De Ray Nazarro, nous avons déjà apprécié La Folie de l’or et Les Derniers jours de la nation Apache. Avec La Loi du Colt, c’est à l’illustration de la vie d’une véritable légende de l’Ouest, Alphonso J. « Al » Jennings (1863 – 1961) qu’il s’attaque.
Personnage haut en couleur, figure célèbre de l’Amérique, Al Jennings est toutefois beaucoup moins connu dans nos contrés que Buffalo Bill ou Billy The Kid. Le scénario de George Bricker reprend les grandes lignes de l’autobiographie de Jennings et se concentre sur une période précise de sa vie. Celle qui le vit débuter comme avocat avec son frère Frank dans l’Oklahoma en 1895 avant devenir un hors-la-loi, véritable chef de bande, auteur de plusieurs braquages de banques et d’attaque de train. Reconverti dans le commerce en Louisiane, état d’où il ne peut être extradé, il est toutefois rattrapé par son passé. Afin de brouiller les pistes, il retourne avec son frère en Oklahoma où il tente un dernier gros coup : l’attaque d’un train transportant, le croit-il, plus de 200 000 dollars à destination d’une banque. Mauvais choix, le coffre est vide, et Jennings est arrêté et condamné à la prison à perpétuité à la suite d’un rocambolesque procès. Le président Theodore Roosevelt, devant tant d’irrégularités, lui accorde en 1904 la grâce présidentielle au bout de cinq ans de détention.
La Loi du Colt, dans les limites de son budget, est un témoignage assez juste sur l’époque. Ici, pas de grandes scènes spectaculaires, mais une approche assez réaliste, à hauteur d’hommes, qui donne tout son cachet à cette production.
Si la majorité des faits relatés sont a priori exacts, Nazarro se permet quelques libertés. Ainsi, dans le film, Al Jennings tue l’assassin de l’un de ses frères; la réalité est différente comme le souligne dans les compléments François Guérif. C’est à la suite de cet acquittement que Jennings quitte les chemins de la loi pour ceux du banditisme. Il s’attaque avec sa bande à des magasins, des bureaux de poste et à des trains. Cette liberté dramatique permet à Nazarro d’avoir un récit plus rapide. La Loi du Colt est le portrait d’un révolté. L’intérêt est maintenu tout le long du film par l’accumulation de scénettes nourries d’anecdotes qui maintenaient l’attention du spectateur en éveil tout au long de l’histoire. Comme cette incroyable rencontre entre les deux frères en fuite et un débonnaire bandit qui les braquent le plus naturellement du monde, tout en restant tranquillement assis dans sa carriole.
Dan Duryea, quasiment de tous les plans, domine avec une grande aisance la distribution. Il réussit à donner d’Al Jennings une interprétation un peu plus nuancée qu’il n’y paraît au premier abord. Personnage d’un bloc, sympathique, intelligent, – qui selon la légende n’a jamais tué la moindre personne durant ses forfaits – charmeur, manipulateur, il est avant tout incapable de maîtriser ses pulsions. Al Jennings est un sanguin. Dan Duryea donne parfaitement vie à toutes ses facettes avec tant de conviction qu’il semble parfois en roue libre. Il est fort probable que la majorité des scènes ont été bouclé en une seule prise ! Cela donne un état de fébrilité et de retenue à l’ensemble des acteurs autour de Duryea comme hanté par la peur de rater la prise. Il en résulte un sentiment de tension dans les scènes de groupe des plus intrigantes.
La Loi du Colt est une rareté qui bénéficie de superbes extérieurs filmés dans un magnifique technicolor. Ray Nazarro connaît son métier en solide artisan du western, confiné par la Columbia dans le périmètre des films destinés au double programme de la major. Nazarro réalise vite enchainant les westerns dont il se fait une spécialité. Ce n’est pas un des grands auteurs du genre, tel n’est pas sa prétention, mais ses films se suivent toujours avec intérêt. Remercions Sidonis / Calysta d’exhumer ses petits westerns nous permettant ainsi de découvrir un pan méconnu de films, partie intégrante du spectacle cinématographique des années 50. La Loi du Colt en est en bon exemple.
Fernand Garcia
La Loi du Colt est édité pour la première fois en DVD dans une édition spéciale, qui bénéficie d’une très belle restauration qui donne une bonne idée du Technicolor de l’époque. Le film est édité dans l’excellente collection Western de légende de Sidonis / Calysta. En compléments : une double présentation, la première par François Guérif qui revient longuement sur le parcours incroyable d’Al Jennings, du barreau à Hollywood, en passant par la prison et sa tentative de carrière politique ! (9 minutes). La seconde par Patrick Brion, comme toujours il évoque les titres du genre de l’année, puis donne son avis sur ce film très rare et étrange de Ray Nazarro (9 minutes). Enfin, la bande-annonce américaine et une galerie photos complètent cette belle édition.
La Loi du Colt (Al Jennings of Oklahoma) un film de Ray Nazarro avec Dan Duryea, Gale Strom, Dick Foran, Gloria Henry, Guinn « Big Boy » Williams, Raymond Greenleaf, Stanley Andrews, John Ridgely… Scénario : George Bricker d’après le livre d’Al Jennings et Will Irwin. Directeur de la photographie : W. Howard Greene. Consultant Technicolor : Francis Cugat. Directeur artistique : Victor Greene. Montage : Richard Fantl. Direction musical : Mischa Bakaleinikoff. Producteur : Rudolph C. Flothow. Production : Columbia Pictures Corporation. Etats-Unis. 1951. 75 minutes. Couleur (Technicolor). Format image : 1.33 :1. Son : VOSTF. Tous Publics.