Un château sous un ciel lourd. « Ancré sur un rocher face à la mer, le château de Karlstein semble défier les éléments qui viennent mourir sur ses pierres. L’imposante demeure est habitée par un sinistre personnage célèbre par ses crimes, le comte Dracula. Cet homme a fait régner la terreur dans tout le comté pendant des années. Aujourd’hui le souvenir de ses horreurs s’est estompé dans la nuit des temps et a rejoint la légende, cependant… » Une plage… un œil bleu observe… Une femme entre dans sa chambre, la plage en contre-pas se reflète sur la vitre de la fenêtre. Elle écrase sa cigarette et se déshabille. Tandis qu’elle change de pièce, quelqu’un s’introduit dans l’appartement. La jeune femme enlève ses derniers vêtements dans la salle de bain et s’allonge dans la baignoire. Quand elle se rend compte de cette présence, il est bien trop tard… Dans son château, la Baronne Karlstein est mourante. Elle attend sa petite fille Luisa (Britt Nichols). Avant de rendre l’âme, elle lui confie un terrible secret concernant la malédiction qui pèse sur la famille depuis des générations et lui confie la clé de la crypte du château… Au matin, la police découvre sur la plage le cadavre d’une femme…
« Personne n’a le pouvoir de retenir la course des oiseaux qui hantent les ténèbres »
Il faudrait consulter les plans de travail pour savoir avec exactitude où se place La fille de Dracula dans la filmographie de Jess Franco dans l’année 1972. Alain Petit dans son volumineux Jess Franco, les prospérités du bis (Editions Artus Films), le situe après Los Amantes de la Isla Del Diablo et avant Les Expériences érotiques de Frankenstein, il faut reconnaître qu’avec huit films et un inachevé, Jess Franco n’a pas chaumé cette année-là. Ainsi de film en film on retrouve la même troupe d’acteurs, de techniciens et des décors identiques. Malgré les similitudes, chaque film a son propre style, plus ou moins baroque, où l’on reconnaît sans peine la patte de Franco.
Avec La fille de Dracula, Jess Franco revisite le mythe de Dracula, qu’il neutralise par sa mise en scène et développe une intrigue policière à la Agatha Christie qu’il va aussi vider petit à petit de toute substance. Son comte Dracula n’est qu’un corps enfermé dans son cercueil. Le personnage n’est absolument pas moteur de l’intrigue puisqu’il reste confiné dans son cercueil et ne se redresse que pour accueillir les proies que lui apporte sa rabatteuse. Quant à l’intrigue à la Agatha Christie, elle ne sera pas mieux traitée, puisque sa résolution se fait en un clin d’œil, comme si les personnages étaient depuis le début de l’histoire au courant. Ce qui intéresse Franco est ailleurs. Dans l’attente de l’amour et de la résurgence de sentiments forts. La déambulation automnale de Luisa vers la crypte ne dit pas autre chose. Filmer la satisfaction des désirs est ce qui motive Franco. Le film trouve son étrange point d’équilibre dans deux séquences érotiques de lesbianisme absolument admirables. Le film n’existe que par la force de ces deux moments.
La première débute sur Luisa (Britt Nichols) au piano, Karine (Anne Libert) s’approche d’elle en caressant des statues féminines. Elle est envoûtée par la musique et se consume de désir. Accoudée au piano, Karine lui avoue son amour. Luisa cesse de jouer et caresse la main de Karine… la musique reprend, et c’est le comte Max Karlstein (Daniel White) qui poursuit, tandis que les deux femmes se découvrent mutuellement. Nues, elles s’abandonnent à leurs désirs. Franco scrute avec sa caméra le moindre frétillement de la peau, le vertige qui s’empare des corps. Il zoome sur les peaux jusqu’au flou et enchaîne les plans avec une grande élégance, c’est follement érotique. La séquence est si longue que le temps semble suspendu. Le film ne s’est pas arrêté mais s’est déployé vers une autre dimension. Il se produit alors quelque chose d’assez curieux, l’enquête policière devient secondaire, comme si cette histoire appartenait à un autre espace-temps. L’histoire d’amour de ces deux femmes s’inscrit dans la modernité balayant tout sur son passage. Il ne reste plus au spectateur qu’à attendre la suite de cette relation. Mais avant cela, Franco atomise le couple Jefferson Ana (Yelena Samarina) et Cyril (Jess Franco, lui-même) en faisant d’Ana la maîtresse de Max. Elle avoue cette relation extraconjugale au commissaire réduisant à néant sa couple avec Cyril. Les histoires d’amour sont souvent douloureuses. Le spectateur a saisi que le propos de Franco est au-delà du film de genre. La deuxième séquence de lesbianisme est sous le sceau de la douleur, de la jalousie, des sentiments trop forts qui aboutissent à l’ultime preuve d’amour, la mort dans l’amour total et absolu. Franco filme en très gros plan comme s’il devait saisir la moindre palpitation des corps. Il termine la séquence en plongée sur le corps sans vie de Karine et zoome sur son pubis, l’objet du désir.
Dans La fille de Dracula le feu des sentiments est supérieur à celui qui calcine les vampires dans leur crypte, toute la beauté du film est là.
Fernand Garcia
La Fille de Dracula est édité avec beaucoup de soin par Artus Films avec en Supplément : La main d’un assassin, par Jean-François Rauger. « Godard invente une certaine modernité cinématographique (…) et Franco lui aussi déconstruit le cinéma classique », passionnante présentation et analyse très fine du film et du style de Jess Franco par le programmateur de la Cinémathèque Française. Pour Rauger, il ne faut pas voir Jess Franco comme un cinéaste de genre ou de films de terreur ou fantastique, mais comme un cinéaste d’avant-garde incompris en son temps, ce à quoi nous souscrivons totalement (18 minutes).
Un très beau diaporama de photos en noir et blanc ; enfin la très importante section des Films-annonces de la collection Jess Franco d’Artus Films (Les Expériences érotiques de Frankenstein, La Fille de Dracula, Les démons, Tender Flesh, Le Miroir obscène, Les inassouvies, Sumuru, la cité sans hommes, La Comtesse perverse, Célestine, bonne à tout faire, Plaisir à 3, Vénus in Furs).
La fille de Dracula (A Filha de Dracula), un film de Jess Franco avec Britt Nichols, Anne Libert, Alberto Dalbes, Daniel White, Jess Franco, Howard Vernon, Yelena Samarina, Conchita Núñez, Fernando Bilbao, Eduarda Pimenta… Scénario : Jess Franco. Directeur de la photographie : Pepe Climens (José Climent). Montage : Roberto Fandino. Musique : René Sylviano et Daniel White (non crédité). Producteur : Robert de Nesle. Production : Interfilme (Lisbonne) – Comptoir Français du Film Production (Paris). Portugal – France. 1972. 82 minutes. Couleur (Eastmancolor). 35 mm. Format image : 2.35 :1. 16/9e compatible 4/3. Master HD 1080p. Son Dolby Digital. Version française. Interdit aux moins de 16 ans.
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