La pancarte « Bienvenue à Bottleneck » qui accueille les voyageurs ne sert plus qu’à suspendre des bouteilles destinées au tir, parce que dans la ville, c’est l’anarchie. L’alcool coule à flots, les règlements de comptes vont bon train, Kent (Brian Donlevy) règne sur ce capharnaüm depuis le Last Chance Saloon. A coup de partie de poker truqué, il s’approprie ce qui reste de terres encore hors de ses griffes. Dans cette besogne, il a le soutien de Frenchy (Marlene Dietrich), sa vénéneuse chanteuse. Un soir, un vieux paysan Lem Claggett (Tom Fadden) perd son ranch; à peine éjecté du saloon, il décide de se faire justice.Il est arrêté dans son élan par le Shérif Keogh (Joe King). C’est l’occasion pour Keogh d’en finir une fois pour toute avec Kent. Mais rien ne se déroule comme prévu, le shérif est froidement abattu sur un ordre de Kent, qui aussitôt lui trouve un successeur : le vieux Wash, une éponge à gnôle. Aussitôt, Wash abandonne la bouteille et décide de faire appel à Tom Destry Jr. (James Stewart), fils d’un homme de loi et légende du pistolet, pour nettoyer la bonne ville de Bottleneck !
Revoir aujourd’hui Femme ou démon s’apparente à reprendre une tranche de gâteau par pure gourmandise. Ce joyau du western est signé par George Marshall un cinéaste de l’industrie capable du meilleur d’expérimentations, comme d’œuvres plus paresseuses. Avec Femme ou démon, il est au sommet. Le film est comme touché par la grâce, tout s’enchaîne admirablement, pas un temps mort, le casting jusqu’aux plus petits rôles est impeccable, pas une fausse note. En tête d’affiche, James Stewart et Marlene Dietrich sont un incroyable pari, ce qui nous semble évident aujourd’hui, ne l’était absolument pas à l’époque. James Stewart était l’acteur des comédies sophistiques, le voir dans un western, lui si frêle, relève de la gageure, tant dans l’imaginaire, l’Ouest était alors l’apanage de la virilité exacerbée. Choix payant au-delà de l’imaginable, Stewart apporte une fraîcheur et un ton inimitable. C’est une composition superbe, on se demande à chacun de ces pas comment il va s’en sortir et l’on est suspendu à ses lèvres dans l’attente de la prochaine réplique. Marlene Dietrich, la « créature » de Josef von Sternberg, trouve enfin à Hollywood un rôle neuf qui la libère « en partie » du fétichisme érotique lié à ses apparitions. Considérée comme un poison pour le box-office, le succès phénoménal du film va relancer sa carrière. Son entrée en scène dans Femme ou démon est d’une grande ingéniosité, elle est instantanément crédible en chanteuse de saloon. Elle est la femme fatale dominatrice et soumise au milieu de cow-boys bas de plafond.
La grande originalité de Femme ou démon est d’être un western avec des éléments comiques, mais sous la comédie se cache le masque de la tragédie. Sans utiliser une qualification aussi écrasante, on peut dire que une certaine douleur transparaît, celle des amours contrariés, impossibles, de la vie qui vous échappe sans que vous puissiez en être le maître. C’est totalement clair dans le personnage qu’incarne Marlene Dietrich, elle prend conscience des concessions qu’elle fait pour survivre dans un univers de crapulerie. Sa rencontre avec Destry (James Stewart) est l’élément déclencheur d’une prise de cette conscience, la preuve qu’une autre manière de vivre est possible, et que sur une terre de violence, peut apparaître une humanité paisible, tout dépend de la volonté des êtres humains. Mais les choses arrivent toujours trop tard avec ce décalage qui vous emporte là où nous ne voulons plus aller. Frenchy est prisonnière de ce sortilège dont elle ne peut se défaire, elle y laissera la vie. Les scènes entre Dietrich et Stewart suivent une évolution où les rapports de forces s’inversent, mais ce n’est pas à qui aura le dessus sur l’autre, et c’est sur un même pied d’égalité que Destry et Frenchy arrivent à un point d’équilibre. C’est vraiment beau et admirablement joué. En toute logique, la grande scène de bagarre entre le bon (Destry) et le méchant (Kent) n’aura pas vraiment lieu et ce sont Marlene Dietrich et Una Merkel qui s’y collent (vraiment) pour une scène d’anthologie. Rivalité qui trouve son apothéose à coup-de-poing et de crêpage de chignons dans l’ambiance survoltée du saloon.
Femme ou démon, western populaire et énorme succès de 1939, n’a rien perdu de son charme, bien au contraire.
Fernand Garcia
Avec cette très belle édition de Femme ou démon dans la collection Western de légende, Sidonis / Calysta propose son remake Le Nettoyeur (Destry, 1954) par George Marshall qui reste très en deçà de la première version, les miracles ne se produisent pas deux fois, cette version reste tout à fait plaisante. Pour Femme ou démon une double présentation : Bertrand Tavernier, « un film très marquant dans l’histoire du genre », il évoque le romancier à l’origine du film Max Brands et la genèse de Femme ou démon avec dans un premier temps Gary Cooper, comme premier acteur prévu « mais qui refuse pour cachet pas assez élevé » et c’est, selon la légende, le romancier Erich Maria Remarque qui a convaincu Marlene Dietrich d’accepter le film. Intervention toujours aussi instructive de la part du cinéaste et historien du cinéma (23 minutes). Pour Patrick Brion, autre historien et spécialiste du western, Femme ou démon est « réalisé dans une année très intéressante pour le western » avec des titres importants : Jesse James de Henry King, La chevauchée fantastique et Sur la piste des Mohawks de John Ford, Les Conquérants de Michael Curtiz, Pacific Express de Cecil B. DeMille, etc. Nous sommes à deux années de l’entrée en guerre de l’Amérique, comme si subitement le pays se mettait à réfléchir sur son histoire (7 minutes). Une rareté, le livre audio Le Grand Bluff, pièce radiophonique avec James Stewart et Joan Blondell (Frenchy) qui recrée Femme ou démon sur les ondes (VOSTF, 52 minutes).
Femme ou démon (Destry Rides Again) un film de George Marshall avec Marlene Dietrich, James Stewart, Mischa Auer, Charles Winninger, Brian Donlevy, Warren Hymer, Irene Hervey, Una Merkel, Joe King… Scénario : Felix Jackson, Gertrude Purcell, Henry Myers d’après une histoire original de Felix Jackson adapté du roman de Max Brands. Directeur de la photographie : Hal Mohr. Décors : Jack Otterson. Montage : Milton Carruth. Musique : Frank Skinner. Chansons paroles : Frank Loesser, musique : Frederick Hollander. Producteur : Joe Pasternak. Production : Universal Pictures. Etats-Unis. 1939. 90 minutes. Noir et blanc. Master Haute Définition Ratio image : 1,37 :1. Son : VF et VO STF. Tous Publics.