Un feu rouge, deux voitures. Dans l’une – trois femmes, dans l’autre – deux hommes. Ils se narguent, c’est au premier qui arrivera de l’autre côté du pont. Ils démarrent sur les chapeaux de roues. Sur le pont, c’est le drame, la voiture des femmes plonge dans la rivière et coule à pic. Trois heures plus tard, les secours n’ont toujours pas localisé la voiture ni récupéré ses occupantes. C’est alors que Mary sort des eaux, unique survivante…
Le Carnaval des âmes fonctionne sur une belle idée : le refus de la mort. Mary sans s’en rendre compte va entreprendre une longue promenade avec la vie et la mort. Progressivement elle va s’effacer de la surface de la terre. Son corps va devenir invisible et passer dans une autre dimension. Ses sens vont s’affiner, elle va voir l’indicible et croiser les âmes mortes qui traînent sur terre. Mary est organiste, elle joue dans des églises, mais n’est pas croyante. Rien de religieux dans Le Carnaval des âmes, et c’est tant mieux, le film n’en est que plus fort et libre.
Mary est un personnage formidable. Revenue d’entre les morts, elle décide de poursuivre sa vie comme si de rien n’était. Elle ne s’appesantit pas sur son sort. Elle reprend la route. Dans une pension, elle fait la connaissance d’un locataire particulièrement collant et plutôt porté sur la chose. Elle ne lui tient pas rigueur et apprécie même d’être objet de désir. Le désir qui est une composante de la vie. Mary cherche à plaire, s’achète des vêtements à la mode. Elle embrasse la vie. Il est pourtant déjà trop tard. Son image se dédouble sur la vitre de sa chambre. Les âmes errantes se font plus présentes. La musique (uniquement à l’orgue) se fait plus pesante. La solitude envahie l’espace physique et mental. Inexorablement son monde du quotidien bascule vers un autre monde. Elle devient invisible aux yeux des autres. Elle est attirée vers un parc d’attractions en jachère perdu au bord d’une rivière, vestige d’un ancien monde. Mary plus que légitimement terrorisée face au néant en subit aussi cette étrange fascination. Mary s’abandonne au courant de la rivière qui emporte les êtres…
Le Carnaval des âmes l’unique film de Herk Harvey, destiné au drive-in de Salt Lake City, est une petite merveille. Sa mise en scène se focalise très rapidement sur Mary jusqu’à adopter totalement son point de vue. A l’intérieur des plans, il introduit des instants, des actions signifiantes toujours en relation avec son héroïne. Jamais, il ne donne une information aux spectateurs qui les mettraient en avance sur Mary. Le film fonctionne sur deux niveaux, réaliste et métaphysique. Harvey trouve le bon équilibre entre la modestie des moyens et la justesse de sa réalisation, à aucun moment son film ne tombe dans une quelconque prétention. Son film est aussi attachant que son héroïne. Candace Hilligoss n’est sans doute pas une immense actrice, mais en blonde perdue, elle est épatante. Elle fait littéralement corps avec non seulement le personnage, mais aussi le film.
Le Carnaval des âmes est un film envoûtant d’où suinte une belle poésie noire.
Fernand Garcia
Le Carnaval des âmes est édité par Artus Films dans la collection Les Classiques, Film d’épouvante, beau master, en complément, la bande annonce du film et de la Collection Les Classiques d’Artus Films (Le Fils du pendu, L’Etrange Mr Slade, Les 5 Survivants, Le Carnaval des Ames, Au-delà de demain, Scandale à Paris).
Le Carnaval des âmes (Carnival of Souls) un film de Herk Harvey avec Candace Hilligoss, Frances Feist, Sidney Berger, Art Ellison, Stan Levitt, Bill de Jarnette… Scénario : John Clifford. Directeur de la photographie : Maurice Prather. Montage : Bill de Jarnette, Dan Palmquist. Musique : Gene Moore. Producteur : Herk Harvey. Production : Harcourt Productions. Etats-Unis. 1962. 74 minutes. Noir et blanc. Ratio image 1.37 :1. 16/9e compatible 4/3. Dolby Digital. VOST. Tous Publics.