William Chaminade (Bourvil), sa valise et sa mallette de vétérinaire en main, s’apprête à quitter la France. Il trouve un bateau en partance pour un pays lointain. William a quelques heures devant lui avant l’embarquement. Le soir, il dîne en terrasse dans un petit hôtel-restaurant. Il se retrouve parmi les vacanciers. A une table, Mme Nelly Pointard (Noëlle Leiris) n’en peut plus de son mari (Jacques Legras et son compagnon de pétanque Dupuis (Francis Blanche), un percepteur catholique pratiquant. Elle leur fausse compagnie, se jette du premier étage de l’établissement… et atterrie dans les bras d’un chanteur des rues. En tant que seul médecin présent, William lui porte secours. A l’abri d’oreilles indiscrètes, Nelly lui confie son mal-être. Femme fidèle, elle est physiquement délaissée. Les confidences de Nelly donnent une idée à William…
Tourné après Solo, L’Etalon sort sur les écrans quinze jours avant en février 1970. L’Etalon est le quatrième et dernier film de Jean‐Pierre Mocky avec Bourvil. Il succède à Un drôle de paroissien (1963), La Cité de l’indicible peur (ou La Grande frousse, 1964) et à La Grande lessive (1968). L’acteur décède d’un cancer, quelques mois après la sortie du film, le 23 septembre 1970. L’Etalon est son avant-dernier film et un succès populaire avec plus de deux millions de spectateurs.
L’Etalon, aussi curieux que cela puisse paraître, peut être considéré comme un film féministe. Il est vrai que ce n’est pas l’image qui colle à Jean-Pierre Mocky perçu le plus souvent comme un affreux misogyne. Toujours est-il que L’Etalon est clairement un film de l’après mai 68. Plutôt que se consacrer à des femmes en révolte, militant à juste titre pour plus de droits, Mocky s’attache au quotidien de petites bourgeoises des trente glorieuses en mal d’émancipation. Coincées dans un système de valeurs patriarcales, elles s’accommodent mal d’être reléguées à des taches subalternes et exhibées comme de simples plantes. Femmes au foyer, catholiques, elles sont le fruit de l’éducation de l’après-guerre. Le thème du film est pour le moins subversif: donner aux femmes la liberté de se satisfaire sexuellement, de disposer de leur corps comme bien leur semble, tout en restant en couple. Il faut se remettre à l’époque pour comprendre que Mocky s’attaque à un tabou – la sexualité dans le couple. L’idée de mettre à la disposition de femmes un haras d’étalons assermentés a dû faire rire jaune et occasionner bien des gênes au sein de couples des années 70.
Mocky utilise la caricature pour faire surgir de situations les plus incongrues des vérités pour le moins dérangeantes. Avec ses femmes frustrées, il donne une image de la faune des vacanciers qui peuplent les plages d’une méchanceté des plus réjouissantes. Dans cette farandole, Dupin en est le pire exemple, percepteur, radin, mesquin et prêt à toutes les bassesses pour asseoir son pouvoir sur la collectivité, il traque l’immoralité et la dépravation comme tout père la pudeur. Dans cette galerie de portraits pas un pour sauver les autres, c’est médiocrité à tous les étages. M. Pointard, obsédé à l’idée d’être cocufié et accessoirement que sa femme puisse prendre du plaisir, lâche : « Je milite au mouvement de la paix mais ce soir je suis fasciste » ce à quoi le commissaire répond : « Un vote de plus pour nous l’année prochaine. » Pas de doute c’est une France conservatrice de droite qui freine toute avancée sociale que décrit Mocky. Il enfonce le clou dans une sidérante séquence. Une meute de cocus envahit l’aquarium municipal transformé en centre de plaisir à la recherche de leurs épouses. Après un sermon du percepteur, ils jurent de maintenir l’ordre moral le bras droit levé.
« Je ne puis supporter la vie telle qu’elle est actuellement. La société dʹaujourd’hui me met mal à lʹaise; elle est inéquitable, totalement. Et, les années passant, tout va de pire en pire. Ceux qui me croient nihiliste ne voient de mes films que les éléments négatifs. Si je les montre, cʹest pour faire réagir les gens. » déclare Mocky lors de la sortie du film (Combat, 10 février 1970).
Dans le rôle du percepteur, Francis Blanche s’en donne à cœur joie dans l’ignominie enrobée de charité chrétienne. Quant à Bourvil en costume blanc, chapeau, chemise et gants noirs, petite lunette ronde, chauve, il donne l’une des interprétations les plus étranges de sa carrière. Ajoutons que Michael Lonsdale est impeccable en commissaire, Jacques Legras avec la marque de ses boules (de pétanques) sur l’épaule est savoureux, et le reste du casting est en grande partie constitué par des habitués du cinéma de Mocky. L’Etalon étonne toujours de par son sujet et la manière dont Mocky ose naviguer entre pamphlet et burlesque. Il s’inscrit dans la longue filiation des auteurs de comédie qui sous le vernis du rire cachent une réflexion amère sur la société.
Fernand Garcia
L’Etalon est édité par ESC Editions dans la collection Jean-Pierre Mocky, en supplément : « L’usure du sexe » par Jean-Pierre Mocky. Les souvenirs de Bourvil d’un tournage rapide, sept jours, à cause des assurances qui ne voulaient pas assurer l’acteur atteint d’un cancer… (11 minutes).
L’Etalon un film de Jean-Pierre Mocky avec Bourvil, Francis Blanche, Jacques Legras, R.J. Chauffard, Noëlle Leiris, Solange Certain, Michael Lonsdale, Luc Andrieux, Liza Brizzard, Philippe Brizzard, Dominique Zardi… Scénario : Jean‐Pierre Mocky. Adaptation & Dialogues : Alain Moury. Directeur de la photographie : Marcel Weiss. Décors : Jacques Flamand. Montage : Marguerite Renoir. Musique : François de Roubaix. Producteurs : Jean‐Pierre Mocky – Eugène Lépicier. Production Balzac Films – CCFC (Compagnie Commerciale Française Cinématographique) ‐ Filmel. France. 1970. 85 minutes. Format image : 1.66:1 16/9e. Couleur. Audio : Dolby Digital Mono. Tous Publics.