Les errances d’Andrzej (Jerzy Skolimowski), jeune homme de vingt-quatre ans, entre obligations d’étudiant dilettante, tensions avec sa compagne et nécessité de gagner sa vie, les quelques heures qui précèdent son départ inopiné pour le service militaire qui dure deux ans.
Conçu avec patience durant ses années d’études à l’école de cinéma de Lodz, le tournage de Signes particuliers : Néant (Rysopis), le premier long métrage réalisé par Jerzy Skolimowski, a duré deux ans. Désireux d’agir vite et de gagner du temps, le jeune apprenti cinéaste décide de composer ce dernier des différents fragments (courts-métrages, exercices et essais divers) qu’il a réalisé à l’école.
» J’étais trop pressé, trop ambitieux, trop énergique, trop jeune ! » Jerzy Skolimowski.
Non content de briser les règles de fabrication, avec son premier long métrage le cinéaste va également faire voler en éclat les règles du récit. A l’image d’Andrzej Leszczyc, le personnage principal qu’interprète lui-même Skolimowski, le film transgresse impétueusement les codes (chronologie, propos, personnages, situations,…) avec une fascinante maîtrise.
Le film marque également le premier volet des aventures du personnage récurrent d’Andrzej Leszczyc que l’on retrouvera dans quatre de ses cinq premiers films, Signes particuliers : Néant (Rysopis, 1964), Walkover (1965), La Barrière (Bariera, 1966) et Haut les mains ! (Rece Do Góry, 1967). Andrzej Leszczyc est un jeune homme individualiste en colère et inadapté qui se débat contre le « fonctionnement » de la société. Pour le personnage d’Andrzej comme pour le cinéaste, seul l’instant présent compte. Il faut taire ses peurs et ses angoisses et vivre pleinement le présent. Profiter de l’instant et aller de l’avant sans s’alourdir du passé tout en gardant conscience de l’inéluctable fin. Dans un souci d’économie, c’est Skolimowski lui-même qui l’interprétera à l’écran dans trois de ces films (il ne joue pas dans La Barrière). Ancré dans la réalité de la jeunesse polonaise de l’époque, dès son premier film, porté et marqué par l’urgence de son propos – la lutte incessante contre la perte de l’innocence, vivre au présent, rester insouciant et ne pas tomber dans le renoncement du monde des adultes – le cinéaste dresse le portrait d’une génération et capte une pulsion de vie de manière aussi intelligente que saisissante. Avec un style résolument moderne, des plans acrobatiques, un montage syncopé, il filme l’énergie et le mouvement avec vigueur et efficacité. Sans gros moyens financiers, il prend pour habitude de filmer les actions en une seule prise et réalise ainsi d’impressionnants plans séquences. On retrouvera cette singularité aussi bien thématique que formelle dans toute son œuvre à venir.
A l’image de son auteur virtuose, Signes particuliers : Néant (Rysopis) est un premier film aussi libre et insolent que fascinant et émouvant. Brillant et étonnant premier film signé Jerzy Skolimowski et déjà fulgurant coup de maître, Signes particuliers : Néant (Rysopis) était jusqu’à aujourd’hui inédit au cinéma en France. A découvrir de toute urgence.
Steve Le Nedelec
Signes particuliers : Néant (Rysopis) un film de et avec Jerzy Skolimowski et Elzbieta Czyzewska, Tadeusz Minc, Andrzej Zarnecki scénario : Jerzy Skolimowski. Directeur de la photographie : Witold Mickiewicz. Décors : Jerzy Skolimowski. Montage : Halina Szalinska. Production : Film Polski – Szkola Filmowa. Distribution (France) : Malavida (Sortie le 20 mars 2019). Pologne . 1962-1964. 76 minutes. Noir et blanc. Format image : 1.66 :1. Mono. Restauration 4K réalisée par Kadr Film Studio, dans le cadre du programme Polish Film Classics. DCP. Tous Publics.