Mickey (Justin Timberlake) rêve qu’un jour il sera un grand écrivain américain de la trempe d’un Eugene O’Neill. Pour l’instant, il trône sur la plage de Coney Island, maître nageur le temps d’un été. Son âme littéraire est attirée par Ginny (Kate Winslet). Elle déambule dans son spleen au bord de la mer. Ex-actrice, la quarantaine passée, elle végétait auprès d’Humpty (Jim Belushi), mécanicien et propriétaire d’un manège. Ginny rêve d’un autre destin plus grand, plus satisfaisant… Un jour, la fille d’Humpty, Carolina (Juno Temple) débarque à la maison, elle fuit son mari, un gangster maintenant à ses trousses; son rêve doré s’est métamorphosé en cauchemar…
Wonder Wheel est un grand Woody Allen. Il y a quelque chose de fascinant devant tant de créativité, depuis des décennies, il écrit et réalise ce qui constitue l’une des œuvres les plus importantes du cinéma américain. Rares sont les cinéastes à s’être maintenu à un tel niveau d’exigence artistique. Fascinant car il se renouvelle en permanence, ose prendre des risques, revoir de fond en comble sa manière de mettre en scène, de structurer ses récits, reprenant une manière de faire pour l’approfondir ou l’orienter sur d’autres voix.
Wonder Wheel est une tragédie. La lumière d’été cache de sombres désirs et passion, acte inassouvi, jalousie, ressentiment – tous ces sentiments en surface contradictoires frappent les personnages et les entraînent dans une logique égoïste les isolant les uns des autres. Wonder Wheel est un scénario au niveau des grands auteurs américain des années 50.
Mickey, étudiant en littérature, se rêve en grand homme de lettre. Sa vie est le réceptacle de vies contrariées qu’il croise, qui doivent nourrir sa création. Ginny est un simple objet d’étude, de création, une muse de quelques semaines pour Mickey. L’histoire de sa vie, présente et passée, lui fournit ce qu’il faut pour une nouvelle. Ginny est une femme à la dérive. Mickey papillonne et découvre avec Carolina une autre histoire. Un récit plein de fureur dans la mythologie des gangsters de la femme traquée telle que la littérature et le cinéma en raffole. Tout ce qui l’entoure doit être matière à création. Mickey ne retire de Ginny et de Carolina que des histoires, des confessions sans que jamais il ne s’implique, comme s’il n’était qu’un observateur lointain. Il n’est qu’un maître-nageur, il observe les baigneurs et leur porte secours en cas de problèmes.
Ginny a toujours traîné avec des artistes. Un enfant, Richie, né d’une relation adultère a détruit ce qu’il reste encore debout du champ de ruines de sa pauvre vie. Elle s’est faite une raison auprès d’Humpty. Au fond d’elle-même, il lui reste l’ambition de ses jeunes années et un désir de revenir sur scène. Sortir de pauvre rôle de serveuse pour incarner ces femmes grandioses nées de l’imagination des grands dramaturges. Elle se refuse à accepter sa condition et à se dire que le temps des rêves n’a plus que la saveur de la brume. Sa rencontre avec ce jeune écrivain en herbe lui donne la fausse impression de redémarrer de reprendre là où elle avait arrêté sa carrière.
Carolina est partie vivre un rêve fou d’adolescente. Elle s’est coupée de sa famille sans regret et s’est mariée à un gangster. Et puis, un jour, sans raison, elle s’est mise à table dénonçant au FBI toutes les sales affaires de son mari. L’édifice mafieux sur laquelle elle vivait s’est effondré sans qu’elle en ait eu la moindre envie. Elle retrouve son père et sa belle-mère pour se cacher du courroux de son mari. Elle perturbe le petit cercle familial. Sans sans rendre compte, Caroline est en concurrence avec sa belle-mère. Beauté incandescente échouée au pied de la grande roue des merveilles, elle agit comme un révélateur sur le mal-être de Ginny.
Humpty (Jim Belushi) n’a qu’une ambition : faire tourner son manège. Sa vie est tout entière dans ses chevaux de bois, dans ce mouvement perpétuel d’un surplace sans fin. A l’ambition des autres, il ne comprend rien. Sa vie ne va pas au-delà du parc d’attractions de Coney Island. Homme capable de violence, il domine sa famille comme sa maison, biscornue, trône au-dessus d’un stand de tir.
Reste un enfant, Richie, fils de Ginny, qui dans ce monde d’adultes n’arrive à attirer l’attention que par des actions « spectaculaires » : mettre le feu. Ginny a d’autres préoccupations et l’entraîne chez une psychologue où il finit par mettre le feu à une poubelle dans la salle d’attente. Richie se réfugie dans la salle de cinéma du coin. Il y vibre au rythme des films d’aventures et s’ouvre sur d’autres mondes, loin de la furie des hommes et du désespoir des vies gâchées qui l’entourent. C’est l’un des plus beaux personnages d’enfants de l’œuvre de Woody Allen. Il est drôle sans le vouloir et émouvant par nature.
Le scénario est une merveille de construction magnifiée par une mise en scène d’une grande précision, au millimètre. Allen suit ses personnages en plan-séquence et utilise la lumière extrêmement travaillée utilisant toute une gamme de couleurs pour traduire les conflits intérieurs des personnages. Après Café Society, c’est la deuxième collaboration de Woody Allen avec son directeur de la photographie Vittorio Storaro. Storaro y poursuit son approche psychologique de la lumière. Il apporte à Woody Allen un dynamisme nouveau avec de somptueux plans en mouvement et avec une utilisation de la lumière inédite dans son cinéma.
La distribution réunie par Woody Allen est impeccable. Kate Winslet démontre qu’elle est une grande tragédienne, elle se fond totalement dans Ginny qu’on en oublie l’actrice. C’est son personnage le plus adulte et le plus bouleversant de toute sa carrière. Jim Belushi, que l’on a redécouvert en mafieux protecteur dans Twin Peaks (2016) de David Lynch, est imposant dans un rôle plus difficile qu’il n’y paraît au premier abord. Il est pathétique sans jamais sombrer dans le ridicule. Juno Temple est une actrice trop rare qui apporte à chacune de ces créations une fraîcheur vénéneuse que l’on regrette de ne pas la voir plus souvent à l’écran dans des rôles à la mesure de ses immenses possibilités. Enfin, Justin Timberlake est une nouvelle preuve que les chanteurs peuvent faire d’excellents acteurs. Son rythme de jeu est parfait, c’est une surprise.
Wonder Wheel est cette grande roue de la vie où tournoient tous nos rêves, c’est beau et cruel.
Fernand Garcia
Wonder Wheel un film de Woody Allen avec Kate Winslet, Jim Belushi, Juno Temple, Justin Timberlake, Jack Gore, Max Casella, David Krumholtz, Robert C. Kirk, Tony Sirico… Scénario : Woody Allen. Directeur de la photographie : Vittorio Storaro. Directeur artistique : Santo Loquasto. Costumes : Suzy Benzinger. Montage : Alisa Lepselter. Producteurs : Erika Aronson, Letty Aronson, Edward Walson. Production : Gravier Productions – Perdido Productions – Amazon Studios. Distribution (France) : Mars Films (sortie le 31 janvier 2018). Etats-Unis – 2017. 101 minutes. Couleur. Ratio image : 2.00 :1. DTS. SDDS. Dolby Digital. Tous Publics.