Après des mois de tentatives infructueuses, Robert Weber obtient un rendez-vous avec Robert Mitchum au Beverly Hills Hotel. Nous sommes en 1991, Mitchum a 74 ans, il est une légende du cinéma, de l’époque héroïque et fabuleuse qui tant fascinait, où l’industrie tournait à plein régime film sur film. Mitchum vient de faire une apparition avec son compère Gregory Peck dans le remake des Nerfs à vif, où Robert De Niro reprend son personnage, Max Cady, sous la direction de Martin Scorsese.
Filmé en 1991, Nice Girls Don’t Stay for Breakfast arrive 27 ans après sur les écrans, tant d’années se sont écoulées qu’on se demande pourquoi le film nous arrive-t-il aujourd’hui. Que cherchait Bruce Weber ? Pourquoi débuter le film par l’un des premiers films avec Mitchum, un western de séries où il joue un cow-boy déguisé en femme ? Pensait-il trouver un autre Rock Hudson sous le maquillage ? Mais l’acteur échappe au carcan dans lequel Bruce Weber voulait le faire entrer.
Alors, Weber évoque son enfance dans un coin perdu de la Pennsylvanie, où sa mère après la sortie de l’école le laissait dans un bar, tandis qu’elle allait rejoindre son amant. Dans ce troquet, le petit garçon y observe les clients, des gars qui parfois l’aidaient pour ses devoirs et qui avaient la dégaine de Robert Mitchum. Mais Mitchum n’est pas un père de substitution, il se dérobe tant et si bien, que le film en dit plus long sur le réalisateur que sur l’acteur pendant une bonne partie du métrage. A ses interviews de Robert Mitchum, Weber en ajoute d’autres: Johnny Depp et Benicio Del Toro, qui croisent l’acteur quelques années après sur le tournage de Dead Man de Jim Jarmusch.
Plus le film avance et plus Mitchum prend le dessus, comme dans les films où il joue, sans rien faire apriori de particulier, il s’accapare le film, capte la lumière et en devient le centre. Si Mitchum ne se livre pas, d’autres l’évoquent avec grande estime. Brenda Vaccaro est la plus loquace. Elle fut l’une de ses maîtresses, une confidente privilégiée. Elle raconte une savoureuse histoire, où Mitchum, après avoir purgé une peine de prison, se « venge » sur la femme de son geôlier. Des aventures, des liaisons, il y en a eu plein, mais Mitchum reviendra toujours auprès de sa femme Dorothy. La vie de Mitchum est épique et ses films se nourrissent de ce qu’ils en captent.
Ainsi, en loucedé, la réalité d’un pays affleure, violente, injuste, brutale, capitaliste. Pour donner corps à ce monde, Mitchum a incarné des déclassés, des mauvais garçons, mais aussi des hommes de la haute société, tant l’espace qui les sépare est fin comme une feuille de cigarette. Mitchum n’était pas un acteur de la méthode, il avait l’instinct de ceux qui avait une vie, riche de haut et de bas, derrière eux. Un acteur qui pouvait passer du monstre à la sexualité bestiale des Nerfs à vif (Cape Fear, 1961) au mari impuissant de La Fille de Ryan (Ryan’s Daughter, 1970). Mitchum était un homme de son temps à la virilité et à la masculinité assumée, bien loin des clichés qui y sont associés aujourd’hui. Sous son attitude cool et rebelle, sommeillait un acteur angoissé qui pensait être dans son domaine des arts un usurpateur. Mitchum était un grand lecteur de poésie et en écrivait depuis l’enfance. Le portrait s’éclaircit dans les veloutes de cigarette, le cadre de Weber rappelle celui de Cassavetes, de ses films entre potes, où les hommes se confient au bras d’une femme de passage. La fin superbe, Mitchum seul dans la nuit, un peu saoul, attendant un taxi, si proche du plan final du Meurtre d’un bookmaker chinois (1976), où Cosmo Vittelli (Ben Gazzara) s’en allait vers la mort. Nous remonte des souvenirs, des films plus grands que nature, Robert Mitchum, c’est le film noir… et puis le western, le drame, le film d’aventures…
Fernand Garcia
Nice Girls Don’t Stay for Breakfast un film Bruce Weber avec Robert Mitchum, John Mitchum, Brenda Vaccaro, Polly Bergen, Marianne Faithfull, Dr. John, Rickie Lee Jones, Al Ruddy, Clint Eastwood, Johnny Depp, Benicio Del Toro, Frances Fisher, Danny Trejo… Scénario : Producteurs : Eva Lindemann & Emie Amemiya. Directeur de la photographie : Lance Acord Photographie seconde équipe : Jim Feal, Theo Stanley, Doug Cooper. Sound design : Maurice Schell & Richard King. Montage : Chad Sipkin. Production : Nan Bush – Just Blue Films. Distribution (France) : La Rabbia – Les Bookmakers (Sortie le 27 février 2019). Mostra de Venise, 2018. Festival du Cinéma Américain, Deauville, 2018 – Lumière 2018, Grand Lyon Film Festival.