John Wesley Hardin (Rock Hudson) est un dur du Far West. En 1896, il sort du pénitencier de Huntville, Texas, après des années d’enfermement. Arrivé en ville, Wes Hardin se présente au Texas Clarion, le journal local. Sur le comptoir, il dépose le manuscrit de l’histoire de sa vie… « J’ai été jugé et condamné pour meurtre… On m’a accusé de tous les crimes commis durant des années au Texas…»…
Victime du destin est considéré comme un film mineur pour Raoul Walsh. Pourtant, il est d’un niveau inatteignable pour nombre de réalisateurs aujourd’hui en activité. On retrouve dans ce western son formidable sens de la narration, la durée des plans et la justesse de ses placements de la caméra. Walsh nous embarque dès le premier carton dans une histoire si rondement menée qu’elle ne lâche qu’au dernier plan. Victime du destin est un western attachant, car tous les personnages sont croqués avec infiniment d’humanité. Bien évidemment l’intérêt et l’affection de Walsh vont aux personnages les plus en marge de la société. John Wesley Hardin n’était pas un saint. Le scénario est tiré de son autobiographie, elle n’est peut-être pas tout à fait exacte, mais qu’importe. Hardin est un personnage ambiguë et grandiose ce qui ne fait qu’ajouter du piment à son itinéraire. Fils d’un pasteur « qui combattait Satan sans arrêt », Hardin ne connaît de lui que l’enseignement moral à coup de ceinturon. Les notions de Bien et de Mal étaient totalement brouillées dans l’esprit du jeune homme par la folie religieuse de son père. Hardin quitte la maison avec l’espoir de faire fortune afin d’épouser sa sœur adoptive Jane et de bâtir un domaine où ils vivront heureux.
Hardin transgresse l’ordre moral et s’oppose par sa vie à l’autorité de son père. Il joue au poker où il excelle tout comme au pistolet. Il tue son premier homme en état de légitime défense. C’est le début d’un engrenage de violence duquel il ne sortira jamais. Walsh s’attache à décrire l’ascension d’un homme sûr de lui au-delà du raisonnable, qui n’hésite pas à forcer le destin. Les cartes lui donnent raison, il gagne, il charme, mais la légende qui se construit en fait un tueur. Jane, restée près de son père, ne voit plus en lui l’avenir, mais un homme hors de la loi du Seigneur. Totalement soumise à la parole divine du père, elle condamne, comme une quelconque bigote, Hardin à l’enfer. Ironiquement, Walsh la fait abattre par ceux même qui défendent les valeurs et les mœurs de la société.
C’est dans les bras d’une pècheresse, une entraineuse de saloon Rosie (Julie Adams) que Wes Hardin va connaître l’amour et le réconfort. C’est amoral, tant on est habitué à ce que les personnages soient dans le droit chemin des conventions. Walsh n’hésite pas une seconde à présenter Rosie comme une femme désirable, pleine de vie et libre à l’opposé de Jane, l’incarnation du conformisme. Pour Walsh, tout est affaire de rencontre et d’action.
Et de l’action, il y en a… Walsh offre au spectateur une magnifique séquence de duel. Dans une rue déserte où le vent soulève poussières et feuilles mortes, Harding affronte Hanley. C’est de toute beauté. Face à Rock Hudson on retrouve en cow-boy ivre de haine Lee van Cleef, petit rôle mais marquant. Walsh maîtrise son récit. Il passe avec une incroyable aisance d’une séquence à l’autre, du drame à comédie. Il suffit de voir comment il fait entrer en scène ses croque-morts ou joue avec le temps dans une séquence avec le célèbre Will Bill Hickok. Avec un talent incomparable, Walsh met en place une tension sur un simple mouvement de caméra ou un plan cut. Sa mise en scène est d’une efficacité redoutable.
Rock Hudson est excellent dans la peau de John Wesley Hardin. L’acteur apporte à son personnage la fougue de la jeunesse qui laisse croire que le monde est à lui. Raoul Walsh ne s’est pas trompé sur le potentiel de l’acteur en le prenant directement sous contrat. Curieusement, il ne l’a dirigé qu’à quatre reprises. Victime du destin est le deuxième western à réunir Walsh et Hudson et le premier où l’acteur a la vedette. La même année, 1953, Hudson est à l’affiche de La légende de l’épée magique de Nathan Juran et de L’expédition du Fort King de Budd Boetticher, toujours pour les productions Universal, premiers échelons de Rock Hudson vers l’Olympe Hollywoodien.
J’avais déjà fait l’éloge de Julia Adams à l’occasion de l’édition du Déserteur de Fort Alamo. Adams donne une très chaleureuse et émouvante interprétation d’une fille de rien. Interprétation d’une grande finesse qui laisse entrevoir l’étendue des ses talents d’actrice. Dommage qu’il ne reste d’elle dans la mémoire des cinéphiles que ses photos (très belles) en maillot de bain dans les bras de la Créature du Lac noir.
Victime du destin est resté pour de mystérieuses raisons inédit en France. Ce beau western confirme une fois de plus qu’il est toujours enrichissant de fréquenter les grands maîtres du cinéma. Signalons au passage la truculente autobiographie de Raoul Walsh, Un demi-siècle à Hollywood, à l’image de ses films magnifiques de vitalité et d’enthousiasme.
Fernand Garcia
Victime du destin est édité en DVD (master haute définition) par Sidonis/Calysta dans l’indispensable collection Western de légende, référence du genre. Une très riche section bonus accompagne cette édition. Deux présentations du film : François Guérif revient longuement sur la biographie John Wesley Hardin, entre réalité et légende, c’est passionnant (9 minutes), Patrick Brion évoque sa découverte du film lors de sa sortie en Belgique et son attachement pour ce western (9 mn). Raoul Walsh, une vie de cinéma, documentaire écrit et réalisé par le critique et cinéaste Jean-Claude Missiaen sur la carrière de l’un des borgnes les plus célèbres d’Hollywood avec Fritz Lang et John Ford (16 minutes). Enfin une galerie de photos (d’affiches) clôture cette section.
Victime du destin (The Lawless Breed) un film de Raoul Walsh avec Rock Hudson, Julia Adams, Mary Castle, John McIntire, Hugh O’Brian, Dennis Weaver, Forrest Lewis, Lee van Cleef… Scénario : Bernard Gordon. Histoire de William Alland d’après l’autobiographie de John Wesley Hardin. Directeur de la photographie : Irving Glassberg. Consultant Technicolor : William Fritzsche. Décors : Bernard Herzbrun et Richard Riedel. Montage : Frank Gross. Musique : Joseph Gershenson. Producteur : William Alland. Production : Raoul Walsh Production – Universal Pictures. Etats-Unis. 1953. Couleur (Technicolor). 79 minutes. Format image : 1.37 :1. 16/9e compatible 4/3 Son anglais Dolby Digital 2.0 mono. VOST. Inédit en France. Tous Publics.