Stephen Frears dans Confident Royal, (sorti en anglais sous le titre Victoria & Abdul) nous plonge dans l’univers quotidien et protocolaire de la couronne d’Angleterre, où la reine Victoria, interprétée par Judi Dench, s’ennuie profondément.
Pourtant le film commence de manière plutôt exotique : nous sommes en Inde avec un certain Abdul Karim (Ali Fazal), un homme pieux qui fait sa prière en bon musulman, nous le suivons dans les rues et à son lieu du travail. Puis nous le retrouvons en Angleterre autour d’un déjeuner somptueux : le jubilé d’or de Sa Majesté. Nous sommes alors en 1887, la reine Victoria, 81 ans, préside une immense table. Les conversations et l’ambiance l’ennuient à tel point qu’elle s’endort, jusqu’à ce qu’Abdul Karim, employé de 24 ans qui a été choisi en Inde pour lui présenter un mohur (une médaille d’or frappé par l’Inde britannique), s’approche de son Altesse Royale. Leurs regards se croisent et c’est alors que commence une « histoire d’amour » : plutôt un lien mère-fils et un lien maître-serviteur. Abdul devient par la suite son disciple-gourou, et restera en place pour les 14 années à venir, jusqu’à la mort de la reine Victoria, en 1901. Le film commence par un titre : « Basé sur des événements vrais … » et finit par un autre titre : « Abdul est expulsé à la mort de Victoria de l’Angleterre par la famille royale et meurt en Inde en 1909 ». Ces détails et d’autres dans le film viennent des journaux intimes d’Abdul et de la reine.
Le scénario a été écrit par la réalisatrice et productrice Lee Hall. Il est tiré du livre de la journaliste indienne Shrabani Basu, Victoria and Abdul : The True Story of the Queen’s Closest Confident, paru en 2010. La journaliste a été inspirée par le journal d’Abdul Karim trouvé tardivement chez son petit neveu au Pakistan et par des textes écrits en urdu de la main de la reine Victoria et classé dans ses archives. Un document totalement ignoré par les historiens anglais. Et seule trace de son amitié avec son valet indien qui n’a pas été détruit par le fils de la reine, Albert Edward, après la mort de sa mère.
Depuis des décennies, Judi Dench excelle avec élégance, un esprit corrosif et une supériorité visible dans tous ses rôles dans une espèce de royauté « malade ». Ali Fazal, une star de Bollywood qui a fait ses débuts à Hollywood dans Fast & Furious 7 (James Wan, 2015), joue le rôle d’Abdul Karim. Il est grand, beau et surprenant.
Abdul est introduit à nouveau dans un deuxième événement royal, où de manière plutôt étonnante, il se baisse pour embrasser le pied de la reine. Plus tard, il lui parle des tapis indiens, du Taj Mahal et des merveilles de la cuisine indienne et accepte de lui enseigner l’urdu qui s’écrit selon la graphie arabo-persane. Abdul explique à la reine que l’urdu est la langue la plus « noble » de toutes les langues indiennes. Or, l’urdu a la même origine indo-aryenne que la plupart des langues parlées entre l’Indus et le golfe du Bengale, mais il fut jusqu’au XVIIIe siècle, la langue administrative, religieuse et culturelle des élites musulmanes de l’Inde. Abdul parle aussi de la poésie d’Ibn al- Roumi à la reine et lui lit des pièces de Ghälib, illustre poète indien. « Le charme naturel d’Abdul et son érudition l’ont rendu indispensable à la reine » disait la journaliste dans son livre. Soit, mais bien que l’acteur Ali Fazal semble sincère dans son enthousiasme d’enseigner à la reine les « merveilles » de l’Inde. Ces merveilles restent superficielles et on a le sentiment que tout lui a été dicté. Rien n’est inné comme si la scénariste avait besoin de faire l’éloge du monde musulman dans un contexte un peu chargé d’Islamophobie. Ou est-ce un fossé entre le vécu, la culture, le ressenti et l’environnement de l’Indien de 1887 et celui de 2017 que l’acteur Ali Fazal ignore et ne peut donc reproduire naturellement ?
Confident Royal exprime par moment un sentiment anti-colonial. Seul problème est que tout est placé dans la bouche du camarade d’Abdul, Mohammed (Adeel Ahktar), qui appelle les Anglais des « barbares » en raison de toutes les parties animales qu’ils mangent. Quant à Abdul, on a l’impression qu’il n’a jamais souhaité que son pays soit débarrassé du joug de l’occupation britannique et pourtant, il est présenté comme un homme intelligent. Pourquoi ? Le film ne nous donne aucune réponse. Tout au long des deux heures, le film oscille entre le pourquoi et le pourquoi pas.
Dans Confident Royal on peut déceler trois points de vue opposés : Abdul, reste respectueux, saint, obéissant, dévoué à la reine jusqu’à sa mort. Pourtant, sa relation avec la reine renforce un point de vue négatif de la colonisation britannique de l’Inde. La reine Victoria se réfère à elle-même comme l’impératrice de l’Inde, et Abdul se contente de sourire, comme si c’était l’ordre naturel des choses. On peut ressentir aussi dans ce film une nostalgie de la relation entre l’Angleterre et l’Inde sous l’empire britannique et enfin on découvre une véritable stratégie pour rendre digne l’Inde en soutenant Abdul et sa femme comme son représentant sans faille. Difficile à retenir ce que le scénario a essayé de nous transmettre sur la colonisation surtout après l’arrivée de la femme d’Abdul et de sa belle-mère toutes voilées sans visage et avec deux jeunes serviteurs, comme si les Indiens reproduisaient ce que faisaient les Anglais aux Indiens. Ou, autre exemple, quand Abdul refuse que sa femme enlève le voile pour être examinée par le médecin. Même si, à ce moment-là, le film devient une fable et une farce, le spectateur reste perplexe et intrigué au sujet des deux femmes voilées : est-ce pour se moquer des islamophobes ou est-ce pour critiquer l’Islam ? La productrice Beeban Kidron explique : « la vision des relations entre l’Inde et le Royaume-Uni du temps de Victoria varie selon les points de vue et notre version n’en est qu’une parmi d’autres ». Or, justement, cette version-là n’est pas limpide dans le scénario, pour les raisons évoquées plus haut.
En peu de temps, Victoria rejette et repousse les autres serviteurs et conseillers, alors qu’Abdul l’amuse. Il ravive et avive la curiosité de l’impératrice pour un pays où elle a été empêchée de se rendre, pour des raisons de sécurité. La question que le film pose et à laquelle il ne répond pas est comment une souveraine comme Victoria peut-elle être aussi attentive à des propos aussi superficiels sur l’Inde ? Car Abdul, cantonné dans les clichés, n’arrive point à nous convaincre. Peut être dans le livre de Shrabani Basu, Abdul était plus érudit ?
L’autre faille dans le scénario de Hall est son échec à interroger, ou même à explorer, les motivations d’Abdul. Le talent de l’acteur Ali Fazal, parvient à nous convaincre de sa sincérité, mais son personnage manque néanmoins d’ampleur. Malgré les faiblesses de ce scénario, la détermination avec laquelle la reine et Abdul réaffirment – malgré des oppositions violentes -, leur fidélité réciproque nous a touchés.
A noter que Confident Royal dans sa forme narrative est une réplique du film Mme Brown de John Madden, réalisé en 1997, qui s’est moqué aussi avec humour des barrières de classe.
L’image de Danny Cohen, les décors d’Alan Macdonald (un spécialiste des films historiques) et les beaux costumes de Consolata Boyle (qui a su allier sophistication et élégance dans ses créations en effectuant des recherches historiques minutieuses), et le rassemblement de tant de bons acteurs , nous plongent dans un visuel d’une dimension métaphorique avec le château de Windsor, celui de Balmoral en Écosse et Osborne House sur l’Île de Wight, un des plus beaux décors d’Angleterre et donne au film une intimité surtout vers la fin qui reste à la fois triste et belle. Mais c’est à Glen Affric en Écosse réputé pour sa vue imprenable sur les Highlands et cette petite maison de Glassalt qu’on trouve le plus intime paysage, lui rappelant la relation de la reine avec l’Écossais de classe inférieure. Les violents vents, la pluie et la tortueuse route ajoutent encore de la beauté à ce décor unique et éblouissant.
Ces productions américano-britanniques visent certainement les Oscars et un public déjà acquis à ce genre de film classique avec une musique omniprésente, surtout que Judi Dench avec sa formidable performance donne un souffle et une force inhabituelle au film.
Un film à voir certes, mais tout en sachant qu’on sort de la projection un peu confus, insatisfait, et incrédule, malgré la réalité de cette amitié entre un valet indien et une reine britannique.
Norma Marcos
Confident Royal (Victoria & Abdul) un film de Stephen Frears avec Judi Dench, Ali Fazal, Tim Pigott-Smith, Eddie Izzard, Adeel Akhtar, Michael Gambon, Paul Higgins, Olivia Williams, Fenella Woolgar… Scénario : Lee Hall d’après le livre de Shrabani Basu. Directeur de la photographie : Danny Cohen. Direction artistique : Alan MacDonald. Costumes : Consolata Boyle. Montage : Melanie Oliver. Musique : Thomas Newman. Producteurs : Tim Bevan, Eric Fellner, Beedan Kidron, Tracey Seaward. Production : Working Title Films – BBC Films – Focus International – Cross Street Films – Perfect World Pictures. Distribution (France) : Universal Pictures International France (sortie le 4 octobre 2017). Grande-Bretagne – États-Unis. 2017. 112 minutes. Couleur. Ratio image : 2.35 :1. Dolby Digital. Tous Publics. Sélection officielle 74e Mostra de Venise.