Li Xuelian, une jeune femme, se présente au tribunal avec la ferme intention de faire annuler son divorce. Elle évoque un divorce blanc afin qu’une fois célibataire le mari puisse obtenir un logement et refonder le couple. Mais celui-ci trouve une nouvelle épouse et laisse tomber l’infortunée Li Xuelian. Le tribunal la déboute… Elle se lance alors dans une interminable procédure où elle n’aura de cesse de mettre en cause tous les responsables politiques et administratifs incapables de lui rendre justice…
I Am Not Madame Bovary est l’un des films les plus forts et singuliers de l’année. Signalons tout de suite qu’il n’est fait aucune mention au roman de Gustave Flaubert dans le film, il s’agit simplement de donner un équivalent connu au public occidental de Pan Jinlian cité à plusieurs reprises au cours du film, prototype de la femme débauchée dans la littérature classique chinoise.
I Am Not Madame Bovary frappe immédiatement par sa stylisation esthétique, pour la première fois dans l’histoire du cinéma, du moins à ma connaissance, la quasi-totalité de l’action se déroule dans un cadre circulaire, sorte d’iris bloquée sur un monde miniature. Le cadre ne changera qu’à de rares exceptions : les scènes à Pékin et pour l’admirable séquence finale en écran large. Ce choix radical, qui renvoie à la peinture classique chinoise, crée une distance qui fait du spectateur le témoin de cette étrange affaire. Il faut reconnaître que l’aventure de Li Xuelian est assez incroyable. A partir d’une décision du pouvoir centrale, nous assistons à un enchaînement de péripéties toutes plus absurdes les unes que les autres. Un long combat étalé sur dix années durant lesquelles Li Xuelian n’aura de cesse de poursuivre l’administration et ses représentants pour être reconnue dans ses droits et pour retrouver sa dignité. Ainsi, par le truchement de son héroïne, c’est tout un fonctionnent kafkaïen de la société qui est mis à nu. On pense parfois à la comédie italienne dans sa manière de dénoncer les médiocres, les grands commis de l’État (ceux du Parti unique) usant de leurs pouvoirs face aux faibles mais muets devant leurs supérieurs.
Il y a un côté jubilatoire à voir cette pauvre femme mettre à mal toute la pyramide des ronds-de-cuir. Comédie humaine admirablement mis en scène par Feng Xiaogang. Chaque plan est d’une précision et d’une intelligence qui force le respect. Une question se fait jour dans l’esprit du spectateur : s’il s’agit de l’œuvre d’un jeune cinéaste de génie ou d’un réalisateur expérimenté. La réponse est la deuxième des hypothèses: cinéaste inconnu en Occident, il est pourtant l’auteur d’une œuvre importante et populaire, mais hors du cadre des coproductions internationales formatées pour les festivals de catégorie A, il est rare que d’authentiques productions locales sortent de leurs frontières. I Am Not Madame Bovary est un magistral exemple de la richesse des films hors canal international. Si les autres films de Feng Xiaogang sont du même niveau, nous avons à faire avec un cinéaste majeur.
I Am Not Madame Bovary est ni plus ni moins qu’un chef-d’œuvre.
Fernand Garcia
I Am Not Madame Bovary (Wo Bu Shi Pan Jinlian), un film de Feng Xiaogang avec Fan Bingbing, Guo Tao, Da Peng, Zhang Jiayi, Yu Hewei… Scénario : Liu Zhenyun d’après son roman Je ne suis pas une garce (Collection Bleu de Chine – Gallimard). Directeur de la photographie : Luo Pan. Décors et costumes : Han Zhong. Montage : Chang Suk Ping William. Musique : Du Wei. Producteur : Dajun Zhang. Production : Beijing Sparkle Roll Media Corporation – Huati Brothers Media Corporation. Beijing Skywheel Entertainment C. Ltd. – Huayi Brothers Pictures Ltd. – ZhejiangMayla Media Co. Ltd. Distribution (France) : Happiness Distribution (Sortie le 5 juillet 2017). Chine. 2016. 138 mn. Couleur. Format image: 1.00 :1, 1.85 :1, 2.35 :1. Son : 5.1. Dolby Atmos. Tous Publics. Meilleur film et Meilleur actrice, Festival de San Sebastian, 2016 – Prix de la Critique, Toronto International Film Festival – Asian Film Awards (Meilleur film, actrice et photographie).