De tous les mythes fantastiques, le vampire est sans aucun doute celui qui a le plus stimulé l’imagination des cinéastes. On ne compte plus les films qui, de près ou de loin, sont liés à un mythe universel dont on trouve des traces dans de nombreuses civilisations.
Qu’est ce qu’un vampire ?
Un mort sorti de sa tombe pour se nourrir de sang afin de demeurer en vie. Chacune de ses victimes devient vampire à son tour. Dans le « Dictionnaire infernal » de Jacques Auguste Simon Collin de Plancy publié en 1818, on peut lire, à propos du vampire :
« nom donné à des hommes morts depuis plusieurs années ou plusieurs mois, qui revenaient en corps et âme, parlaient, marchaient, infestaient les villages, maltraitaient les hommes et les animaux, suçaient le sang de leurs proches, les épuisaient et enfin causaient leur mort ».
Comment reconnaître un vampire ?
À sa cape noire et à ses canines proéminentes qui apparaissent au moment où il s’apprête à les planter dans le cou de ses victimes.
Il n’a pas d’ombre et ne se reflète pas dans un miroir.
Il ne supporte pas la lumière du jour et dort dans un cercueil.
Il ne sort que la nuit et il a le pouvoir de se transformer en chauve-souris.
Il craint l’ail et la croix qui peuvent le repousser.
Seul un pieu en bois enfoncé dans son cœur peut le détruire à tout jamais.
Cette créature assoiffée de sang doit une grande part de sa longévité cinématographique à l’immense production internationale dont il a été l’objet. Pourtant, le vampire est loin d’être une invention du septième art. Il s’est d’abord illustré en littérature avec des œuvres signées Théophile Gautier, auteur de La Morte amoureuse (1836), Charles Baudelaire (Les Métamorphoses du vampire, poème publié en 1836 dans Les Fleurs du mal), Lautréamont (Les Chants de Maldoror, 1869) ou Prosper Mérimée (Lokis, 1869). Mais le cinéma a surtout puisé dans l’œuvre d’un écrivain irlandais, Bram Stoker, auteur du roman Dracula, paru à Londres en 1897.
Qui était Bram Stoker ?
Né à Dublin, en 1847, Bram Stoker avait débuté une carrière de critique théâtral. Devenu l’ami de l’acteur Henry Irving, il prit la direction du Lyceum Theatre. En même temps, il publia des nouvelles, des romans, et des articles et même des contes pour enfants. Mais la plupart de ses écrits sont, malgré tout, de facture fantastique. Stoker était membre d’un club d’amateurs d’histoires insolites et d’une société secrète.
Dracula qui lui demanda dix années de recherche et d’écriture, se présente sous la forme d’un journal rédigé par les différents protagonistes de l’histoire.
Quelques années plus tard, le célèbre vampire allait faire sa première apparition à l’écran.
Dracula, premières veines
C’est à tort qu’on considère Nosferatu, le vampire réalisé en 1922 par le cinéaste allemand Friedrich Wilhelm Murnau comme la première apparition du vampire. Karoly Lajthay, un cinéaste Hongrois et son assistant Mihaly Kertész qui, quelques années plus tard, prendra à Hollywood le nom de Michael Curtiz, l’avaient précédé de deux ans. Leur film longtemps considéré comme perdu fut retrouvé par un universitaire hongrois, il y a une dizaine d’années, et ainsi considéré comme la première adaptation à l’écran du roman de Bram Stoker. Paul Askonas, un comédien viennois fit de Dracula un séducteur violent et fou et non un vampire assoiffé de sang. Quant à Murnau qui avait certainement vu le film, il s’en inspira, en particulier pour certains décors. Pour ne pas payer de droits d’adaptation, Henrik Galeen, son scénariste s’était bien gardé de mentionner toute référence au roman d’origine. Découvrant le pot-aux-roses, la veuve de Stoker avait alors intenté un procès à la société de production. Le scénariste se vit donc dans l’obligation de modifier les noms des personnages, les lieux de l’action et toutes sortes d’autres détails. Bien que le nom de l’écrivain soit absent du générique, le film demeure fidèle aux grandes lignes d’un roman très populaire en Allemagne dont on retrouve à l’écran, la plupart des moments forts.
Tourné avec peu de moyens, en utilisant, contrairement à l’habitude de l’époque, les décors naturels, Nosferatu, le vampire dont la traduction du titre original Nosferatu, eine Symphonie des Grauens est Nosferatu, une Symphonie de l’Horreur, demeure une œuvre pleine d’images insolites d’une beauté stupéfiante qui fit l’admiration des surréalistes. Pour n’en citer que quelques exemples : une procession de croque-morts en hauts-de-forme et redingotes, l’arrivée du navire dans le port de Wismar, l’apparition de la forme hideuse du vampire sur le voilier. En revanche, le personnage de Dracula-Orlock incarné par Max Schreck, acteur quelque peu mystérieux au nom prédestiné (Schreck = terreur en allemand), est peu conforme au portrait dressé par le romancier. Le visage livide, les oreilles pointues et les doigts crochus, le corps d’une maigreur proprement cadavérique accentuée par un maquillage blanchâtre, il est, en tout point, terrifiant et monstrueux.
Grand admirateur de Murnau, Werner Herzog tourna en 1978, un remake en couleurs, Nosferatu, fantôme de la nuit (Nosferatu, Phantom der Nacht), et poussa l’hommage jusqu’à tourner certaines scènes sur les mêmes lieux et dans les mêmes décors. Plus qu’un plagiat, comme l’ont écrit certains détracteurs, il s’agit d’un hommage sincère. Le scénario suit fidèlement l’œuvre originale avec pour seule nouveauté la transformation de Dracula, être sale et repoussant en quête de l’amour d’une femme et en proie à des pulsions homosexuelles. Klaus Kinski, qui excelle dans les personnages démesurés, jouait le rôle comme un animal incapable de résister à la moindre goutte de sang. Derrière son masque tragique en tout point conforme à celui de Max Schreck, il donne au personnage une dimension humaine insoupçonnée. Pour la première fois peut-être, Nosferatu inspire la pitié : « La mort n’est pas tout – dit-il – il est bien plus cruel de ne pouvoir mourir ».
Enfin, L’Ombre du Vampire (The Shadow of the Vampire, 2000, E. Elais Merhige) imagine que Murnau avait engagé un authentique vampire pour tenir le rôle du comte Orlock.
Dracula, Bela Lugosi et l’Universal
Éloigné des écrans pendant une dizaine d’années, Dracula revint en force en 1931 avec Dracula de Tod Browning (réalisateur de Freaks l’année suivante), adaptation d’une pièce de théâtre elle-même inspirée du roman et jouée avec succès par Bela Lugosi, un acteur originaire de… Transylvanie. En réalité, la société Universal qui, dans les années 20, s’était déjà orientée vers l’épouvante, souhaitait confier le rôle à Lon Chaney qui, en 1927, avait interprété un vampire dans Londres après minuit (London after midnight) de Tod Browning et ainsi contribué au succès de la compagnie. Mais l’acteur, spécialiste des transformations physiques, disparut en 1930 à l’âge de 47 ans. Héritant du rôle, Bela Lugosi entra ainsi dans la peau d’un personnage auquel son nom demeure attaché, bien qu’il ne le joua que deux fois. Le film, qui accusait ses origines théâtrales, passa très mal la barrière de l’écran.
C’est par les dialogues que l’action progresse et le film finit par devenir statique, presque ennuyeux. Il demeure toutefois un bon exemple du style de l’Universal, accordant ici toute son attention aux décors sombres et mystérieux, aux sous-sols poussiéreux envahis d’immenses toiles d’araignées.
En dépit d’un physique ne ressemblant en rien au héros de Stoker, Bela Lugosi fascine par la fixité de son regard quasi magnétique. En outre, il dote son personnage d’une aura de mystère indéniable pour en faire un être cultivé et raffiné, un aristocrate d’une élégance et d’une noblesse incomparables. Grâce à lui, l’Universal se spécialisa dans les grands mythes fantastiques.
Dans les années 40, des rencontres improbables avec Dracula (La Maison de Frankenstein, House of Frankenstein, 1944 ; La Maison de Dracula, House of Dracula, 1945) réalisés par Erle C. Kenton et interprétés par John Carradine virent également le jour. Ajoutons y encore des parodies telles que Deux nigauds contre Frankenstein (Abbott and Costello meet Frankenstein, 1948, Charles Barton) où Bela Lugosi (pour sa seconde apparition en Dracula) parodiait son personnage avec un certain brio.
Gros succès public, le film de Tod Browning fut présenté pour la première fois le jour de la Saint-Valentin avec ce slogan : « la plus étrange histoire d’amour que le monde ait connue ». Quant au personnage lui-même, il se vit affublé d’une descendance cinématographique tout à fait inattendue dans des films qui, loin d’être de simples séquelles, se révélèrent souvent supérieurs à leur modèle. D’abord, une modeste production de 1936, La Fille de Dracula (Dracula’s Daughter) de Lambert Hyllier, dans laquelle Dracula disparu à la fin du film de Tod Browning, laissait la vedette à une femme tout de noir vêtue et présentée, non pas comme un monstre mais comme un être sensible tentant d’échapper à sa condition de vampire. Puis dans Le Fils de Dracula (Son of Dracula, 1943) de Robert Siodmak qui, malgré l’interprétation catastrophique de Lon Chaney Jr, bénéficiait, dans se meilleurs moments (l’apparition du vampire, debout sur son cercueil flottant au milieu d’un lac), d’une étrange poésie.
Dracula, Christopher Lee et la Hammer
En 1956, la Hammer Films, modeste société de production britannique fondée en 1935, jusqu’alors spécialisée dans les films de genre à petit budget, met en chantier Frankenstein s’est échappé (The Revenge of Frankenstein, 1956) après avoir racheté à Universal les droits de tous les mythes portés à l’écran dans les années 30. Innovant grâce à l’introduction de couleurs chaudes et chatoyantes, le film est un succès inattendu qui pousse ses dirigeants à récidiver avec l’autre grand mythe qu’est Dracula. Tout naturellement, la réalisation est confiée au même cinéaste Terence Fisher, entré à la Hammer en 1952.
D’emblée, le cinéaste a la sagesse de revenir à l’œuvre originale quelque peu malmenée jusqu’alors et respectant sa forme littéraire. Le livre se composait en effet de journaux intimes, d’échanges de correspondances, d’articles de presse. Roman foisonnant dont le cinéma ne peut traduire ni tous les épisodes, ni tous les personnages, le scénario en restitue, malgré tout, parfaitement l’esprit. Le Cauchemar de Dracula (Horror of Dracula, 1958), premier film de vampires tourné en couleurs, bénéficie d’une réalisation dynamique qui, jointe à l’emploi de la couleur, s’oppose au statisme des productions Universal. Le réalisateur crée une atmosphère irréelle, baignée d’une palette de couleurs des plus riches, préférant les intérieurs à la décoration surchargée aux extérieurs, d’ailleurs peu nombreux. Pour la première fois enfin, dans un film de vampires, le sang coule en couleurs.
Plus qu’un monstre, le personnage de Dracula réagit à la manière d’un être humain. Pour preuve, la manière dont le réalisateur tourne ses pouvoirs en dérision. De plus, son temps de présence à l’écran est relativement court. Malgré cela Christopher Lee, qui jouera le rôle une dizaine de fois, sait parfaitement restituer la terreur que le monstre suscite chez les autres personnages. Fisher a su, en outre, ménager son apparition : c’est d’abord sa voix qu’on entend et lorsqu’enfin, Dracula se présente à nous, c’est de loin, tout en haut d’un escalier, les yeux injectés de sang. Beau, élégant, majestueux même, la silhouette élancée, il séduit sans peine des jeunes femmes qui, la nuit venue, s’offrent à lui sans réserve.
Le personnage acquiert ainsi une dimension qui n’avait jusqu’alors jamais été exploitée : celle d’un magnétisme purement sexuel exercé sur des victimes consentantes qui attendent sa venue avec fébrilité.
Assimilée à l’acte sexuel, la morsure est ici dotée d’un potentiel érotique largement édulcoré jusque là, Terence Fisher pouvant déclarer : « c’est ni plus ni moins une histoire d’amour » (1).
Contrairement à son titre, Les Maîtresses de Dracula (The Brides of Dracula, 1960) de nouveau orchestré par Terence Fisher, n’est ni une suite érotique du précédent, ni une nouvelle version des méfaits du célèbre vampire puisqu’il se situe après sa disparition. Mais Dracula revient en 1965 dans Dracula, Prince des Ténèbres (Dracula, Prince of Darkness). Le film débute là où s’achevait Le Cauchemar par la spectaculaire séquence de la mort du monstre, qui disparaît cette fois définitivement dans l’eau glacée d’un torrent. Avec cette fin sans équivoque, Terence Fisher affirmait sa volonté d’en finir définitivement avec le personnage et laissait le mythe entre les mains d’autres cinéastes (Freddie Francis, Roy Ward Baker, Peter Sasdy) tentant, jusqu’à la disparition de la Hammer en 1976, de le ressusciter de manière plus ou moins habile.
Vampires de tous pays
Lorsqu’en 1931, Tod Browning commence le tournage de son Dracula, l’Universal entreprend, en même temps, une version pour les pays de langue espagnole. Tournée dans les mêmes décors et selon un découpage rigoureusement identique mais avec d’autres acteurs et d’autres techniciens. La pratique était alors très courante.
À la même époque que la Hammer, le Mexique, qui s’était lancé dans la production de films fantastiques, manifesta un goût très prononcé pour le vampirisme. L’une des œuvres les plus réussies et d’une incontestable beauté plastique demeure Les Proies du Vampire (El Vampiro, 1959) de Fernando Méndez. On trouve encore des vampires Mexicains dans la série des Santo, ce catcheur masqué s’érigeant en justicier dans la plus pure tradition du serial des années 30, mais aussi dans des rencontres improbables entre les vampires et d’autres créatures monstrueuses.
Avec l’émergence d’un cinéma fantastique, l’Espagne se mit elle aussi à l’heure des vampires, notamment avec le très prolifique Jesus Franco, auteur des Nuits de Dracula (El Conde Dracula, 1969), tentative peu convaincante d’approcher aussi près que possible du personnage créé par Bram Stoker et ce, malgré la présence de Christopher Lee.
Beaucoup plus réussie, demeure Le Masque du Démon (La Maschera del Demonio, 1960) de l’Italien Mario Bava qui, pour ses débuts dans la réalisation, réussit un coup de maître. Adapté d’une nouvelle de Nicolas Gogol (Vij – Le roi des gnomes), son film mêle avec habileté vampirisme, nécrophilie et sorcellerie dans de somptueuses images en noir et blanc.
En France, seul Roger Vadim, auteur de Et Mourir de plaisir, osa s’aventurer dans une adaptation de Carmilla, un roman de Sheridan Le Fanu antérieur au livre de Stoker qui met en scène un vampire féminin.
Dans les années 60-70, la Corée du sud et le Japon adaptèrent, eux aussi, très librement l’œuvre de Stoker, mais la plupart de ses films nous demeurent inconnus.
Vampires faites-moi rire !
Tout mythe, quel qu’il soit, génère un jour ou l’autre sa propre parodie.
Le duo Abbott et Costello surnommé en France « les deux nigauds » s’y employèrent dès 1948 avec Deux Nigauds contre Frankenstein (Abbott and Costello meet Frankenstein) de Charles Barton dont l’action se situe sur une île de Floride… où Dracula s’y met en quête d’un nouveau cerveau pour Frankenstein…
Autre réussite, le fameux Bal des Vampires (1967) de Roman Polanski dont le titre original The Fearless Vampire Killers or Pardon Me, But Your Teeth are in my Neck annonce bien plus que le banal titre français, la volonté de « parodier tous les aspects du genre mais de faire – selon son réalisateur – un film qui serait en même temps plein d’esprit, élégant et visuellement agréable » (2). Ce qu’il est. En parfait connaisseur du genre, Polanski et son scénariste Gérard Brach retrouvent toute la richesse plastique des décors et des couleurs de la Hammer tout en dressant un inventaire irrésistible de la mythologie vampirique qui culmine dans la célèbre séquence du bal.
Sans atteindre la même perfection, Dracula, Père et Fils (1976) d’Edouard Molinaro met en scène Dracula, contraint d’émigrer en Angleterre pour devenir une vedette de films d’horreur… Enfin, dans Le Vampire de ces dames (1979, Stan Dragoti) dont le titre original « Love at First Bite », est, lui aussi, tout un programme Dracula y est chassé de Transylvanie par les communistes se réfugie à New-York où a lieu l’attaque d’une banque du sang…
Du sang neuf pour les vampires
L’apparition d’une nouvelle génération de cinéastes désireux de renouveler un mythe usé jusqu’à la corde se fait sentir à partir des années 70.
Nouveaux lieux
Du château des Carpathes, l’action se déplace volontiers vers les grandes villes : Londres dans Lâchez les monstres (Scream and Scream Again, 1970, Gordon Hessler) et Dracula 73 (Dracula A.D., 1972, Alan Gibson), San Francisco dans Vampire (1979, E.W. Swackhamer) ou la ville industrielle de Pittsburgh dans Martin (1977) de George A. Romero.
Nouveaux univers
Le vampire explore aussi des univers jusqu’alors ignorés : le film de cape et d’épée dans Captain Kronos, Vampire Hunter (1974, Brian Clemens), les arts martiaux dans La Légende des Sept Vampires d’or (1974, Roy Ward Baker) ou le film musical dans Son of Dracula (1974, Freddie Francis) avec l’ex-Beatles Ringo Starr.
Un plaidoyer politique
Mais l’innovation la plus surprenante reste sans aucun doute l’utilisation du personnage mis au service d’une cause politique. Tout en s’inspirant du roman de Stoker, Jonathan (Jonathan – Vampire Sterben Nicht, 1970) de Hans W. Geissendoerfer renouvelle complètement le genre en lui donnant une signification jusqu’alors insoupçonnée. . . Le vampire n’est plus cet être qui erre sans fin, la nuit venue, dans les couloirs d’un vieux château ou qui se réfugie dans une crypte dès l’apparition des premiers rayons de soleil. Ici, son physique et sa démarche sont sans équivoque possible. Il ressemble trait pour trait à Adolf Hitler et arbore une mèche sur le front alors que ses disciples portent des chemises noires… L’idée de « race supérieure » se retrouve curieusement dans Lâchez les monstres, réalisé la même année en Angleterre. Dans ce film, un groupe d’humanoïdes prend peu à peu possession des postes clés du Royaume-Uni en recourant au vampirisme.
Érotisme et vampirisme
Avec la libéralisation des mœurs, il n’est pas étonnant que le cinéma des années 70 s’attache à mettre en valeur les relations qui unissent vampirisme et érotisme. Relations évidentes comme le souligne Gérard Lenne : « nul besoin d’être rompu aux subtilités de la sexologie pour reconnaître ce que signifient le baiser-morsure, l’échange de sang (substance vitale), la proéminence phallique des canines et jusqu’à la destruction-castration ». On vit donc se multiplier les scènes de nudité, en particulier dans la très belle adaptation de Carmilla par Harry Kumel en 1971 intitulée Les Lèvres rouges ou dans Et mourir de plaisir déjà cité et même dans certaines productions de la Hammer, jusqu’alors restée bien sage dans ce domaine (Vampire Lovers, 1970, Roy Ward Baker ; Lust for a Vampire, 1971, Jimmy Sangster) etc.
Les vampires nouveaux sont arrivés
Film à petit budget, en noir et blanc, interprété par des inconnus, Martin (George A. Romero) présente un vampire qui a l’allure d’un adolescent d’une vingtaine d’années. Descendant d’une très lointaine lignée de vampires, il est assailli par des hallucinations. Cinéphile, il tourne en dérision la plupart des clichés liés à ses semblables et demeure peu sensible à la lumière, aux gousses d’ail qu’il dévore goulûment et à la présence du crucifix.
Dans Dracula (id., 1979), John Badham fait du Maître des Vampires un personnage romantique exerçant un attrait irrésistible sur des femmes prisonnières des tabous et des interdits d’une société puritaine. En quête d’absolu et d’amour fou, il leurs procure les plaisirs de la chair auxquels elles n’osaient jusqu’alors prétendre. Par son rejet des conventions sociales, Dracula fait ainsi figure de libérateur.
Dans Les Enfants de Salem (A Return to Salem’s Lot, 1987, Larry Cohen) adapté d’un roman de Stephen King, tous les habitants d’une petite ville de Nouvelle-Angleterre présentent des signes de longévité surprenants que seul le vampirisme peut expliquer.
Les vampires de Thirst (1979) de l’Australien Rod Hardy sont les élus d’une société scientifiquement organisée, une race à part qui a le pouvoir de prolonger indéfiniment l’existence. Ils se nourrissent du sang prélevé sur des êtres réduits en esclavage, pareils à des zombies et dont les files interminables évoquent d’autres holocaustes bien réels. Ce nouvel élixir fait l’objet des analyses scientifiques les plus attentives visant à le débarrasser de toute imperfection.
Premier long métrage de Tony Scott, Les Prédateurs (The Hunger, 1983) adapté du best-seller de Whitley Streiber fait d’un couple de vampires incarné par Catherine Deneuve et David Bowie, les derniers survivants d’une espèce en voie de disparition. Pour survivre et accéder à l’immortalité, ils doivent se mettre en quête de victimes et prélever leur sang.
Quant aux vampires de Génération perdue (The Lost Boys, 1987) de Joel Schumacher, ils écoutent de la musique rock, arborent des blousons de cuir, chevauchent des motos et défient les lois avec la désinvolture redoutable que leur confère leur pouvoir d’immortels.
Ceux d’Aux frontières de l’aube (1987, Near Dark) de Kathryn Bigelow conduits par un vétéran de la guerre de Sécession, sont dénués de tout sens moral, vivent en communauté et errent le long des routes, tel des personnages à la dérive rejetés par la société. Ils ont l’air de paumés, de clochards, voire de hors-la-loi de westerns. Le mot « vampire » n’est jamais prononcé et à l’exception de la lumière du jour qui brûle leur peau et le sang, base de leur nourriture, tout le reste de l’attirail habituel est absent.
Terrifiants, puissants, impitoyables, ivres de pouvoir, les vampires de John Carpenter dans le film du même titre réalisé en 1998, évoluent, eux aussi, dans un décor de western. Ils se heurtent à un chasseur à la solde du Vatican.
Plus encore qu’Aux frontières de l’aube, Entretien avec un vampire (1994, Interview with a Vampire) de Neil Jordan adapté du roman d’Anne Rice, souhaite en finir avec l’attirail propre aux vampires. Ainsi, Lestat, un vampire cruel et raffiné mais heureux de vivre (interprété par Tom Cruise) propose à Louis (Brad Pitt) âgé de deux cent ans, la vie éternelle, celle des ténèbres et de l’errance mais aussi celle du luxe et de la décadence.
Également éloignée de la mythologie, les trois films de la série Twilight réalisés entre 2008 et 2010 et adaptés des romans de Stephenie Meyer, présentent des vampires sans crocs qui ne dorment jamais, s’alimentent de sang animal et possèdent des dons étonnants : voir l’avenir ou lire dans les pensées,
Entièrement tourné en studio, Dracula (1992) de Francis Ford Coppola, dont le titre original est Bram Stoker’s Dracula marque la volonté du cinéaste de suivre au plus près le roman original. Mais le film présente aussi de nombreuses différences, à commencer par l’assimilation entre Dracula et Vlad Tepes (1431-1476), prince valaque, auteur de nombreux actes sanguinaires et réputé pour la terreur qu’il suscitait chez ses ennemis mais aussi dans ses propres troupes. Surnommé Vlad l’Empaleur il servit d’inspiration à Bram Stoker pour imaginer son personnage.
Respectueux du mode de narration, Coppola introduit dans cette « histoire d’amour exceptionnelle » (ce sont ses propres termes), des détails qui, jusqu’alors, n’avaient pratiquement jamais été montrés. Par exemple, la possibilité pour Dracula, d’apparaître, tantôt sous les traits d’un être âgé de quatre cent ans, tantôt sous ceux d’un élégant gentleman. Mais il introduit aussi des éléments de son cru, en particulier avec cette scène où, arrivant à Londres, Dracula rencontre, au cours de l’une des premières représentations publiques de cinéma, une jeune fille qui s’éprend de lui. Le roman fut publié deux ans après l’invention du cinéma et la scène en question possède la cadence d’un film muet, le réalisateur préférant des procédés anciens : ralentis, accélérés, surimpressions plutôt que le recours à des effets spéciaux sophistiqués.
Loin d’être complet, ce petit tour d’horizon s’est efforcé de donner quelques pistes de réflexion autour d’un thème inépuisable qui a su régulièrement se renouveler et dans lequel le cinéma a abondamment puisé. Preuve s’il en était besoin que les vampires ont la dent dure !
Jean-Pierre Piton
(1) Midi-Minuit Fantastique n° 10-11, hiver 1964-1965
(2) Roman par Polanski. – Paris : Robert Laffont, 1984
(3) Le cinéma fantastique et ses mythologies. Paris : Veyrier, 1985
BIBLIOGRAPHIE
Jean Marigny.- Sang pour sang, le réveil des vampires.- Découvertes Gallimard, 1993 David Pirie.- Les Vampires du cinéma.- Oyez, 1978
Jean-Pierre Piton.- Le cinéma fantastique.- CinémAction N° 74, 1er trimestre 1995
Alain Pozzuoli.- – Guide du centenaire. Dracula (1897-1997). Editions Hermé, 1996
Revues : L’Ecran fantastique, Fantastyka.
merci!