24ème édition des Journées Cinématographiques de Carthage 2012

 

JCC2012Un pas vers la liberté

Cette 24ième édition de JCC, première édition après la révolution, était extrêmement attendue. Les rues étaient remplies de monde et il y avait comme un air festif à l’ombre des projections en plein air des films de Chaplin.

 Les tunisiens, et surtout les jeunes, se sont précipités dans les nombreuses salles de Tunis, où l’on sentait cette énergie, que ce soit aux conférences de presse, aux leçons de cinéma, dans les rencontres avec les réalisateurs, ou aussi dans l’envie de créer leur propre cinéma. Un tel enthousiasme si brûlant est très encourageant pour la jeunesse et, j’espère que cela servira à développer la vie culturelle en Tunisie.

Le programme du festival était très riche et diversifié, beaucoup de films répartis dans plusieurs sections : documentaires, courts métrages, hommages, films restaurés, cinéma du monde et enfin ceux de la compétition officielle.

 L’Afrique est un continent mais les différences culturelles entre les pays arabes et ceux de l’Afrique noire sont énormes, ce qu’on a pu d’ailleurs observer dans les films. Si on prend seulement les films de la compétition en considération, les films de l’Afrique noire étaient différents dans leur conception et dans leur style par rapport aux films arabes, qui eux avaient beaucoup de choses en commun : la manière de penser le cinéma, de refléter la vie de gens, leur culture, la religion et les traditions, et aussi leur manière de représenter la femme.

homme d'honneurIl est étonnant de voir à quel point le cinéma arabe est influencé par la télévision, séries télé et mélodrames.  Même si  Parfums d’Alger (Rachid Benhadj), Un homme d’honneur (Jean-Claude Codsi), Le professeur (Mahmoud Ben Mahmoud) et Après la bataille (Yousry Nasrallah) sont différents dans leur manière de traiter leur sujet, mais ils obéissent tous plus ou moins aux règles des telenovelas, insistant sur les valeurs familiales, notamment les devoirs de l’homme ou de la femme. La stature d’homme dominant est essentielle dans ce genre de cinéma, il est souvent d’ailleurs filmé en contre-plongée. La femme, souvent filmée en plongée, la tête inclinée vers le bas, elle est faible et doit rester à la maison pour prendre soin de sa famille ; les femmes qui veulent être indépendantes et libres de tous liens familiaux, sont obligées de se révolter et sont un peu considérées comme en dehors de la norme. Une telle femme rebelle c’est Karima, l’héroïne de Parfums d’Alger, qui revenue dans son Alger natal pour assister à l’agonie d’un vieux patriarche ; elle est incarnée par la magnifique comédienne italienne Monica Guerritore. Karima est souvent filmée presque nue, soit en s’habillant en se déshabillant soit en prenant la douche… en contraste avec les femmes du pays habillées traditionnellement de la tête aux pieds. Alors qu’on pourrait concevoir le mélodrame télévisuel comme l’une des formes d’analyse de notre époque, au final il donne plutôt une image de la femme assez déformée et rétrograde.

Une femme n’a pas beaucoup d’alternatives dans  le monde arabe. Comme dit un des personnages de Ombre de la mer de Nawaf Al-Janahi, « un homme peut travailler, étudier, chercher sa fiancée, alors qu’une une fille doit attendre sa destinée. ». Le mariage est un événement extrêmement important dans la vie d’une jeune fille. Beaucoup de films de la compétition incluent des scènes de fêtes de mariage. Ombre de la mer  décrit comment les traditions augmentent les difficultés de communication entre les jeunes et leurs parents. Mansour, un garçon pauvre, est amoureux de Kalthoum, mais il doit travailler beaucoup, s’il veut lui offrir de cadeaux. Kalthoum est une jeune fille qui est en âge de se marier, et pourtant son père ne le voit pas. Un jour le coiffeur de la famille rend visite à son père, il touche la main de Kalthoum. Ce type d’événement, qui pourrait être considéré assez banal, choque  la jeune fille, et elle veut se suicider. Est-ce qu’un simple contact dans la culture arabe pourrait être interprété comme un viol ?  Juste avant cette scène, on voit comment Kalthoum apprend à sa jeune sœur à ne pas approcher des hommes. On dirait que la virginité dans la culture arabe est scellée sous sept serrures sinon…

Sinon une jeune fille pourrait être considérée comme une putain ? ou… une femme libérée ? Très étrangement, ces deux termes sont assez proches dans la culture arabe. Très souvent cette différence délicate dépend de la différence de classe : riche ou pauvre. Comme dans Après la bataille, une femme de la classe moyenne peut se permettre une affaire extraconjugale sans être jugée. Quant à une entraîneuse de  night-club, qui essaie de gagner sa vie et aider son petit ami, elle est très mal considérée. Ainsi dans Mort à vendre de Faouzi Bensaïdi, Malik, le personnage principal, est amoureux de Dounia, entraîneuse dans un night-club. Pendant qu’il fantasme sur elle, une musique jazzy accompagne ses visions, c’est un thème musical rempli de mystère. Une prostituée est une femme diabolique, personne ne doit se fier à elle, même si le spectateur n’a pas beaucoup de preuves de ses méfaits. « Putain » est le mot clé du film ;  c’est une métaphore de la vie, « qui est une putain ? », dit le film en conclusion.

The Professor (1)Une autre femme diabolique c’est Houda dans Le professeur de Mahmoud Ben Mahmoud. Même si ce n’est pas une prostituée, elle est présentée comme une belle jeune femme qui a une liaison amoureuse avec un professeur et apparemment avec deux jeunes journalistes italiens qui sont venus pour enquêter sur les grèves dans les mines de phosphate en Tunisie. Pendant la moitié du film, le professeur Khalil, un homme marié avec deux enfants, cherche son étudiante Houda, en ajoutant du mystère au personnage. Toute l’intrigue du film est basée sur le dilemme : est-ce que Houda est politiquement engagée avec les deux mecs italiens, a-t-elle couché avec eux ? Quand la réponse dramatique est « Oui », le professeur se sent trompé deux fois, c’est une tragédie pour lui, il est anéanti, même si c’est Houda qui souffre en prison. A la fin du film, le professeur devient une espèce de héros, alors que Houda toujours en prison lui envoie une lettre d’excuses, lui avouant son amour éternel. Ce film est un très bon exemple de l’imagination masculine typique dans le monde arabe.

Bien que le cinéma occidental soit encore assez loin d’une parité dans la fabrication des films, l’industrie du cinéma oriental n’a que très peu de réalisatrices. L’imagination masculine domine la créativité féminine. Par exemple, Sortir au jour d’une réalisatrice égyptienne Hala Lotfy, donne un point de vue sur le monde Oriental complètement différent. Ça pourrait être un début. La diversité culturelle aide à ouvrir les esprits. Quand quelqu’un a demandé au réalisateur tunisien Nouri Bouzid au sujet de son dernier film Manmoutech, Beautés Cachées, « Comment pouvez-vous parler des problèmes féminins dans vos films ? », il a répondu : « Mais, mon cher, je suis une femme ! ».

Les Journées Cinématographiques de Carthage sont un carrefour d’identités, contribuant à d’importants échanges culturelles, à des réflexions utiles, et constitue sûrement un pas en avant vers la liberté pour cette jeune Tunisie.

Rita Bukauskaite