Le Dr Stephen Fleming est secrétaire d’état, il ambitionne un poste de ministre. Il mène une vie respectable, marié depuis 25 ans, deux enfants. Il est un homme politique idéal. Au cours d’une réception à l’ambassade de France, il rencontre Anne, une charmante expatriée. Très vite, ils deviennent amants… un jour, il apprend qu’Anne n’est autre que la future épouse de son fils… il tente de mettre un terme à cette liaison, mais le désir est trop brulant…
A partir d’un scénario au fonctionnement classique, tiré d’un roman de Joséphine Hart, Louis Malle réussit un film plus étonnant qu’il n’y paraît au premier abord. Louis Malle délaisse la bourgeoisie française pour l’anglaise, et c’est une nouvelle fois la description d’un personnage en rupture. Stephen Fleming (Jeremy Irons) est dans les hautes sphères politiques, c’est un homme de pouvoir. A son corps défendant, il est submergé par une violente passion érotique. Il s’y abandonne et se retrouve entraîné dans une spirale autodestructrice. Malgré les apparences, Fleming est un homme faible. Malle inverse une situation où généralement c’est l’homme qui domine.
Anne (Juliette Binoche) est une « femme fatale », elle est dans la mythologie de ses grandes amoureuses qui ont entraîné la chute d’un homme. La coupe de cheveux, strict et noir, rappelle Louise Brooks, la sublime vamp des films muets. Mais c’est aussi les fantômes de L’Ange Bleu ou de La Femme et le pantin que réveille Louis Malle. Anne est le personnage fort, c’est une survivante.
Après une série de petits rôles, Juliette Binoche décroche le rôle vedette de Rendez-vous (1988) d’André Téchiné. L’affiche, où elle apparaît entièrement nue de dos, attire autant l’attention sur le film que sur l’actrice. Juliette Binoche à 21 ans est une vedette en devenir. Elle s’attire encore plus d’éloges avec Mauvais Sang (1986) de Leos Carax. Elle accède à une notoriété internationale avec L’Insoutenable légèreté de l’être, très belle adaptation du roman de Milan Kundera réalisée par l’américain Philip Kaufman. Elle se consacre entièrement aux Amants du pont-neuf de Leos Carax dont les difficultés de tournage vont faire exploser le budget et entrainer un retard conséquent. Après cette expérience, Juliette Binoche s’oriente vers une carrière internationale. Après avoir donné la réplique à Daniel Day-Lewis et Ralph Fiennes, elle tourne Fatale à Londres, et c’est Jeremy Irons qui succombe à ses charmes. La qualité de ses choix la mènera jusqu’à la scène du Shrine Auditorium de Los Angeles pour l’Oscar du meilleur second rôle dans Le Patient anglais en 1996.
Jeremy Irons avait impressionné dès son premier grand rôle à l’écran dans La Maîtresse du lieutenant français (1981) de Karel Reisz où il donnait la réplique à Meryl Streep, tous deux dans un double rôle. Il choisit avec parcimonie ses rôles passant de celui d’un ouvrier immigré polonais (Travail au noir, 1982) à l’univers de Marcel Proust (Un amour de Swann, 1984). Mission, où il incarne un prêtre, remporte la Palme d’Or au Festival de Cannes, 1986. Son interprétation magistrale d’une difficulté inouïe de jumeaux dans Faux-semblants (1988) de David Cronenberg le classe instantanément parmi les plus grands, certainement l’une des plus grandes interprétations des années 80. Irons privilégie les personnages singuliers aux films commerciaux en y faisant parfois des intrusions spectaculaires, le méchant dans Une journée en enfer (Die Hard 3, 1995) entre autres. Dans Fatale, Irons est impeccable en homme politique, la difficulté est bien sûr le basculement dans cette passion extraconjugale. Il passe d’un jeu froid et dur à une sensibilité à fleur de peau qui va aboutir à une sorte d’autodestruction.
Miranda Richardson qui incarne la femme de Jeremy Irons est une excellente actrice, Fatale lui voudra une nomination pour l’Oscar du meilleur second rôle. La carrière de Miranda Richardson est lancé par Dance with a Stranger de Mike Newell, l’histoire vraie de Ruth Ellis, la dernière femme pendue pour meurtre en Angleterre en 1955. Steven Spielberg lui donne un important rôle dans L’Empire du soleil (1987). Elle est une convaincante terroriste de l’IRA dans Crying Game (1992). Une belle carrière au cinéma où elle est dirigée par de grands auteurs : Robert Altman (Kansas City, 1996), Tim Burton (Sleepy Hollow, 1999), David Cronenberg (Spider, 2002). Miranda Richardson enquille les seconds rôles dans toute sorte de production, comme Rita Skeeter dans la série des Harry Potter.
A l’international, les distributeurs vont jouer sur un parallèle entre Le Dernier Tango à Paris et Fatale, en utilisant une affiche assez similaire à celle du chef-d’œuvre de Bernardo Bertolucci. Ainsi le couple Marlon Brando – Maria Schneider laisse-t-il la place à Jeremy Irons – Juliette Binoche. Le film connaît de sérieux problèmes avec la MPAA, la commission de « censure » américaine. Le spectre d’un classement X s’éloigne et le film écope d’une interdiction aux moins de 17 ans non accompagné. Le comité lui reproche les scènes de discussion où l’on parle de sexualité mais aussi d’infidélité et quelques nudités. Classification à l’image d’une société puritaine à l’extrême. Fatale dans le même temps est classé tous publics en France.
Fatale est l’avant-dernier film de Louis Malle, une œuvre sous-estimée.
Fernand Garcia
Rétrospective Louis Malle à la Cinémathèque Française du 14 mars au 1er avril 2018
Fatale est disponible ainsi qu’une sélection de films de Louis Malle en vidéo à la demande (VOD), Streaming et en téléchargement légal, accompagné d’un dossier thématique de la rédaction.
Fatale est disponible en DVD chez StudioCanal.
Fatale (Damage) un film de Louis Malle avec Jeremy Irons, Juliette Binoche, Mirande Richardson, Rupert Graves, Leslie Caron, Ian Bannen, Gemma Clarke, Peter Stormare… Adaptation : David Hare d’après le roman Dangereuse de Joséphine Hart. Directeur de la photographie : Peter Biziou. Décors : Brian Morris. Costumes : Milena Canonero. Montage : John Bloom. Musique : Zbigniew Preisner. Coproducteurs : Vincent Malle & Simon Relph. Producteur : Louis Malle. Production N.E.F. Nouvelles Editions de Film – Skreba Films – Studio Canal + – TF1 Films Productions – Channel Four Films – European Co-production Fund. Grande-Bretagne – France. 1992. 111 minutes. Couleur. Format image : 1.66 :1. Tous Publics.