En 1971, Le gang Anderson passe plus ou moins inaperçu sur les écrans français. Plusieurs raisons à cela, en ce début des années 70, Sidney Lumet n’a plus la cote auprès de la critique, ses précédents films, quoique remarquables, ont été accueilli assez froidement, et, pour une grande partie du public, Sean Connery est avant tout James Bond. A revoir aujourd’hui, Le gang Anderson s’avère à bien des égards un film prophétique.
La séquence d’ouverture est un exemple d’intelligence scénaristique et de mise en scène. Sur un écran de télévision, Duke Anderson (Sean Connery) explique l’excitation qu’il ressent lorsqu’il force un coffre-fort, témoignage recueilli et ampexé par le psychiatre de l’administration pénitentiaire. Duke est las de ces enregistrements. Aux questions sur son retour dans la société après dix années d’enfermement, il y répond par une rage décuplée : « Un gros bonnet se fait une banque, et il a la une du journal. Un petit vole ce journal et il est cuit ! ». C’est un homme plein de fureur qui sort de prison… avec aussitôt des flics à ses basques enregistrant le moindre de ses faits et gestes.
Duke a une idée derrière la tête: braquer tous les appartements d’un hôtel particulier de la haute société new-yorkaise où vit sa copine, Ingrid (Dyan Cannon). Mais le monde extérieur est devenu une immense prison à ciel ouvert. La télésurveillance a envahi l’espace public. Cette surveillance n’est pas uniquement l’apanage des différents services policiers de l’état, police, FBI, Service des impôts, etc.; mais aussi de riches particuliers, ainsi l’amant d’Ingrid n’hésite pas à la mettre sur écoute pour connaître ces moindres faits et gestes. Au hasard de ses enregistrements, il découvre le projet de Duke, mais s’en fout royalement, ce qui le préoccupe avant tout c’est de garder sa maîtresse pour lui seul.
Chaque service garde jalousement pour lui ses informations obtenues en toute illégalité; l’ironie est que toute cette surveillance faisant de chaque individu un coupable potentiel ne sert à rien. Sidney Lumet se livre à une très fine analyse d’une société basculant dans le tout image.
Comme tout bon polar, c’est une formidable galerie de portraits. Du papy qui sort de prison en même temps que Duke – il n’a connu ni la Seconde Guerre mondiale, ni la Guerre de Corée, ni rien en fait puisque la dernière lettre qu’il a reçu date de 1948 ! – à l’antiquaire homosexuel (formidable Martin Balsam), en passant par le jeune drogué entraîné dans l’affaire (Christopher Walken, déjà halluciné, dans l’un de ses premiers rôles). Il faut reconnaître que les dialogues sont superbement écrits et à double sens (sexuel) sans jamais être en contradiction avec le film. Il renforce le propos: l’Etat ne se privant pas de violer l’intimité de ses concitoyens. Le scénario parfaitement charpenté, tiré du roman de Lawrence Sanders, est l’œuvre de Frank Pierson, qui signera aussi pour Lumet le formidable Un après-midi de chien (A Dog Day Afternoon, 1975) avec Al Pacino et John Cazale.
Le Gang Anderson est une fois de plus la démonstration de la grande maîtrise de Sidney Lumet, à ce titre la séquence du casse est prodigieuse. Lumet manie le temps et les changements de point de vue avec une virtuosité confondante. Il transforme une action présente, le casse de l’hôtel particulier, en flash-back en donnant d’un coup la parole aux locataires-victimes, le montage oscille entre ses temps avant de les faire se rejoindre. Il s’agit d’un des rares montages signé par Joanne Burke qui se consacre depuis à la réalisation de documentaires musicaux et militants sur la condition féminine. Le point remarquable du film est la musique de Quincy Jones, elle rythme non seulement l’action mais apporte un élément presque de science-fiction dès que l’on passe sur les systèmes de surveillance.
Le gang Anderson est le deuxième des cinq films que Sidney Lumet et Sean Connery tourneront ensemble. Des films formidables et à chaque fois différents, confirmant, si cela est nécessaire, le grand talent de Sidney Lumet et sa facilité à naviguer dans différents genres et celui de Sean Connery dans l’art du jeu, du drame militaire, de La Colline des hommes perdus (The Hill, 1965) à la comédie policière Familly Business (1989) en passant par la fantaisie policière Le Crime de l’Orient Express (Murder on the Orient Express, 1974). Le sommet de leur collaboration est sans conteste The Offense (1973) chef-d’œuvre maudit d’une noirceur absolue.
Le Gang Anderson, tourné avant le Watergate, n’a rien perdu de sa pertinence, bien au contraire, les années ont rendu son propos encore plus fort. Un must du genre.
Fernand Garcia
Le gang Anderson est disponible en Blu-ray et DVD dans l’excellente collection Film noir de Sidonis / Calysta. En compléments : une triple présentation du film de Sidney Lumet. Grand spécialiste du polar et éditeur, Rivages noir, François Guérif, admiratif, revient sur le style du film (6 minutes). Monsieur Cinéma de minuit, Patrick Brion, est impressionné par le nombre de films de qualité et chefs-d’œuvre de Lumet (7 minutes). Enfin, le réalisateur de L.627 Bertrand Tavernier souligne les grandes qualités d’écriture, de jeu et de mise de scène du film (20 minutes). Enfin, la bande-annonce américaine et une galerie photos et affiches complètent cette édition qui ravira tous les amoureux du genre.
Le gang Anderson (The Anderson Tapes) un film de Sidney Lumet avec Sean Connery, Dyan Cannon, Martin Balsam, Ralph Meeker, Alan King, Christopher Walken, Val Avery, Dick Anthony Williams, Garrett Morris, Stan Gottlieb… Scénario : Frank Pierson d’après le roman de Lawrence Sanders. Directeur de la photographie : Arthur J. Ornitz. Directeur artistique : Ben Kasazkow. Costume : Gene Coffin. Montage : Joanne Burke. Musique : Quincy Jones. Producteur : Robert M. Weitman. Production : Robert M. Weitman Productions – Columbia Pictures Corporation. Etats-Unis. 1971. 99 minutes. Couleur (Technicolor). Format image : 1.85 :1. Son : VF et VOSTF. Tous Publics.