La nuit s’est abattue sur le château du Dr Frankenstein. Dans la salle d’opération, le Dr Frankenstein (Dennis Price) greffe un nouveau cerveau dans la boîte crânienne de sa créature (Fred Harrison/Fernando Bilbao). L’opération est un succès, la créature a de nouvelles facultés humaines dont celle de la parole… Surgit alors des ténèbres, Melissa (Anne Libert), créature aveugle mi-femme mi-oiseaux, créée par le comte Cagliostro (Howard Vernon), grand rival du Dr. Frankenstein. Melissa, avec l’aide de son domestique, s’empare de la créature après avoir laissé pour mort le Dr Frankenstein et son assistant Morpho (Jess Franco). Cagliostro, revenu de l’au-delà, veut se servir du monstre de Frankenstein pour enlever différentes femmes dont certaines parties de corps assemblées les unes aux autres créeront une femme parfaite. Le Dr Frankenstein est ressuscité l’espace d’une décharge électrique par sa fille Vera (Beatriz Savón). Il lui donne le nom du responsable de sa mort…
Jess Franco est un cinéaste des bas-fonds, des salles familiales perdues dans les petites rues pour un public d’habitué et friand des séances chaudes du vendredi et du samedi soir. Franco faisait un travail d’artisan pour ces petits commerces de cinéma disparu depuis longtemps. Les Expériences érotiques de Frankenstein entre dans cette catégorie de film dont l’affiche et les jeux de photos exposées longtemps avant sa projection faisaient rêver. Et Franco savait jouer avec les spectateurs sur leurs connaissances du cinéma et sur ce qu’ils attendaient d’un spectacle populaire, sorte de contrat invisible entre lui, ses films et les spectateurs. Le titre Les Expériences érotiques de Frankenstein est à lui seul tout un programme et qu’importe qu’au générique ce soit La malédiction de Frankenstein. Il y aura non seulement Frankenstein et son monstre mais aussi Cagliostro, des zombies et son lot (magnifique) de femmes nues. Mais, par sa réalisation, le film va au-delà du simple métrage fantastico-érotique.
Pour Les Expériences érotiques de Frankenstein plus besoin pour Franco de reprendre à zéro l’histoire de Frankenstein, son public est familiarisé avec celle-ci depuis les films de l’Universal, de la Hammer, des séries B et Z mettant en scène toute sorte de confrontations improbables. Franco s’inscrit en droite ligne dans le feuilleton populaire, le serial, il introduit dans l’histoire le comte Cagliostro et invente une opposition entre lui et Dr Frankenstein. L’histoire totalement délirante avance avec un grand sérieux. L’introduction est étrange avec sa superbe contre plongée de nuit sur le château du Dr Frankenstein et le démarrage d’une musique électronique des plus perturbantes. D’un coup la musique laisse place au silence de la nuit, dans une forêt, une calèche s’avance d’où sort Melissa. Personnage fascinant, revêtu uniquement d’une cape noire. La musique reprend et s’associe au bruit de la forêt, c’est la fusion de deux situations. C’est une mise en place très fine et artistiquement maîtrisée.
Envolés lyriques, fulgurances poétiques, Jess Franco signe avec Les Expériences… l’un de ses plus beaux films. Chaque séquence est marquée du sceau du plaisir. Les plans magnifiques s’enchaînent : le visage de Melissa le regard dans l’au-delà, le transport du coffre métallique renfermant le monstre sur la plage, celui du cercueil du docteur de nuit. Les superbes contre-plongées en mouvements sur Cagliostro et Melissa trouvant leur point final sur un magnifique flou artistique d’une mer déchaînée. L’utilisation du scope est admirable avec ses cadres désaxés, ses contre-plongées, ses parties de l’image floue, la disposition très étudiée des lumières rappellent les grandes heures de l’expressionnisme.
La pauvreté des moyens mis à la disposition de Jess Franco concourt à la poésie sauvage du film. Toutes les obsessions et centres d’intérêt du cinéaste sont au rendez-vous. Les vêtements glissent le long des corps, Franco cadre l’origine du monde mais son érotisme se teinte rapidement de sombre morbidité. Le plaisir, le sang et la mort ne sont pas seulement évoqués par Melissa mais traduits graphiquement, bifurcation sadienne du film: femmes nues attachées et soumises à la puissance hypnotique de Cagliostro. Et puis surgit une séquence sidérante de torture, « du jeu de la vie et de la mort », la fille de Frankenstein et un compagnon d’infortune sont attachés nus dos à dos fouettés par le monstre. Placés au milieu de pointes coupantes et envenimées, dont la seule manière d’échapper à cette mort atroce est d’éviter de tomber le premier.
Franco retrouve quelques-uns de ses acteurs fétiches. Howard Vernon: l’élégance, l’autorité et la perversion combinées dans son jeu font de son Cagliostro une des plus époustouflantes interprétations de sa carrière. Le comte de Cagliostro, grand maître de l’occulte est un bel hommage au grand Orson Welles, le mentor de Jess Franco. L’acteur l’incarna en 1949 dans Black Magic (Cagliostro) réalisé par Gregory Ratoff.
Anne Libert est à damner avec ses plumes vertes disséminées sur ses cuisses, ses mains et barrant sa poitrine – oiseau de nuit, vénéneux et assoiffé de désir, l’un de ses plus beaux rôles. C’est Armando do Ossorio qui offre à la superbe Britt Nichols son premier rôle au cinéma dans La révolte des morts-vivants. C’est pourtant Jess Franco qui va faire de l’actrice portugaise l’une de ses égéries. Elle joue sous sa direction dans 7 films, c’est-à-dire la quasi-intégralité de sa filmographie. D’après Alain Petit dans son monumental livre consacré à Jess Franco (Jess Franco ou les prospérités du bis, Edition Artus Films), Britt Nichols a refusé le rôle principal de What ! malgré l’insistance de Roman Polanski, le rôle de la belle ingénue sera finalement tenu par Sydne Rome. Autre magnifique beauté la blonde Beatriz Savón dans le rôle de Vera Frankenstein, son rôle le plus important au cinéma. Curieusement c’est son unique film avec Jess Franco.
Les Expériences érotiques de Frankenstein – un film fou, libre et enfiévré d’un cinéaste en pleine maîtrise de son art, une œuvre importante dans l’abondante filmographie de Jess Franco.
Fernand Garcia
Les Expériences érotiques de Frankenstein magnifique édition d’Artus Films (combo DVD/Blu-ray) avec des suppléments formidables : La malédiction de Frankenstein par Alain Petit. Grand connaisseur de l’œuvre de Jess Franco, Alain Petit classe le film dans une trilogie avec Dracula prisonnier de Frankenstein et La fille de Dracula, hommage à la période classique de l’Universal (30 minutes).
Robert de Nesle, par Alain Petit. Il évoque la carrière du producteur de ses débuts à sa disparition en 1978. Robert de Nesle a produit et distribué Mario Bava, Riccardo Freda, Georges Franju, plus de cent films, péplum, comédie, érotique, porno, du cinéma populaire. Petit revient longuement sur l’éparpillement de son catalogue après sa mort, une mine d’informations sur ce producteur méconnu (23 minutes).
Un complément d’importance est le montage espagnol du film de Jess Franco. La maldicion de Frankenstein, pour des raisons de censure espagnole, le producteur retire les scènes de nu, résultat: le métrage devient trop court. Pour obtenir un métrage acceptable pour l’exploitation, Jess Franco tourne des scènes additionnelles avec Lina Romay, absentes de la version originale. La muse de Franco incarne Esmeralda. Certains plans sont différents, ainsi la cape de Melissa recouvre au maximum sa nudité, d’autres ont carrément disparu et dans la grande séquence de fouettage au milieu des pointes, les protagonistes sont habillés. Le contraste a été augmenté afin que disparaisse le peu de chair dénudée restante. Les scènes avec Lina Romay n’apportent pas grand-chose à l’intrigue. Cette version d’où l’érotisme a été gommé prouve que cette dimension est partie intégrante et indissociable de l’œuvre. Son absence s’apparente à une sorte d’émasculation artistique (VOSTF, 81 minutes).
Un superbe diaporama d’affiches et de photos du film. Et enfin les films-annonces de la très riche collection Jess Franco d’Artus Films (Les Expériences érotiques de Frankenstein, La Fille de Dracula, Les démons, Tender Flesh, Le Miroir obscène, Les inassouvies, Sumuru, la cité sans hommes, La Comtesse perverse, Célestine, bonne à tout faire, Plaisir à 3, Vénus in Furs).
Les Expériences érotiques de Frankenstein / Les Plaisirs de la nuit/ La Fille du docteur Frankenstein / La Malédiction de Frankenstein (La malédiction de Frankenstein) un film de Jess Franco avec Avec Howard Vernon, Anne Libert, Beatriz Savón, Dennis Price, Alberto Dalbes, Daniel White, Britt Nichols, Jess Franco, Luis Barboo… Scénario : Jess Franco. Directeur de la photographie : Raul Artigot. Décor : Jean d’Eaubonne (non crédité au générique). Montage : Roberto Fandino. Musique : Vladimir Cosma, Vincent Gemignani, Robert Hermel, Armando Sciascia et Daniel White. Producteur : Robert de Nesle. Production : Comptoir Français du Film Production (Paris) – Fenix Film (Madrid). France – Espagne. 1972. 74 minutes (81 minutes pour la version espagnole). Couleur (Eastmancolor). 35 mm. Format image : 2.35 :1. 16/9e compatible 4/3. Master HD restaurés. Son Dolby Digital. Version française et version espagnole sous-titrée en Français pour La Maldicion de Frankenstein. Interdit aux moins de 16 ans.