Après une répétition avec son groupe de rock, Roberto Tobias, le batteur du groupe, prend en chasse et tue accidentellement un inconnu qui le suivait depuis plusieurs jours. Pris en photo lors du crime par un mystérieux individu masqué, le musicien va se retrouver harcelé par ce dernier.
Après L’Oiseau au plumage de cristal (1969) et Le Chat à neuf queues (1970), 4 Mouches de velours gris est le dernier et moins connu volet qui vient clore la « trilogie animale » avec laquelle Dario Argento débute sa carrière de cinéaste.
Faisant référence à la couleur jaune des couvertures des romans policiers en Italie, comme ses films précédents, 4 Mouches de velours gris répond aux codes du giallo. Parsemée de références cinéphiliques, cette nouvelle enquête policière que nous livre le réalisateur assoit les bases de son style et va légitimement contribuer à donner à son auteur le statut de cinéaste culte.
Calibré pour le marché international, le casting du film l’est on ne peut plus. On retrouve en effet à l’affiche du film le comédien américain Michael Brandon qui débute ici sa carrière, la comédienne américaine Mimsy Farmer More (1969) de Barbet Schroeder, Deux Hommes dans la ville (1973) de José Giovanni, Rêve de Singe (1977) de Marco Ferreri, La Déchirure (1984) de Roland Joffé,…), l’immense Jean-Pierre Marielle que l’on ne présente plus, ou encore le comédien italien Bud Spencer, déjà très populaire à l’époque. Caractéristiques des premières œuvres du cinéaste, les personnages secondaires du film sont là pour distraire et faire rire le public. Bien que 4 Mouches de velours gris soit plus personnel et grave que ses films précédents, l’humour est présent dans le film. Il est parfaitement intégré au récit et est utilisé à bon escient avec parcimonie. Ce n’est que par la suite que l’univers du cinéaste deviendra de plus en plus sombre et ses personnages moins sympathiques, en accord avec leur époque et le monde dans lequel ils évoluent.
Rythmé par un jeu de faux-semblants, 4 Mouches de velours gris témoigne à nouveau du plaisir que prend le cinéaste à tromper les sens du spectateur. Le personnage principal est ici à la fois coupable et victime. Ce dernier va chercher à faire la lumière sur cette affaire. On retrouve donc dans ce film l’obsédante thématique des sens, de la vision (l’image), chère à l’auteur. Comme dans L’Oiseau au plumage de cristal et plus généralement, comme souvent dans les gialli d’Argento, c’est la vision partielle d’un évènement (il manque un élément pour permettre de comprendre ce qu’il s’est réellement passé) qui déclenche non seulement l’enquête, l’histoire du film, mais c’est également autour de ce postulat de base que s’effectue tout le travail de construction scénaristique ainsi que les choix de mise en scène. Ici encore les personnages vont devoir se remémorer des détails des évènements et examiner le champ des possibles pour découvrir la vérité. Les sens tiennent un rôle primordial dans l’histoire du film et dans sa construction même. Nos sens sont imparfaits et biaisent nos perceptions. Ils nous mentent… Comme pour le développement de la pensée philosophique, pour parvenir à la Vérité, nous devons douter de tout et particulièrement de nos sens qui nous induisent insidieusement en erreur. L’écriture du scénario et le travail de la mise en scène du film, cultivent et dans le même temps nourrissent les incertitudes du spectateur.
Tout comme Alfred Hitchcock, l’un de ses maîtres à penser, Argento aime manipuler et susciter le doute chez le spectateur. Le traitement de l’histoire, comme l’histoire elle-même, construit sur le principe du « whodunit » (qui est le coupable ?), lui permet de brouiller les pistes jusqu’au « twist » final qui viendra surprendre le public. L’innovation de la recherche formelle du cinéaste, qui n’a pas son pareil pour créer une atmosphère étrange et/ou dérangeante, est bien au rendez-vous de cette œuvre où on retrouve avec plaisir sa remarquable stylisation visuelle riche en symbolique, les violents découpages, les différents inserts de détails en gros plan, ou encore les plans subjectifs parfaitement maîtrisés des interventions de l’assassin. Les choix d’angles, aussi ambitieux qu’originaux, de son éblouissante mise en scène nous offrent des plans et des scènes techniquement fascinants qui attestent du véritable travail d’orfèvre du réalisateur. Notons également que c’est à nouveau à l’immense compositeur Ennio Morricone que fera appel le cinéaste pour signer l’excellente bande-originale du film.
Si 4 Mouches de velours gris propulse Argento en pole position des cinéastes transalpins et pousse divers producteurs à développer différents projets de gialli dont plus d’une centaine, allant du plus médiocre au plus singulier, verront le jour en seulement quelques années, le troisième succès consécutif du réalisateur, témoigne surtout du fait que son auteur maîtrise parfaitement le langage cinématographique et annonce l’avènement de celui qui deviendra l’un des plus grands cinéastes italiens de sa génération. Inimitable !
Steve Le Nedelec
4 Mouches de velours gris (Quattro Mosche di Velluto Grigio) de Dario Argento avec Michael Brandon, Mimsy Farmer, Jean-Pierre Marielle, Bud Spencer, Aldo Bufi Landi Marisa Fabbri, Oreste Lionello, Stefano Satta Flores… Scénario : Dario Argento. Histoire : Dario Argento Luigi Cozzi & Mario Foglietti. Dialogue : Giorgio Piferi. Directeur de la photographie : Franco Di Giacomo. Décors : Enrico Sabbatini. Montage : Françoise Bonnot. Musique : Ennio Morricone. Producteur : Salvatore Argento. Production : Seda Spettacoli – Universal Productions (France). Distribution : Les Films du Camélia (ressortie France le 3 juillet 2019) Italie – France. 1971. 104 minutes. Technicolor. Techniscope. Format image : 2.35 :1. Interdit aux moins de 12 ans.