurs celle du formatage. Et puis ça devient dramatique lorsque les personnages essaient d’exprimer des sentiments singuliers. Ils se retrouvent dans une impasse, coincée dans les limites de la voix de synthèse dénuée d’émotion. En tant que spectateur on doit faire l’effort de projeter l’émotion qui serait celle de la voix si elle n’était pas synthétique. C’est un nouveau formatage qui s’opère. C’est ça le drame que j’ai voulu raconter dans ce film, au delà du scénario, c’est le drame des lacunes du langage.
KS : C’est un très joli titre pour un court métrage. Comment s’est-il imposé à vous ?
Mélissa Medan : Le prénom de Loïc sonne comme un oxymore. La première syllabe est très douce, et la deuxième, qui n’en est pas vraiment une, vient mordre la première, comme un coup de fouet. Je trouve qu’il sonnait bien dans la bouche de Christine. Dans ce tout petit prénom il y a la même violence et la même tendresse que dans la relation des deux personnages. Loïc a mal au cœur c’est pour dire le petit drame avec un peu d’humour. Pourtant avoir mal au cœur ce n’est pas drôle du tout. C’est un peu l’idée du film.
KS : Dans vos vidéos sur YouTube on voit des références à Godard, Rohmer qui ont aussi beaucoup travaillé sur le langage. Quelles sont vos influences ?
Mélissa Medan : Le cinéma de la Nouvelle Vague m’a beaucoup influencée. Dans mon cursus aux beaux arts, c’est un courant qui m’a permis de me décomplexer par rapport à mon écriture très simple, presque anecdotique. Le langage est anecdotique, il n’a plus/pas le pouvoir de dire les choses importantes. Mais en fait je crois que les choses importantes se manifestent dans l’anecdote, si on veut bien les voir. J’aime aussi beaucoup le travail de Valérie Mréjen, celui de Serge Bozon. J’aime beaucoup de choses. Mais j’aime surtout les choses simples et accessibles. Je déteste qu’il faille savoir trop de choses pour prétendre en comprendre une.
KS : Votre découpage est très précis. Avez-vous fait beaucoup de prises ? Comment s’est déroulé le montage ?
Mélissa Medan : Le découpage a été une des premières étapes de l’écriture globale du film. Je travaille très simplement, il y a très peu de plans différents et le film à presque été tourné dans l’ordre. Pour le montage, j’ai eu la chance de travailler avec Olivia Degrez qui a été très efficace dans la compréhension de ce que je voulais faire. Elle a été le « beat maker » du film. Elle lui a donné le rythme que je ne parvenais pas à trouver. C’était une des étapes les plus enrichissantes du projet, une de celles où j’ai le plus appris avec le moment du tournage. C’est mon premier film. J’ai été très fascinée par sa capacité et son efficacité à comprendre le dialogue des images entre elles. C’est le travail du monteur, mais c’était vraiment fascinant.
KS : Quelles indications donnez-vous aux comédiens ? Est-ce que ce sont leurs propres voix en off ?
Mélissa Medan : Les indications pour les comédiens étaient de faire le moins de gestes possibles et de tout faire au ralenti. Marie Polet, qui joue le rôle de Christine à été très généreuse, elle a très vite cerné l’idée du film et a proposé beaucoup de choses. Dimitri Autin (Loïc) n’est pas comédien et je pense que Marie, par son jeu, l’a beaucoup aidé à entrer dans le rôle. Ce ne sont pas leur voix en off, ce sont des « google voice ». Je les avais enregistrées avant le tournage pour qu’ils puissent jouer en playback.
KS : Vous avez une chaîne vidéo sur Youtube, vous y présentez vos créations, quelle importance accordez-vous à cette mode de diffusion ?
Mélissa Medan : J’adore Youtube. J’aime que les choses soient accessibles. J’aime que l’on puisse y trouver presque tout ce qu’on cherche. J’aime qu’il n’y ait pas de sélection, que les gens soient libres de montrer ce qu’ils font. Ma chaîne Youtube, c’est comme un brouillon public/partagé, c’est un endroit où je laisse les choses, qu’elles soient abouties ou pas. Qu’elles soient réussies ou ratées. Je n’ai pas un grand public, mais au moins je peux y faire ce que je veux. Je ne l’entretiens pas vraiment mais c’est une plateforme très pratique, très légère. Très décomplexante.
KS : Que pensez-vous de la production française actuelle ?
Mélissa Medan : Je trouve la production ennuyeuse et en décalage par rapport à la démocratisation de la fabrication d’image et de ses plateformes de diffusion. Je ne suis pas excitée par les films qui sortent au cinéma. Je fais partie des gens qui passent beaucoup de temps sur Internet, sur les réseaux sociaux, sur les plateformes vidéo. Dans l’absence de hiérarchie d’Internet il y a un nouveau mode de consommation d’images, ainsi qu’un nouveau mode de production, qui ont leur propre richesse et qui pourraient être mis en valeur par l’industrie du cinéma, mais ce n’est pas le cas. Je trouve injuste qu’il faille se plier à tout un tas de contraintes « marchandes » pour pouvoir faire un film au sens « professionnel » du terme et espérer qu’il soit diffusé ou reconnu. Je suis assez réactionnaire par rapport à ça parce que je trouve que l’industrie cinématographique a vraiment des trains de retard.
KS : Pour vous, en quoi le combat de femmes dans le milieu de cinéma consiste-t-il ?
Mélissa Medan : Le combat des femmes dans le milieu du cinéma, je crois que je ne sais pas dire en quoi il consiste, je pense que plus que des choses à prouver, il y a des yeux à ouvrir. Mon combat personnel, en tant que femme mais surtout en tant qu’être humain, c’est de faire ce qui me fait plaisir. Pour moi, il est hors de question de me plier aux règles des marchés pour obtenir de l’intérêt ou de la reconnaissance. Je préfère faire une chose exactement comme je l’imagine, et qu’elle ne soit vue par personne, plutôt que de devoir faire milles compromis pour qu’on accepte que ce soit montré. J’ai besoin de m’amuser.
KS : Pensez-vous déjà à un prochain projet ?
Mélissa Medan : En ce moment je raconte des histoires autrement. Je fabrique des carrés de soie peints à la main. On est loin du cinéma. Aussi je suis vendeuse dans un magasin de vêtements, c’est un spectacle permanent. Si je ressens le besoin de refaire un film, il parlera surement de ça. J’écris tout le temps, mais je ne suis pas tellement une réalisatrice, j’ai eu la chance de pouvoir répondre à certaines questions à travers l’objet filmique, mais l’ensemble de ce que je fais est un travail en cours, les choses s’alimentent entre elles.
Propos recueillis par Rita Bukauskaite, avril 2019