Pélias s’apprête à conquérir le royaume de Thessalie. Pour être certain de l’appui des dieux, il consulte les oracles. Le grand-prêtre lui annonce qu’au bout du monde se trouve une Toison d’Or, un crâne et la peau d’un bélier, accrochée aux branches d’un arbre. Mais, Pélias n’a que faire de cette énigme, seule l’intéresse l’issue de son expédition. Le grand-prêtre lui annonce que Zeus est avec lui, qu’il va tuer le Roi Ariste et prendre sa couronne, mais il sera dépossédé de son trône par l’un des enfants d’Ariste. Pélias décide de tuer ses trois enfants: deux filles, Philomèle et Brisis, et un garçon, Jason. Lors de l’attaque, Brisis se précipite au temple et demande la protection d’Héra, reine des dieux, pour le nourrisson Philomèle qu’elle dépose à ses pieds. Pélias, sans l’ombre d’une hésitation, les tue tous deux. La déesse Héra lui prédit qu’un homme viendra chaussé d’une seule sandale et le tuera, cet homme n’est autre que l’enfant qui lui a échappé, Jason… Vingt ans après, le roi Pélias rencontre enfin Jason venu reconquérir son trône…
Jason et les Argonautes est de ces films qui éveillent au merveilleux. Qui n’a jamais rêvé enfant après avoir vu Jason… d’aventures épiques, de terres lointaines, de monstres grandioses, de combattre des squelettes ? Le pouvoir d’évocation de cette formidable machine à rêves est intact, le temps n’a fait que renforcer sa beauté.
La réussite de Jason… tient à cet équilibre entre les effets spéciaux, la mécanique scénaristique, un metteur en scène inventif et son casting. L’alchimie fonctionne au-delà de toute attente grâce à la réunion d’artistes de grand talent totalement investis dans leur art. Initié par le producteur Charles H. Schneer et Ray Harryhausen dès le début des années 60, le film est un mixte de péplum, genre alors à son apogée, et la mythologie grecque et romaine. Après le feu vert de la Columbia, titillés par le sujet et son potentiel commercial, Schneer et Harryhausen se mettent en quête d’un scénariste, le premier retenu est Jan Reed. Il livre une première monture dense et confuse mêlant une action contemporaine à l’histoire antique. Le duo fait alors appel à un dramaturge, Beverley Cross, qui va éliminer le superflu, le prélude contemporain, unifier et développer l’histoire pour aboutir au script final. Pourtant, pour causes autant de budget que de durée, des parties entières sont supprimées dont la descente aux enfers de Jason et Médée sans que cela nuise à l’histoire.
Pour mettre en œuvre un film aussi complexe, Schneer et Harryhausen ont la bonne idée de mettre aux commandes Don Chaffey. A 46 ans, il a derrière lui une solide expérience avec une bonne dizaine de films et plusieurs réalisations de séries TV. C’est un professionnel qui exploite au mieux les moyens mis à sa disposition. Sa mise en scène est dynamique et vivante, il dirige l’ensemble des comédiens comme s’il s’agissait d’une troupe donnant à chacun la place qu’il mérite à l’écran, c’est un dosage parfait. Et surtout, Chaffey donne un rythme dans le plan qui s’intègre parfaitement avec les scènes en stop-motion, une gageure que ne réussiront pas toujours les réalisateurs qui travailleront avec Ray Harryhausen.
Côté distribution, Todd Armstrong est un Jason tout ce qu’il y a de plus correct. Harryhausen et Schneer privilégieront toujours pour leurs héros des acteurs solides sans être des vedettes, certainement pour éviter de mettre en avant une star au détriment des effets spéciaux et de déséquilibrer ainsi le film. Armstrong se donne corps et âme à son personnage. C’est donc du côté des seconds rôles que l’on trouve le plus souvent de savoureuses compositions. Dans cet ordre d’idées, Nigel Green compose un surprenant Hercule. Et le couple Niall MacGinnis (Zeus) et
Honor Blackman (Héra) est formidable de sous-entendus, de coup bas et de répliques cinglantes. Signalons la prédilection de Schneer et Harryhausen pour des personnages féminins moteurs et sexys. Dans le cas présent, ce sont Nancy Kovack et Honor Blackman qui apportent une touche de charme d’une rare élégance.
L’autre grand contributeur au succès du film est Bernard Hermann, compositeur de génie, indissociable de quelques réussites majeures d’Alfred Hitchcock (La mort aux trousses, Psycho, Marnie, etc.). Sa partition puissante et subtile accompagne magistralement l’odyssée de Jason et ses compagnons.
Il est indéniable que la formidable réussite de Jason et les Argonautes est en grande partie à mettre au crédit d’un artisan exceptionnel, Ray Harryhausen. Subjugué dans son adolescence par King Kong (1933), il décide de consacrer sa vie au cinéma et plus particulièrement à l’animation de créatures fantastiques. Il n’aura de cesse alors de perfectionner son art. Il devient l’élève de Willis O’Brien, l’homme de King Kong, et finit par voler de ses propres ailes. Ray Harryhausen est plus qu’un pionnier des effets spéciaux, c’est un créateur, un auteur dont on devine instantanément la patte. Passé maître dans l’animation image par image, Ray Harryhausen livre avec Jason et les Argonautes l’une de ses créations les plus virtuoses. On reste confondu d’admiration devant cette profusion de séquences d’anthologie : la fuite devant Talos, l’attaque des harpies, le combat contre l’hydre à sept têtes, contre les squelettes, etc. Et dire que toute cette magie est l’œuvre d’un seul homme enfermé dans son atelier durant de longues semaines, animant et filmant ses créatures, c’est tout bonnement incroyable au vu du résultat à l’écran.
L’influence de Ray Harryhausen et de son Jason… sur le cinéma à effets spéciaux est considérable. Influence revendiquée par nombre de cinéastes (Dante, Landis, Lucas, Spielberg, Burton, Del Toro, Jackson, etc.) jusqu’aux créateurs d’effets spéciaux actuels. Le spectateur attentif repérera sans difficulté son empreinte dans nombre de films de la plus modeste des séries B au plus pharaonique blockbuster.
Pour toutes ses raisons et plus encore pour la poésie qui en émane, Jason et les Argonautes reste une perle étincelante du 7e art.
Fernand Garcia
Jason et les Argonautes est le premier film d’une collection consacré à Ray Harryhausen. Cet artiste majeur a enfin droit à une édition à la hauteur de son talent sous l’égide de Sidonis Calysta. L’éditeur propose une magnifique copie HD de Jason et les Argonautes (combo DVD-Blu-ray) accompagnée par des bonus d’une grande qualité et d’un formidable livre sur l’œuvre de Ray Harryhausen, de quoi se précipiter sur ce coffret. Dans les suppléments :
Jason et les argonautes – De la mythologie au cinéma – entretien avec Michel Eloy qui revient sur la mythologie à la base du scénario (35’12).
Ray Harryhausen, le titan des effets spéciaux est un passionnant documentaire écrit et réalisé par Gilles Penso. C’est un voyage à travers toute son œuvre, de sa découverte de King Kong à 13 ans à son dernier film, Le Choc des Titans. Gilles Penso opte pour une approche chronologique. Ce film richement illustré d’extraits rares, d’animations tests, de croquis, etc., est commenté par Ray Harryhausen. Cet artiste hors pair ne pouvait que susciter l’admiration de cinéastes qui interviennent de bon cœur : Tim Burton, James Cameron, Terry Gilliam, John Landis, Steven Spielberg, Henry Selick, etc. et de maîtres des FX : Phil Trippet, Dennis Muren, etc. Ami depuis de très longue date Ray Bradbury, auteur de Fahrenheit 451 et des Chroniques martiennes, apporte une touche intime à ce beau documentaire. Produit par Alexandre Poncet. Production : Frenetic Arts et The Ray & Diana Harryhausen Foundation (93 minutes).
Enfin, deux bandes-annonces de Jason et les Argonautes (durée totale : 4’28) et huit Spots TV couleur et noir et blanc (durée totale : 3’08) clôturent la section des compléments.
A cet ensemble s’ajoute un livre passionnant : Ray Harryhausen – l’enchanteur des effets spéciaux de Marc Toullec. C’est un voyage ludique et instructif à travers l’œuvre de Ray Harryhausen, véritable apprenti sorcier de l’animation. Toullec a la bonne idée de regrouper les films par thème. Ainsi, de grandes lignes directrices apparaissent même si elles sont espacées dans le temps. Chaque création est longuement analysée et commentée par divers entretiens avec Ray Harryhausen. On pénètre ainsi au cœur de ses créations. Penso ne se limite pas aux films connus, ainsi il évoque les projets inaboutis comme cette version de La Guerre des mondes pour laquelle il contacte Orson Welles, mais qui ne donnera pas suite. Ce tour d’horizon complet est illustré par un choix iconographique impeccable où se pressent aussi bien toutes sortes de créatures fantastiques : rhédosaure, pieuvre à six tentacules (!), Ymir, cyclope, dragon, méduse, que des héros : Jason, Sinbad, Nemo, que de dessins préparatoires, affiches, etc. de quoi faire rêver les cinéphiles en herbe (152 pages). Une édition plus que collector, magnifique.
Jason et les argonautes (Jason and The Argonauts) un film de Don Chaffey avec Todd Armstrong, Nancy Kovack, Gary Raymond, Laurence Naismith, Niall MacGinnis, Michael Gwynn, Douglas Wilmer, Jack Gwillim, Honor Blackman, Nigel Green… Scénario : Jan Read et Beverley Cross. Directeur de la photographie : Wilkie Cooper. Décors : Geoffrey Drake. Montage : Maurice Rootes. Musique : Bernard Herrmann. Effets spéciaux / Producteur associé : Ray Harryhausen. Producteur : Charles H. Schneer. Production : Columbia Pictures Corporation – Morningside Worldwide Pictures. Etats-Unis. 1963. 104 minutes. Eastmancolor. Tous Publics.