Cold War est une histoire d’amour comme on n’ose plus en faire et un récit historique comme on n’en voit plus. Par le prisme de ses deux personnages, Pawel Pawlikowski fait resurgir devant nos yeux un monde où les notions d’Est – Ouest était encore vivaces en Europe. D’un côté la liberté, le capitalisme, de l’autre la prison, le communisme, le schéma était simple, et rien ne prenait en compte les diversités qu’il pouvait y avoir d’un pays à l’autre dans le bloc soviétique.
L’histoire que nous raconte Pawel Pawlikowski s’étale sur quinze ans de 1949 à 1964. Wiktor (Tomasz Kot) et Irena (Agata Kulesza) sillonnent la campagne polonaise à la recherche de voix pour former un groupe folklorique. Projet de longue haleine pour les deux musiciens soutenus du bout de lèvre par le régime. Au cours d’une audition, Wiktor rencontre Zula (Joanna Kulig). Elle est jeune, décidée et ambitieuse. Si ses talents ne sont pas au premier abord évidents, Wiktor tombe instantanément sous son charme. Un couple va se former avec toutes ses contradictions qui au fil des rencontres vont s’accentuer tout en créant des liens indestructibles.
La force de Cold War est de faire vivre d’autres destins que l’on devine par un regard, une attitude, une éclipse autour du couple Wiktor/Irena dans la narration. Ainsi, Irena et Wiktor sont amants, mais Irena laisse sa place à Zula, comprenant qu’elle ne pourra rien faire contre cet amour qui consume celui qu’elle aime. De même, Kaczmarek (Borys Szyc), figure du Parti communiste, personnage antipathique au premier abord, tout entier dévoyé au système, évolue au fil des rencontres avec Wiktor.
Le cœur du film est la relation entre Wiktor et Zula, un amour impossible fait de malentendus, de dissonances, de moments reportés, qui pourtant n’effaceront pas l’intensité de leur relation. Au sein même de leurs contradictions, se trouvent celles de tout un pays. Alors que la chorale folklorique montée par Wiktor et Irena connait un succès grandissant, Wiktor décide de partir à l’Ouest avec Zula. A Berlin, tout est prêt pour le grand saut, mais Zula ne viendra pas, laissant Wiktor face à un terrible choix franchir la frontière ou rester. Il passe à l’Ouest, abandonnant tout ce qu’il a bâti, laissant son amour. L’Occident n’est pas la terre promise, il n’est plus qu’un pauvre musicien exilé parmi d’autres. Dans les soirées parisiennes, Wiktor n’est qu’un gigolo. Des années plus tard, Wiktor et Zula se retrouveront à Paris, mais elle ne supporte pas son milieu artistique, faux et hypocrite. A l’Est, Zula devient une chanteuse dont la renommé ne cesse de croître, elle est un instrument aux mains du pouvoir. Séparations, retrouvailles, et c’est dans l’ex-Yougoslavie, pays de semi-liberté, de l’entre-deux, que Wiktor replonge dans les méandres d’un amour immaîtrisable.
Chaque plan de Cold War transpire l’amour du cinéma, Pawel Pawlikowski accompagne son couple avec ses zones d’ombre et de clarté. La musique est le lien entre leurs cœurs, l’Est et l’Ouest. Les ellipses, des fondues au noir sont des mouvements aussi importants que des séquences, il s’y jouent des pans entiers de vie, c’est tout simplement admirable.
Cold War est l’un des plus beaux films de l’année tissé sur des sentiments ineffables…
Fernand Garcia
Cold War un film de Pawel Pawlikowski avec Joanna Kulig, Tomas Kot, Agata Kulesza, Borys Szyc, Jeanne Balibar, Cédric Kahn, Adam Woronowicz, Adam Ferency… Histoire : Pawel Pawlikowski. Scénario : Pawel Pawlikowski et Janusz Glowacki avec la participation de Piotr Borkowski. Image : Pawel Pawlikowski et Lukasz Zal. Décors : Marcel Slawinski, Katarzyna Sobanska-Strzalkowska et Benoît Barouh. Costumes : Ola Staszko. Montage : Jaroslaw Kaminski. Production : Opus Film – Apocalypso Productions – MK Films – MK2 Productions – ARTE France – BFI Film Fund – Film 4 – Kino Swiat. Producteurs : Ewa Puszczynska et Tanya Seghatchian. Distribution (France) : Diaphana (Sortie en salles le 24 octobre 2018). Pologne – Grande-Bretagne – France. 2018. 84 minutes. Noir et blanc. Format image : 1,37 :1. Son : 5.1. Tous Publics. Prix de la mise en scène, Festival de Cannes, 2018.